Chez Eugène joue la carte des vins
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Depuis 2021, Jonas Seignovert, le gérant libre de Chez Eugène, à Montmartre (Paris 18e), a fait évoluer l’offre. Une carte de vins de 700 références et une cuisine de produits sourcés ont été mises en place pour séduire non seulement les nombreux touristes, mais aussi le public parisien qui redécouvre la place du Tertre.
Les mises en lumière de la butte Montmartre (Paris 18e), lors des JO de Pari2024 et de l’ultime épreuve du Tour de France 2025, ont conforté le statut d’icône touristique de ce quartier. Depuis ce printemps, les terrasses de la place du Tertre sont bondées. Pourtant, beaucoup de professionnels n’ont pas oublié la crise sanitaire. Lors des réouvertures, faute d’ancrage sur une clientèle locale, la restauration de Montmartre a redécollé bien plus lentement qu’ailleurs. Nombre de patrons sont aussi conscients du caractère saisonnier de leur activité.
À quelques exceptions près, les hivers sont plutôt mornes dans les restaurants du sommet de la Butte. Les Franciliens ont en effet tendance à bouder l’endroit qu’ils estiment surchargé par les touristes et où, parfois à tort, le rapport qualité-prix n’est pas au rendez-vous.
Fort de ce constat, certains établissements se sont remis en question pour séduire davantage une clientèle de proximité. Chez Eugène fut un des premiers restaurants de la place du Tertre à opérer cette mutation. Son propriétaire, le Cantalien Rolland Long, a profité du trou d’air consécutif à la crise sanitaire pour rénover cette adresse dès 2020. Pendant les travaux, il a rencontré Jonas Seignovert. S’il a baigné dans la restauration durant son enfance, le jeune homme originaire d’Ardèche s’en était détourné pour le commerce du vin.
C’est ainsi qu’il a rencontré Marius Long, un des fils de Rolland, qui exerce le métier de vigneron au domaine de Sense Pressa, à Padern, dans l’AOP Corbières. Au fil de leurs échanges, Marius Long lui suggère de reprendre la gérance de Chez Eugène, en imaginant un concept novateur autour du vin. Le jeune Ardéchois a ainsi relevé le défi, d’abord comme gérant appointé, en 2021, puis comme gérant libre les années suivantes. Depuis 2024, il a associé à son entreprise ses deux sommeliers, Côme Monzies Delamour et Julie Le Trevou.
Une préoccupation qui souligne l’importance de l’offre de vin chez Eugène. Jonas Seignovert est parvenu à persuader Rolland Long d’intégrer dans le décor des éléments renvoyant à l’univers de Bacchus, à l’image de la grande vitrine de bouteilles installée dans l’escalier. Il a aussi obtenu une cave digne de ce nom, de l’autre côté de la place du Tertre, sous l’immeuble qui abrite le Clairon des chasseurs. Il peut y stocker 700 références. Si on compte les vins en vieillissement dans d’autres caves, l’établissement dispose d’un panel de près d’un millier de références.
Il s’agit de vin au minimum bio ou en conversion, et naturel à 99 %. « Nous privilégions les jeunes vigne rons et nous faisons découvir leurs pépites, explique Jonas Seignovert. C’est ainsi que nous nous sommes constitué une clientèle de sommeliers franciliens, qui profitent de l’occasion pour découvrir facilement des nouveautés. » Les coefficients sont modérés et permettent d’accéder à ces flacons rares, avec des prix qui se situent en majorité entre 30 à 60 €.
Une démarche Locavore
Cet effort en matière de rapport qualité-prix est aussi perceptible côté carte. Celle-ci ne comporte que huit propositions de plats, ce qui est assez court dans le contexte touristique de la place du Tertre. L’offre reste simple avec des recettes basiques de bistrot, comme le bifteck ou le cheeseburger, en passant par la daurade royale. Tout est fait maison à partir de produits frais, concoctés par le chef Hichem Djedidi et son équipe.
Jonas Seignovert est allé plus loin en traitant directement avec des producteurs du Massif Central, comme son fournisseur de canards, la Croix d’Aval à Reilhac (Lot). Les planches de salaisons sont composées avec les produits de la Charcuterie du Viala, à Viala-du-Tarn (Aveyron). Et ce sont les spécialités de la fromagerie des Monts du Cantal, à Pierrefort (Cantal), qui trônent sur les planches de fromages. En outre, le jeune restaurateur a entrepris une démarche locavore en élargissant progressivement l’apport des producteurs franciliens, auprès desquels il achète en direct. Il compte encore accroître cette démarche notamment pour les fruits et légumes.
Cette politique est localement plébiscitée. Lors de la première année d’exercice de Jonas Seignovert, le chiffre d’affaires a bondi de 80 %. La note Google de Chez Eugène oscille entre 4,4 et 4,5 : une performance pour la place du Tertre où les établissements ont des notes plutôt médiocres. Le gérant s’en réjouit : « Je vois désormais beaucoup de tablées de Parisiens qui me remercient, en me disant : “Enfin une bonne table à Montmartre !”. C’est d’ailleurs significatif, je me suis constitué une clientèle fidèle qui fréquente l’établissement en dehors de la saison touristique. »
Jonas Seignovert : Né dans la restauration
« Ma mère a créé son premier restaurant à Tain-l’Hermitage, à l’âge de 22 ans, raconte Jonas Seignovert. Par la suite, mes parents ont exploité des restaurants dans la vallée du Rhône ou sur la Côte d’Azur.» Aujourd’hui encore, ses parents sont propriétaires de l’Auberge de Monnet, à La Roche-de-Glun (Drôme). Pourtant l’Ardéchois, âgé de 32 ans, a mis du temps avant de choisir le métier de restaurateur. Comme son frère Étienne, propriétaire d’un domaine viticole à Saint-Barthélemy-le-Plain (Ardèche), il a d’abord choisi de s’orienter dans le monde du vin. Après avoir obtenu un DUT de gestion administrative, Jonas Seignovert entame des études dans le commerce du vin, à Beaune (Côte-d’Or). Un parcours qui l’amène ensuite à travailler dans l’import-export, puis dans la commercialisation de domaines pointus destinés à l’hôtellerie-restauration.