L’expert boucher clermontois

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Installé rue de la Boucherie à Clermont-Ferrand, Gaby Gauthier fait partie des bouchers incontournables en Auvergne.

J’ai au moins eu quatre vies. » Et elles ont bien fait les choses. C’est rue de la Boucherie, au cœur de la cité volcanique, que Gaby Gauthier fournit belles pièces, côtes dodues et bonnes tranches aux restaurants de Clermont-Ferrand et d’ailleurs.

Depuis plusieurs années, le boucher fournit également les garde-manger d’adresses parisiennes mythiques, comme le Meurice ou le Plaza Athénée. Mais avant cela, l’Auvergnat a affûté ses couteaux sur différents terrains.

Un parcours atypique qui lui a permis de penser la viande avec intelligence et exigence. Pour lui, la viande peut se réfléchir autrement.

« Il existe certes des races plus performantes pour le bœuf, mais, tout petit, je mangeais de la montbéliarde, et j’en ai de superbes souvenirs. »

Une relativité qui s’accorde sur une chose : la quête du goût et des saveurs. Pour garantir la qualité de ses produits, il n’est pas rare de voir l’homme se rendre dans les fermes pour choisir avec l’éleveur la bête parfaite.

Originaire de Saint-Georges-Lagricol en Haute-Loire, petit-fils de paysans et fils de boucher et marchand de bestiaux, « je suis un peu tombé dedans tout petit » . À 15 ans, son père le prend sous son aile pour travailler avec lui. C’est là que l’œil de Gaby Gauthier entame son éducation. Savoir reconnaître celle qui sera meilleure qu’une autre. Plutôt boucherie ou élevage ? Un an plus tard, il part au Puy-en-Velay pour son apprentissage en boucherie, poussé encore une fois par son père. Une fois son CAP en poche, il met le cap sur Lyon pour vivre un véritable déclic auprès de Robert Bonin, « un boucher qui travaillait avec les chefs. On approchait les étoiles. Il m’a fait toucher du doigt le côté sympa du métier. C’est lui qui m’a dit que si je voulais vraiment apprendre, il fallait que je monte à Paris ». Ainsi soit-il.

Gaby Gauthier prend soin d’aller chercher les meilleures viandes, en Auvergne, en- France ou en Espagne.

Dix ans de commerce en Afrique

Gaby Gauthier se rend à la capitale pour apprendre. Encore et encore.

Du côté de Garches, dans les Hauts-de-Seine, il aborde le métier sous un autre angle, plus respectueux du produit, avec ce souci du détail et de l’esthétique : « En un an, j’ai plus progressé que si j’étais resté dix ans à Lyon. » Après cette expérience, il revient en province avec l’intention de monter sa propre boutique à Lyon. Finalement, Paris le rappelle pour une mission inattendue. L’Auver gnat intègre le groupe Doumeng, du fameux « milliardaire rouge » spécialisé en import-export. D’abord à Rungis puis à la Porte Maillot, « je travaillais avec un téléphone, j’avais complètement changé de métier ! Je vendais alors du bétail vivant et de la viande en Afrique et en Italie » . Il est finalement nommé responsable Afrique, bien loin de son souhait de boucherie lyonnaise avec ses ferronneries et ses belles mosaïques. « C’était un boulot passionnant. Je prenais autant de plaisir à vendre un container pour Kinshasa qu’à préparer une épaule d’agneau », sourit-il. Séduit par l’Afrique, il finit par partir s’y installer. Dix ans.

« J’ai vendu des fruits et des légumesau début. Je faisais 300 à 400 tonnes par mois. Mais mon boulot, c’était la viande, alors j’ai monté mon frigo. Je vendais 200 à 300 tonnes par mois. Tout découpé à la scie électrique, comme ils ont l’habitude là-bas », s’amuse-t-il. Au Gabon, puis au Congo, à Brazzaville, avant de terminer en Côte d’Ivoire. C’est finalement la dévaluation du CFA qui va le pousser à quitter le continent en 1994.

Le boucher clermontois prend soin de valoriser les viandes locales de qualité.

L’Auvergne ? « Le paradis des vaches »

Retour au Puy-en-Velay. Avec une envie de repartir à Paris, mais aussi cette volonté de rester au pays, et enfin de faire vivre ce rêve d’avoir sa propre boutique d’artisan.

Direction Clermont-Ferrand, au pied des volcans, dans une ruelle du centre historique prédestinée.

C’est rue de la Boucherie que Gaby Gauthier va s’installer pour y être toujours vingt-quatre ans plus tard. Entre l’Afrique et l’Auvergne, le changement est radical. « Je suis passé d’un extrême à l’autre. Mais ça t’oblige à aller chercher en toi les ressources nécessaires. C’est une épreuve de force. » Et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’est installé en lieu et place d’un boucher reconnu sur la place clermontoise à la solide réputation. « Tout le monde connaissait Mosnier », se souvient-il.

Pour l’amour du métier et des produits, il surmonte ce changement de cap et met un point d’honneur à proposer le meilleur.

« J’allais chercher de belles bêtes dans nos fermes, de beaux agneaux dans les Pyrénées. » Une nouvelle vie d’observation, de quête de saveurs et de qualité pour fonder sa propre valeur ajoutée, le tout dans un théâtre rêvé. « En Auvergne, on est dans un pays que j’appelle le paradis des vaches, qu’elles soient salers ou limousines. C’est une terre d’élevage magnifique. Nous sommes faits pour ça. » Du plateau du Cézallier jusqu’aux monts du Mézenc, « c’est une richesse folle » qui donne des animaux d’exception. « Mal faire son métier de boucher ici c’est renier les bases. » De bons veaux de lait de Haute-Loire, les moutons du Bourbonnais ou de Lozère, le bon cochon du Cantal avec la maison Laborie notamment, la région n’est pas avare de bons produits.

Cette connaissance du terrain, des éleveurs, des races locales, c’est justement ce qui intéresse les restaurateurs. Ainsi, à Clermont-Ferrand et dans sa région, nombre d’établissements lui font confiance, comme Le Buronnier, Adrien Descouls au Broc, l’Atelier yssoirien ou la Bergerie de Sarpoil, tout comme certaines belles adresses parisiennes. C’est grâce au Fin Gras du Mézenc qu’il a pu pousser les portes ducassiennes en 2005.

« C’était un mec qui travaillait chez lui aux Lyonnais qui m’a contacté et qui voulait faire découvrir le Fin Gras du Mézenc au chef. Je suis monté la découper devant eux. » Un premier jalon qui va l’amener ensuite au Meurice, puis au Plaza, mais aussi Lucas Carton, La Robe et le Palais, les Artisans, Le Bon Georges, sans oublier la Ferrandaise avec qui Gaby Gauthier travaille également.

L’Assemblée nationale et le ministère de l’Agriculture font aussi appel à son expertise auvergnate de temps en temps.

Si l’aubrac, la salers ou la ferrandaise ont une place particulière dans le cœur du boucher, il n’en reste pas moins ouvert aux autres viandes aux qualités exceptionnelles, comme le bœuf de Galice ou le cul noir de Bigorre. La condition sine qua none ? « L’élevage et l’engraissement qui doit être lent. Toutes les races sont intéressantes. »

À la fin, ce qui fait la différence, ce sont ses vies enrichissantes, et cette expérience hissée au rang d’expertise.

Pour aller chercher toutes les saveurs d’une viande, Gaby Gauthier maîtrise la maturation.
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