Philippe Renard, un grand chef côté jardin

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Philippe Renard a déjà repris le chemin des fourneaux de son restaurant du jardin du Luxembourg où il propose une vente à emporter en attendant mieux. À 62 ans, pourtant à l’abri des soucis financiers, il ne peut se résoudre à envisager l’existence sans ce coup de feu quotidien.

Philippe Renard
Philippe Renard

Dès les beaux jours de la fin février, derrière le comptoir de vente à emporter de la Table du Luxembourg, le chef propriétaire, Philippe Renard, confectionnait lui-même les gaufres et les crêpes. Parmi les clients présents, rares étaient ceux qui savaient que ce goûter champêtre était préparé par un très grand chef qui avait longtemps connu les honneurs de l’étoile Michelin, mais qui surtout a régné pendant près d’un quart de siècle sur les cuisines du Lutétia. Il dirigeait alors 120 employés et l’établissement servait une moyenne de 1 500 couverts par jour. Depuis 2014, Philippe Renard a rompu avec son ancienne existence. À la fermeture du Lutetia, pour une période de cinq ans de travaux, il a préféré tirer sa révérence pour s’installer non loin de là, dans les jardins du Luxembourg. Il a repris une concession dépendant du Sénat dans ce parc de 23 ha et bâti un restaurant offrant 90 places assises. Dans ce lieu, il propose une cuisine simple, proche des terroirs. À la Table du Luxembourg, le cuisinier rend d’ailleurs hommage aux grands plats régionaux classiques. Le ticket moyen n’excède pas 35 €. La forte réputation du chef et le rapport qualité-prix de l’établissement ont largement contribué à ce succès.

Malgré tout, Philippe Renard assure que ce restaurant n’a jamais dégagé de bénéfices depuis son ouverture : « C’est ma danseuse, heureusement, mes autres activités de conseil ne permettent de vivre. » Il estime notamment qu’en entrant dans la concession, il n’a pas suffisamment appréhendé les contraintes : « Dès le départ, l’administration du Sénat m’avait fait miroiter des possibilités d’ouvertures ponctuelles le soir qui ne se sont jamais concrétisées. Enfin, j’ai assumé financièrement la construction du restaurant et pour autant, rien ne m’en garantit la propriété en fin de concession. »

Philippe Renard a ainsi calculé qu’il versait une redevance de 35 % de son CA au Sénat pour l’occupation des lieux. Plus concrètement, il verse 25 % de son CA en termes de redevance, mais le remboursement annuel de l’emprunt qui a permis la construction du restaurant représente 10 % de son CA.

ISSU DE LA PÉPINIÈRE DU SOFITEL SÈVRES

Pour autant le chef ne semble pas aux abois. Ses activités de consultant le mettent à l’abri des soucis financiers. Il a même oublié de profiter de la retraite à laquelle il a droit depuis plusieurs années. Son parcours s’apparente en effet aux carrières longues. La sienne a débuté à l’âge de 15 ans. Alors que jeune Suresnois était programmé pour devenir expert-comptable, comme sa mère, il a bifurqué au lycée pour effectuer un apprentissage au Café de la Paix sous la férule de Georges Dury.

Il sort vite du lot en intégrant très jeune le Sofitel Sèvres où Roland Durand régnait à l’époque sur une extraordinaire pépinière de talents. Philippe Renard s’y illustre en gagnant plusieurs trophées, comme celui du Coq Saint-Honoré. Roland Durand va alors miser sur ce jeune cuisinier en l’orientant vers le poste de chef de l’hôtel Scribe. À moins de 30 ans, Philippe Renard y décroche sa première étoile Michelin. Ce tremplin lui vaut d’être remarqué par le groupe Taittinger qui lui confie en 1990 les cuisines du Lutetia. Philippe Renard va pleinement s’épanouir dans cette adresse réputée pour attirer une importante clientèle politique, intellectuelle et artistique. La table du chef, au milieu des cuisines, devient un endroit convoité où les célébrités se succèdent. Au Lutetia, Philippe Renard a accueilli trois présidents de la République et tutoie l’un d’eux. Fort d’un carnet d’adresses important, le chef sait aussi jouer les hommes d’influence. Il a activement participé à la campagne pour faire classer monument historique le Lutetia. Il salue à cet égard la mémoire de Simone Veil et de Michel Charasse pour leur aide. En 2000, il a créé avec le groupe Taittinger le Prix littéraire de la gastronomie Antonin Carême qu’il préside toujours. Enfin, il a repris récemment la vice-présidence des Cuisiniers de France et se montre fermement résolu à mener à bien la construction d’une université pour les jeunes cuisiniers sur un terrain appartenant à l’association, avec un investissement de 15 M€ entièrement porté par les Cuisiniers de France.

Le chef est aussi le conseiller pour la restauration de deux enseignes différentes de l’ancien groupe Taittinger, Golden Tulip et Campanile. Il a l’art de s’adapter à des clientèles diverses. Surtout, il sait très bien équilibrer générosité et gestion. « Les comptables me reprochent souvent d’avoir des ratios élevés, mais au final, je fais toujours progresser le CA et la marge », assure-t-il. Pour autant, ces activités ne le comblent pas. Il ressent toujours le besoin viscéral de justifier son existence en passant quotidiennement derrière les fourneaux et c’est la principale raison de sa présence dans ce jardin.

La Table du Luxembourg – Porte Fleurus

6, rue Guynemer – 75006 Paris

Tél : 01 42 38 64 88

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