Autoentrepreneuriat : le piège du salariat déguisé
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La tentation peut être grande pour un restaurateur de recourir à l’autoentrepreneuriat pour recruter des collaborateurs… et éviter ainsi les contraintes du Code du travail.
Un chef d’entreprise, par exemple un restaurateur, peut être attiré par l’autoentrepreneuriat pour recruter des collaborateurs. Une démarche où il pense tirer tous les bénéfices possibles, notamment en simplification administrative et en gestion du personnel. Une pratique dangereuse pour l’employé, car elle constitue pour lui un piège. Celui-ci se voit en effet privé de toute liberté, ce qui constitue pourtant l’essence même de l’autoentrepreneuriat. Il n’est qu’un salarié déguisé avec ses droits mais aussi ses devoirs, comme n’importe quel autre employé classique. Ce qui explique que la loi interdise cette pratique. Cinq points à connaître.
1 L’illusion de l’autoentrepreneuriat
En pratiquant l’autoentrepreneuriat, le restaurateur pourra bénéficier de tous les avantages du salariat. À savoir : fixer des horaires à son collaborateur, lui imposer des congés, lui demander des comptes, et prononcer des sanctions s’il ne respecte pas les conditions fixées, etc. Dans le même temps, il n’aura pas à supporter les inconvénients suivants : payer des cotisations sociales, parfois importantes, rémunérer les heures supplémentaires et les congés, ou encore répondre de sa responsabilité en cas de sanctions ou de procédures irrégulières ou injustifiées.
2 La précarisation du collaborateur
La personne qui a le statut juridique d’autoentrepreneur, mais qui exerce comme un salarié, devra supporter tous les inconvénients du salariat sans en tirer les avantages. Du reste, pourquoi accepter un tel statut ? Ce dernier peut penser, à tort, en tirer des bénéfices à moyen ou à long terme, comme, par exemple, la création d’une association avec le restaurateur. Un leurre. D’autant plus que la situation peut devenir cauchemardesque si la relation commerciale entre les deux parties se dégrade (retard de paiement des factures à l’autoentrepreneur), voire s’il tombe malade et qu’il doit cesser son activité. 3 Une « plaie » pour les Finances publiques L’enjeu du salariat déguisé en autoentrepreneuriat n’est pas limité au sort du collaborateur. « Cette pratique peut représenter pour la Sécurité sociale une perte significative, souligne Philippe Meilhac. Perte qui se chiffre en milliards d’euros, entre 20 et 25 milliards, selon un rapport de la Cour des comptes de septembre 2014 pour la seule année 2012. »
4 Une pratique prohibée par la loi
D’une manière assez générale, deux critères permettent de caractériser cette pratique du salariat déguisé en autoentrepreneuriat. Le premier concerne le plan économique. « Nous sommes face à une subordination, poursuit-il. L’autoentrepreneur apparaît n’avoir qu’un seul client qui est en réalité son patron restaurateur, lequel lui interdit de travailler pour qui que ce soit d’autre. » Le second concerne le plan juridique. L’autoentrepreneur dépend de son client donneur d’ordres unique. Cette subordination juridique est définie par la chambre sociale de la Cour de cassation depuis un arrêt de principe du 13 novembre 1996 : « L’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Pourvoi : 94-13.187).
5 Une pratique lourdement sanctionnée
L’article L. 8221-5 du Code pénal incrimine comme délit le travail dissimulé et expose l’employeur à une procédure et des sanctions pénales. Celui-ci s’expose également à un redressement de l’Urssaf impliquant le paiement rétroactif des cotisations sociales esquivées. Les sommes peuvent se révéler être importantes, si le « partenariat » dure depuis plusieurs années. De plus, l’administration, dans une telle situation, n’hésite pas à appliquer des majorations ou des pénalités supplémentaires. Parallèlement, l’autoentrepreneur qui a participé peu ou prou sciemment à ce salariat déguisé peut se voir condamner à rembourser, s’il en a perçu, des prestations sociales et autres allocations chômage. Et Philippe Meilhac de conclure : « En définitive, on le voit bien le salariat déguisé en autoentrepreneuriat est à prohiber : pour tentant qu’il puisse paraître en apparence, il constitue un piège tant pour l’autoentrepreneur que le client donneur d’ordre. »