Les solutions des professionnels pour recruter en restauration

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Comment recruter en hôtellerie-restauration ? Face à la pénurie de main d’oeuvre, cinq professionnels apportent leurs solutions, et répondent aux propositions des syndicats, notamment sur les baisses des charges, l’établissement d’un treizième mois ou les coupures.

Cinq restaurateurs, basés à Morteau, Lyon, Paris et Chamonix, réagissent aux propositions faites par les syndicats dans La Revue des Comptoirs. 13e mois, baisse des charges et augmentation des salaires, ils apportent leur expérience de professionnels de terrain, et proposent leurs propres solutions à la crise de recrutement que traverse la profession.

Julien Chazot, chef du restaurant L’Encart à Lyon (2e arrondissement). Il s’exprime au nom du collectif lyonnais « Les Essentiels », créé pendant les périodes de fermeture administrative.

Comment réagissez-vous à ces propositions des syndicats ?

Augmentation des salaires jusqu’à 10 %

Cela dépend des structures. Oui, il faut revaloriser les salaires, mais de combien ? C’est difficile à chiffrer, car ce ne sont pas les mêmes réalités selon les tailles d’entreprises. L’augmentation des salaires, même si elle est nécessaire, n’est pas l’élément qui va vraiment faire revenir du personnel, c’est un complément, mais ce n’est pas suffisant.

Limitation, et rétribution de la coupure

Encore une fois, la mesure peut être bonne, mais ne s’adapte pas de la même façon selon les structures. C’est d’ailleurs un peu le problème avec les propositions des syndicats, elles sont toujours adaptées aux plus gros. Cette coupure, nous la connaissons, notre métier est basé dessus. La payer ne semble pas une bonne idée, c’est vraiment compliqué, notamment pour les petits établissements qui ne peuvent pas se le permettre. En revanche, la limiter oui, par exemple en travaillant avec deux équipes, mais cela n’est pas toujours possible et il faut le prendre en compte.

Sanctuarisation d’un weekend par mois

Cela peut être intéressant de se pencher sur le travail le dimanche notamment. D’ailleurs, on constate que de plus en plus de restaurants font le choix de fermer le weekend. Les jeunes générations veulent du temps libre. On pourrait parler de la rétribution du dimanche et payer double ce jour-là. Les grosses structures, qui fonctionnent tous les jours de la semaine, peuvent se le permettre.

Établissement d’un treizième mois, de l’intéressement et de la participation

Pour nous, c’est une piste intéressante. L’intéressement et la participation vont valoriser la personne qui travaille pour nous. C’est une solution plus juste que l’augmentation des salaires et plus facile à mettre en place. C’est un gain pour l’entreprise comme pour le salarié, qui va s’impliquer davantage.

Encadrement du travail au gris, des abus et mauvais traitements

C’est un dilemme. Il faut en parler et travailler dessus c’est certain, mais pourquoi l’écrire sur un bout de papier ? Cela ne va rien changer. Nous devons traiter le problème de fond, mettre en place des actions au sein des écoles et des restaurants pour sensibiliser. Cela doit se faire en interne, mais l’inscrire dans la convention collective ne servirait à rien selon nous. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas en parler, au contraire.

Baisse des charges pour compenser une augmentation des salaires

C’est une bonne proposition, mais il faudrait une contrepartie de la part du restaurateur. Par exemple, les charges sont baissées si celui-ci s’engage à ne travailler que des produits frais et signe une charte de bonne conduite. Sinon, ceux qui ne jouent pas le jeu et ne servent que des produits déjà préparés vont faire de très gros bénéfices, quand les autres n’auront pas cette possibilité. Si l’on repense à la baisse de la TVA, cela n’a finalement pas permis à tout le monde d’embaucher.


Que proposeriez-vous ?

En soi, les mesures proposées peuvent être bonnes et nous avons conscience de l’importance de refondre nos métiers. En ce moment, avec tout ce qu’il se dit, on a l’impression que notre métier est horrible, alors qu’il est magique, mais les conditions doivent changer dans certains cas.
Nous pensons que la baisse des charges et celle de la TVA pourraient être effectives uniquement si le restaurateur prend des engagements, notamment s’il cuisine tout maison, à base de produits frais et locaux. De même, s’il s’engage à valoriser son personnel et s’il signe une charte de bonne conduite. Cette condition permettra de valoriser notre métier.
Nous pensons aussi qu’il faut récompenser le savoir-faire. Un des problèmes actuellement, c’est que n’importe qui peut ouvrir un restaurant et qu’il n’y a aucun diplôme requis pour travailler dans notre secteur. Nous pourrions faire comme dans le secteur de la coiffure par exemple, qui nécessite d’avoir au moins un CAP. Demander un diplôme minimum pour entrer dans le métier permettrait de le valoriser et d’ailleurs tout en découlerait, la volonté de cuisiner des produits et de saison, avoir une meilleure conscience des conditions réelles de travail, etc.


Arthur Garreau, gérant des Parigots, une brasserie située à proximité de la Place de la République, dans le 10e arrondissement de Paris.

Comment réagissez-vous à ces propositions des syndicats ?


Augmentation des salaires jusqu’à 10 %

Raisonnable oui, parce que les salaires sont trop bas dans la restauration. C’est un métier dur avec des horaires contraignants et décalés donc il faut que les salaires soient revalorisés. Personnellement, je refuse d’embaucher au Smic parce que c’est trop peu.

Limitation, et rétribution de la coupure

Je ne fais pas de coupure, les gens font du service continu et c’est tout. Je suis pour arrêter le système de la coupure. Evidemment, ça permet d’avoir une plus grande vie privée et de ne pas surcharger les employés.

Sanctuarisation d’un week-end par mois

Mes employés ont déjà tous deux jours de repos consécutifs. Offrir un week-end de congé par mois, c’est faisable si tous les salariés sont prêts à fournir des efforts pour se remplacer ces jours-là. Il doit y avoir un effort collectif pour compenser ce changement.

Établissement d’un treizième mois, de l’intéressement et de la participation

Je serais plus d’avis de proposer un intéressement au chiffre d’affaires. Donner un 13ème mois sans contreparties non. Faire de l’effort, se dépasser, travailler dur pour un intéressement, oui. En plus, on ne fait pas des résultats suffisamment exceptionnels pour permettre de financer un treizième mois.

Encadrement du travail au gris, des abus et des mauvais traitements

Je ne le vis pas. Il faudrait que les gens qui travaillent dans des endroits où il y a ces problèmes changent et aillent là où on les traite bien. Les conditions de travail doivent être normales partout.

Baisse des charges pour compenser une augmentation des salaires

Il faut une baisse des charges pour embaucher plus, pas pour augmenter les salaires, de cette manière, on pourrait partager le temps de travail plus et ne pas les faire travailler trop d’horaires consécutifs. Ce serait une solution au manque de personnel que l’on constate dans les restaurants.

Que proposeriez-vous ?

Il faudrait que les restaurateurs soient prêts à se remettre en question et paient mieux les salariés ou mettent en place un intéressement sur ce que les employés rapportent pour qu’il y ait un partage équitable des bénéfices. Il y a des salariés qui méritent, par leur travail et leur implication, des augmentations de salaires. Ceux qui sont prêts à faire plus, à travailler dur et à chercher plus loin méritent plus. C’est une question de mérite. Pas ceux qui sont toujours malades, toujours absents et qui ne cherchent pas à en faire plus. Il ne faut pas d’augmentation de salaires parce qu’on travaille plus mais parce qu’on va chercher du dynamisme et qu’on se donne à fond.

David Asseraf, responsable réseau Franchise IT France, groupe qui compte 35 restaurants à travers la France.

Comment réagissez-vous à ces propositions des syndicats ?

Limitation, et rétribution de la coupure et sanctuarisation d’un weekend par mois

Nous travaillons sous la convention collective de la restauration rapide, avec des horaires encadrés, planifiés et souvent réguliers. Les avenants liés à cette convention organisent déjà de nombreux points, comme les coupures ou encore les week-ends.

Baisse des charges pour compenser une augmentation des salaires.

Oui, nous sommes de cet avis, mais sur des niveaux plus élevés de salaires. Pour bénéficier des allégements existants, les salaires doivent être plus élevés.

Que proposeriez-vous ?

Nous subissons aussi la pénurie de main-d’œuvre chez IT, d’autant plus que nous avons un fort développement. Nous pensons qu’il faut miser sur la formation initiale et continue, et augmenter sensiblement les salaires à l’embauche par rapport au SMIC actuel. Par ailleurs, il ne faut pas seulement stigmatiser la profession et la situation actuelle autour des salaires et des conditions de travail, mais trouver des différences pour savoir séduire et conquérir de nouveaux profils.


Stéphane Ostermeier, chef et propriétaire du Chaudron à Chamonix

Comment réagissez-vous à ces propositions des syndicats ?

Augmentation des salaires jusqu’à 10 %

Je suis pas contre augmenter les salaires, moi déjà je les paie plus que le minima. Le serveur chez moi est à 1800 euros sans les pourboires, net, pour ne travailler que  le service du soir, puisque nous ne sommes pas ouverts le midi. Pour un serveur qui fait les deux services, plus le ménage avant de partir le soir, c’est un peu léger. Ce serait le minimum.

Limitation, et rétribution de la coupure

Il y a des établissements où c’est possible de limiter la coupure, d’autres où c’est totalement infaisable. C’est propre à chaque restaurant. La rétribution de la coupure, ça se négocie dans le salaire à la base, pour moi ça ne doit pas donner lieu à une compensation automatique et différenciée de la rémunération. 

Sanctuarisation d’un weekend par mois

Pour les saisonniers, ce n’est même pas envisageable, on travaille le plus les weekends. Le vendredi, samedi et dimanche c’est le moment où on fait la plus grosse partie de notre chiffre. Après, en ville, suivant les établissements ça pourrait être envisageable.

Établissement d’un treizième mois, de l’intéressement et de la participation

Le treizième mois, pour les petites entreprises comme la mienne, ce n’est pas simple à mettre en place. Je ne pense pas qu’il y ait besoin de ça pour fidéliser le personnel. Du moment que le salarié est bien payé, bien traité, il n’aura pas envie de partir. Et encore une fois, pour les saisonniers, c’est plus compliqué.

Encadrement du travail au gris, des abus et mauvais traitements

C’est propre à chaque établissement. Moi je ne serais pas resté dans un établissement où je suis mal traité, je ne sais pas comment on peut mieux encadrer cela, sinon en incitant les salariés à ne pas travailler pour un patron qui a des mauvaises pratiques.

Baisse des charges pour compenser une augmentation des salaires

Ce serait évident. Où on baisse les charges, où on baisse la TVA. Baisser les charges, non pas sur les bas salaires, mais sur les salaires plus élevés, serait un outil.

Que proposeriez-vous ?

Arrêter d’assister les gens pour qu’ils restent à la maison, qu’on les force à aller travailler. Ensuite, c’est clair que l’augmentation des salaires, je pense que ça joue beaucoup. Moi, je fais ce métier parce que j’adore ça, c’est ma drogue. Mais je ne peux pas me mettre à la place de quelqu’un qui le fait comme un travail alimentaire.

Philippe Feuvrier dirige l’Auberge de la Roche, à Morteau, un établissement gastronomique employant 11 personnes. Il est également le président de l’Umih du Doubs. 

Comment réagissez-vous à ces propositions des syndicats ?


Augmentation des salaires jusqu’à 10 %

Une augmentation des salaires jusqu’à 10 % est raisonnable, oui, même très raisonnable. Ce n’est que justice, les collaborateurs doivent pouvoir bénéficier de davantage pour fidéliser les salariés dans les entreprises. Je souhaiterais qu’on fasse une échelle des salaires et qu’ensuite on ait une augmentation de salaires sans charges. 10% c’est beaucoup, mais ce n’est pas assez. S’il y a une prise de conscience des pouvoirs publics et pas d’augmentation des charges avec l’augmentation des salaires, c’est mieux.

Limitation, et rétribution de la coupure

La coupure peut paraître rébarbative. C’est la même chose en ville que dans les zones rurales. Rémunérer la coupure permettrait de rémunérer plus. Quand les gens ont une amplitude horaire plus importante, ils gagnent mieux leur vie. La coupure, on la subit, mais dans les petites entreprises, comment pourra-t-on ne pas garder la coupure ? Ça veut dire qu’il faut doubler les équipes et donc doubler les charges. On ne peut pas demander une doublure d’équipe alors que les entreprises ont des chiffres d’affaires inférieurs à 15 000 euros. Parce qu’après déduction des salaires, on est en découvert. Il faut travailler sur le système de coupure pour mieux rémunérer les salariés.

Sanctuarisation d’un week-end par mois

Je pense que c’est difficile à mettre en place, mais pas insoluble. Malheureusement, comment va-t-on faire tourner nos établissements sans personnel autour de nous. C’est comme si on demandait au rugby de jouer une demi-heure à 14. Quand on est dans les zones citadines où on a un travail important du lundi au samedi, ça va. Dans les zones rurales, comme les nôtres, c’est compliqué parce que les gens font leur chiffre d’affaires du vendredi soir au dimanche. La seule manière d’avoir un chiffre d’affaires permettant d’absorber les charges est de travailler les week-ends. Sans ça, c’est impossible de tenir.

Etablissement d’un treizième mois, de l’intéressement et de la participation

Je pense que c’est quelque chose qui va dans le bon sens. Qu’ils puissent avoir des salaires confortables, c’est juste. L’intéressement, comme le treizième mois, ce sont des bonnes mesures, ça permet d’avoir des gens dynamiques, heureux, avec le sourire. On aura un auditoire bien supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. Toutes ces mesures sont louables. Il va falloir que les pouvoirs publics prennent les décisions et légifèrent. Ces mesures ne peuvent pas être mises en place avec un gouvernement aussi gourmand, qui demande autant de charges. Il faut laisser les entreprises dégager du résultat.

Encadrement du travail au gris, des abus et des mauvais traitements

Les comportements abusifs sont surement liés à un métier aux conditions difficiles et extrêmes. On a des métiers en tension. Les gens ont une amplitude horaire exceptionnelle et les Français ne donnent même pas de pourboire, critiquent les restaurateurs et les employés sur Internet en laissant des avis négatifs. Notre profession devra révolutionner en interne pour mieux encadrer ces comportements à bannir.

Baisse des charges pour compenser une augmentation des salaires

Evidemment, on ne peut pas donner d’avantages ou de compensations de salaires à nos employés sans baisse des charges. Les charges, il faut les baisser, on est dans la fourchette haute européenne, on est les champions à ce niveau. Il faut qu’on lime les avantages en nature, les charges et trouver des solutions fiscales. Il faut une prise en compte fiscale des services de l’État.

Que proposeriez-vous ?

Je veux de la compétence chez les employés et une échelle de salaires liée à celle-ci. On ne peut pas parler d’augmentations sans parler de compétences. Il faut une nouvelle organisation de la grille salariale. Le tout avec un minimum salarial de 1500 euros. Il faut défiscaliser quand on arrive à 1500 euros de salaires. Ce sera certainement plus intéressant pour les restaurateurs d’embaucher à salaire plus élevé et sans charges. Si rien ne change, si l’État ne se remet pas en question, on va vers un effondrement de la restauration française de qualité.

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