Florence Pietrera, « Je n’ai pas peur d’ajuster »
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Florence Pietrera a ouvert le restaurant Schnock, à Paris, en mai 2025. Elle revient sur son expérience d’ouverture, les leçons tirées de ces débuts mouvementés, et sa vision d’une restauration qui mise sur la fidélisation locale et sur une approche managériale respectueuse.
Vous venez d’ouvrir, en solo, le restaurant Schnock dans le 17e arrondissement de Paris, après cinq ans à La Baule, comment cela s’est-il passé?
Je voulais revenir à Paris. Ouvrir Schnock était un vrai pari. Le restaurant, anciennement Roca, avait une belle réputation mais il était vendu au tribunal après une liquidation. J’ai tout de suite senti le potentiel, mais j’ai aussi vite compris que ce ne serait pas simple. La cuisine était totalement inutilisable, les frigos hors service, le fourneau crasseux, la plonge morte… Tout a dû être racheté de zéro, ce qui n’était pas prévu dans mon plan initial. Le financement a été un autre obstacle, majeur. Obtenir un prêt pour remettre le lieu en état a pris des mois. Les banques considèrent la restauration comme un secteur sinistré, et l’acquisition au tribunal les inquiétait encore plus. Pourtant, j’avais un apport et 30 ans d’expérience avec de bons bilans. Ce qui m’a frappée, c’est le manque de compétences de certains conseillers. Une case mal cochée, un problème de convention bancaire, et ce sont des semaines perdues… Pendant ce temps, je devais déjà payer un loyer important, sans rentrée d’argent. Et puis, il y a eu d’autres imprévus. La perte soudaine de la terrasse, annulée par décision municipale, alors qu’elle est essentielle pour la visibilité du lieu. Ou encore le départ de mon premier chef, Emmanuel Perrot. Tout cela aurait pu me décourager, mais j’ai choisi de rebondir, en m’entourant différemment et en redéfinissant le projet. Heureusement, j’avais déjà une solide expérience à La Baule, où j’ai dirigé le Café des Écailles, un restaurant de bord de mer qui marchait très bien… mais selon un modèle totalement différent. Là-bas, tout se jouait sur la saison, on faisait notre chiffre d’affaires en quelques mois, avec des équipes renforcées uniquement l’été et une clientèle constituée d’habitués et de vacanciers. À Paris, c’est tout l’inverse, l’activité ne s’arrête jamais et la fidélisation est essentielle. La gestion est donc plus fine, plus tendue aussi, parce qu’on doit équilibrer les charges et les salaires sur douze mois pleins, avec moins de marges de manœuvre.
Comment avez-vous transformé ces difficultés en opportunités ?
La clé a été de m’appuyer sur un réseau solide. Le Club des Restaurateurs de Qualité [un club composé de 800 professionnels du secteur, NDLR] m’a permis de trouver du soutien, des conseils, des fournisseurs fiables. C’est dans ces moments qu’on comprend que l’on n’est jamais totalement seul. Avec l’arrivée de mon nouveau chef, Georges Navarre, nous avons recentré la carte. Je voulais quelque chose de plus proche de moi, une cuisine de qualité, avec des plats à partager et une carte qui évolue tous les mois et demi. Schnock est un bistrot convivial qui fait sourire dès le nom. Je veux que les clients s’y sentent à l’aise, qu’ils puissent venir autant pour un verre de vin au comptoir après le travail que pour un dîner complet. Notre quartier, le 17e, est particulier. La clientèle est exigeante, traditionnelle, pas toujours facile à conquérir… mais une fois qu’elle adopte un lieu, elle est fidèle. C’est pourquoi je mise sur le local avant tout. Les touristes ne sont pas nombreux ici, même si le retour des grandes entreprises et la présence d’hôtels amènent une clientèle étrangère ponctuelle.
Quelle est votre approche du management ?
Je crois profondément qu’on ne peut pas tenir dans ce métier si l’on ne respecte pas ses équipes. La restauration a longtemps eu mauvaise presse sur les conditions de travail, mais les choses évoluent et c’est tant mieux. Je n’ai jamais eu de mal à recruter, peut-être parce que je traite les gens comme des pièces maîtresses du projet. Aussi, j’ai décidé de fermer le week-end, et j’essaie de donner du sens au travail quotidien. Mais le secteur est sous pression, avec l’inflation sur les matières premières, les charges sociales écrasantes… Cela pousse beaucoup de restaurateurs vers des solutions hybrides, comme le recours aux extras via des plateformes. C’est un coût, mais parfois la seule façon de s’adapter. Là encore, il faut faire preuve de pragmatisme et d’agilité. Au fond, ce métier repose sur une alchimie collective. Chaque service est une coordination entre la salle et la cuisine pour offrir un moment unique aux clients. Si l’on ne prend pas soin de l’équipe, l’ensemble se déséquilibre.
Quelles sont vos ambitions pour la suite ?
Je suis confiante. Mon objectif, à court terme, est d’atteindre mes 60 couverts par service et de stabiliser Schnock comme une maison de confiance dans le quartier. Je n’ai pas peur d’ajuster et de changer pour avancer. Et je me projette déjà sur l’ouverture d’un second établissement. J’aime ce moment d’effervescence qu’est la création d’un lieu, trouver l’espace, définir l’âme du projet, lancer la machine. J’aimerais m’installer dans un quartier touristique, vivant, pour compléter l’ancrage local de Schnock. Ce qui me motive au quotidien, c’est de nourrir les gens, de créer du lien. On traverse une période d’incertitude, avec l’inflation, les tensions internationales, les peurs économiques… Mais mon choix est d’avancer au jour le jour, avec confiance et adaptabilité. Tant que je reste fidèle à ma vision, créer des lieux conviviaux, accessibles, humains, je suis persuadée que les choses suivront.