Brunch, un appétit insatiable

  • Temps de lecture : 6 min

Après plusieurs années à prendre de l’ampleur, le brunch connaît désormais une sorte d’hystérie, puisqu’il est servi toute la journée, à l’assiette, en buffet, à la carte ou en formule… Les contours du concept sont devenus plus flous. Quels sont les moteurs du brunch et ses perspectives ? Constitue-t-il toujours un levier dans un contexte de consommation en berne?

brunch
Image d'illustration. Crédit : Loulou Paris.

Le brunch s’est imposé comme un incontournable pour l’ensemble de la restauration. Cette prestation transversale force les différentes typologies d’établissements qui se prêtent au jeu à aller sur un terrain qui n’est pas forcément le leur. Que ce soit en déployant une offre culinaire plus aboutie, dans le cas des coffee-shops ou des bars-brasseries, ou en adaptant la proposition pour la restauration traditionnelle. À tel point que l’expression du brunch a désormais de multiples visages et convertit tous les publics sans exception. « On reçoit aussi bien les fêtards que les familles et les retraités », observe Grégoire Uzeel-Egels, patron du Salon de Grégoire à Givry (Saône-et-Loire) où, tous les dimanches matin, le brunch est une institution du village. S’il a choisi de rester fidèle à la forme originelle du brunch, sous forme de buffet, dans de nombreux établissements, les usages évoluent.

À toute heure

Que l’on passe la porte à 9 h, 12 h ou 15 h, chez Loulou Paris, on trouvera potentiellement sur les tables des pancakes, des œufs Bénédicte ou un club-sandwich accompagné d’une boisson chaude. L’enseigne d’inspiration australienne, du groupe Coolangatta, a développé le concept du brunch servi toute la journée, gardant les grands classiques sucrés et salés comme fil conducteur, pour y ajouter des variations plus typiques du petit déjeuner, du déjeuner ou des moments conviviaux du soir. Le modèle, qui mise sur cette spécialisation, fait des émules et s’est largement répandu, faisant de l’ombre aux établissements traditionnels qui parient sur leur brunch du week-end pour entretenir la fréquentation sur les temps morts. Pour autant, le principe montre quelques signes de faiblesse.

Les deux adresses parisiennes de The Cali Sisters étaient aux prémices de l’arrivée à Paris des habitudes californiennes autour du brunch. Mais dans le contexte économique tendu, le choix du brunch semble à nouveau se concentrer sur le week-end. Avec l’inflation, les consommateurs ont réduit leurs sorties sur le temps personnel et semblent privilégier les moments conviviaux en famille en fin de semaine plutôt que les extras pendant la semaine. « Le week-end, nous fonctionnons avec une formule, contrairement à la semaine, et le brunch représente alors 80 % du chiffre d’affaires », explique Xavier Dochez, le nouveau patron de l’enseigne. À 39 € la formule pour un plat salé, un sucré et deux boissons, le ticket moyen par client est globalement plus élevé que pour des consommations plus classiques à la carte. « Nous avons dû mettre en place une tarification à la carte parce que certains clients nous demandaient s’ils pouvaient consommer une demi-formule, pour réduire le prix », ajoute-t-il.

En semaine, le concept fait moins recette, excepté à l’heure du déjeuner. « Nous arrivons à maintenir une clientèle de bureau le midi avec notre carte breakfast et lunch, souligne-t-il. Nos menus sont élaborés, de l’entrée au dessert, ce qui nous permet de proposer une offre adaptée pour un repas tout au long de la journée, contrairement aux buffets où l’on consomme un peu en dépit du bon sens. » Les plats caméléon réjouissent aussi bien les lève-tard que les salariés en quête d’une pause réconfortante pour un prix avoisinant celui d’un plat du jour. En revanche, la fréquentation est en baisse le soir. « Avant, les gens sortaient deux ou trois fois par semaine. Maintenant, ils privilégient des repas rapides et gardent leur budget pour le week-end. Dans une certaine mesure, c’est bénéfique pour notre fréquentation du week-end, mais c’est problématique pour la semaine car les volumes ne sont pas au rendez-vous. »

Sortir de l’avocado toast

Le brunch a imposé quelques standards, comme l’avocado toast, les œufs sous des formes variées ou encore les pancakes. Pour autant, s’ils sont toujours attendus, une forme de lassitude, aussi bien chez les clients que chez les restaurateurs, laisse émerger des propositions plus inattendues. La cuisine végétarienne influence largement l’univers du brunch avec l’arrivée de plats plus travaillés comme des bowls, des salades composées relevées de pickles, des compositions ou accompagnements autour de fromages variés (halloumi, burrata), le travail des légumineuses… Dans un tout autre style, le plateau de charcuteries évolue également pour laisser de la place à des terrines et rillettes faites maison. Les épices et les assaisonnements semblent aussi plus volontaristes, sans crainte de heurter les papilles de clients à peine réveillés. La cuisine du brunch se veut globalement plus travaillée et se complexifie. La restauration traditionnelle thématique se saisit également du format pour faire découvrir des saveurs sous un format différent, peut-être plus détendu.

À l’image de Tékès, table végétale du chef Assaf Granit où le brunch prend une allure de mezze, ou de Dar Mima, la table marocaine de l’Institut du monde arabe qui a lancé un brunch au printemps dernier dans lequel burger et œufs Bénédicte cohabitent avec les crêpes mille trous « baghrir » et la truite fumée de l’Atlas. Certains établissements font quant à eux le pari d’un brunch plus cuisiné, qui mise davantage sur le « lunch » que sur le « breakfast ». Grégoire Uzeel-Egels à Givry, lauréat 2025 du concours du meilleur brunch de France, a choisi de proposer un buffet sans viennoiseries, avec de nombreux plats cuisinés façon plat du jour, servis de 11 h à 14 h.

Un service du midi élargi, en quelque sorte, mais avec une proposition d’une générosité assumée de cinq plats chauds, bars à salades et à soupes, puis buffet sucré, et un ticket moyen plus élevé qu’aux déjeuners en semaine. « Je présente les propositions à chaque table et les gens sont agréablement surpris. Je cuisine tout, c’est aussi une manière pour moi de faire de la pédagogie sur mes fournisseurs locaux, la saisonnalité des produits. » À plusieurs centaines de kilomètres de là, Au Diable Bleu, à Strasbourg (Bas-Rhin), la viande maturée est reine. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle soit au cœur de l’offre de brunch avec carpaccio de bœuf, ribs, une viande mijotée, pièces de viande proposées à table et grillées à la commande, en parallèle d’un buffet à volonté généreux plus classique.

Miser sur la qualité

Qu’il soit pris au saut du lit ou plus tardivement dans la journée, le brunch invite le plus souvent le café à table. Le sujet est de plus en plus scruté par les clients, à la faveur de la montée en gamme induite par le café de spécialité. Alors mieux vaut ne pas oublier l’étymologie du mot « brunch ». Soigner la proposition culinaire ne suffit plus, l’offre autour des boissons chaudes, et principalement du café, doit désormais aussi viser haut. Les établissements du groupe Coolangatta ont misé sur le développement d’une offre café pléthorique, aussi bien sur le volet gourmand — une carte entière dédiée aux lattes chez Loulou, toute la gamme des expressos — que sur plusieurs propositions d’extractions en méthodes douces (voir pages 52-53) pour satisfaire l’engouement montant. Le profil des consommateurs de brunch s’est grandement diversifié et il doit ainsi répondre aux attentes de toute la famille et de tous les âges.

Historiquement, le brunch consiste en un buffet varié, symbole de convivialité, le plus souvent accessible à volonté. Il s’est développé ainsi en France au départ, mais les alternatives en formule ou du brunch à la carte ont un peu éclipsé ce principe. Pourtant, ce serait aujourd’hui celui qui fidélise le plus, à en croire Grégoire Uzeel-Egels, dont le buffet est composé de plats cuisinés façon plat du jour, de salades composées, de soupes et de nombreuses propositions sucrées, l’ensemble fait maison. « Je pense que le client cherche en priorité le côté à volonté avant de penser au fait maison et au circuit court, lance-t-il. Le brunch, c’est comme le repas familial du dimanche où l’on peut goûter de tout et je ne constate pas de gaspillage. Généralement, je prévois même un plat de secours au cas où. »

Comme si les clients se réservaient pour ce moment gourmand de fin de semaine. Le buffet leur permet aussi de contrôler le budget sans se priver. Grégoire Uzeel-Egels affiche sa prestation à 36 €, hors boissons. « On me dit même que je ne suis pas assez cher. Mais je souhaite que les gens mangent bien, en restant honnête et raisonnable sur la valeur des produits », assure-t-il. Pour lui, l’important est d’offrir un bon rapport qualité, prix et quantité.

PARTAGER