Baux commerciaux : comment les négocier

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La crise sanitaire a gravement impacté les CHR et a parfois mis à mal les relations avec leurs bailleurs, en particulier lorsque le Gouvernement a demandé l’échelonnement des loyers.

RDC : Quels sont les fondamentaux à connaître à propos des baux commerciaux ?

Me Sylvaine Boussuard : Le bail commercial est un contrat qui confère la propriété commerciale au locataire. Il ne s’agit pas de la propriété au sens d’un bien immobilier ou d’un bien matériel, puisque le bail commercial est un contrat. C’est donc un bien que l’on met dans la catégorie des biens incorporels. Le fait de détenir cette propriété commerciale donne deux avantages au commerçant. Soit son bail va être renouvelé à son échéance et il y aura un nombre indéfini de renouvellements, donc cela pérennise son exploitation et c’est particulièrement important pour les restaurants. Soit si le propriétaire veut louer à quelqu’un d’autre ou récupérer son local, il doit verser à ce moment-là au commerçant une indemnité d’éviction. En matière de restaurant ou d’hôtel, elle peut être très élevée parce qu’elle est fondée sur le chiffre d’affaires. Plus celui-ci est important, plus vous aurez d’indemnités d’éviction. Pour le propriétaire, c’est un peu dissuasif, c’est-à-dire que souvent il s’aperçoit qu’il n’a pas les moyens de les payer. La durée minimale d’un bail commercial est de neuf ans. Il n’y a pas de limite en durée supérieure.

Quelles sont les clauses usuelles d’un bail commercial ?

Certaines clauses sont obligatoires. Tout d’abord, la notion d’ordre public. Un texte est d’ordre public lorsqu’on n’a pas le droit d’y déroger parce que l’on essaie de protéger la partie jugée faible dans le contrat. Dans un bail, est considérée comme faible la partie qui contracte le plus d’obligations, c’est-à-dire le locataire, donc on essaie de le protéger. Il y a également des clauses que le propriétaire ne peut pas négocier, car elles sont d’ordre public. C’est tout ce qui touche à la révision du loyer en cours de contrat. Ce sont les articles L.145-37/38/39 du code de commerce. Ils permettent au commerçant, dans certaines conditions, d’obtenir la révision du loyer, mais cela marche dans les deux sens. Le propriétaire pourra lui aussi obtenir la révision du loyer à la hausse. En ce qui concerne le loyer, vous pouvez avoir dans le contrat ce que l’on appelle une « clause d’échelle mobile » ou une « clause d’indexation », qui fait que le loyer va évoluer de façon automatique à la date anniversaire du bail. On les trouve dans pratiquement tous les nouveaux contrats. Si un restaurateur a un bail très ancien parce qu’il est implanté depuis 30 ans et que son bail a toujours été renouvelé sans aucune modification des termes du contrat, il se peut qu’il n’y ait pas de clause. Mais, pour les nouveaux baux des locaux qui sont vides actuellement et qui vont être négociés, il serait très étonnant que les propriétaires ou gestionnaires de l’immeuble n’aient pas mis cette clause dans le bail.

« On peut prévoir des subtilités pour les nouveaux contrats, on peut essayer d’être imaginatif en s’inspirant de ce qui existe dans le Code civil. » Me Sylvaine Boussuard – Le Cren, du cabinet SBLC avocat

Pendant la pandémie, le Gouvernement a appelé les bailleurs à effectuer un geste au niveau des loyers. Cela peut-il se prévoir dans les clauses ?

Oui. Dans le bail commercial, en dehors des deux ou trois points affectés par l’ordre public, vous pouvez mettre ce que vous voulez parce qu’il s’agit vraiment d’un contrat consensuel. Pour les baux qui sont conclus aujourd’hui, vous pouvez effectivement vous dire que l’on sait maintenant que cela peut se reproduire avec d’autres virus, malheureusement. De fait, nous pouvons tout à fait imaginer des clauses, mais ce n’est pas simple à rédiger et il faut vraiment que cela semble adapté pour toutes les parties. Le pan du droit des contrats du Code civil a été modifié en 2016. Ses règles sont susceptibles de s’appliquer aux baux commerciaux dès lors qu’il n’y a pas de texte spécial en matière de baux commerciaux sur la question. Donc, a priori, il est possible d’utiliser des textes qui concernent la révision du contrat pour des cas de force majeure, par exemple lorsque le contrat deviendrait excessivement onéreux pour l’une des parties.

On peut donc prévoir des subtilités pour les nouveaux contrats, on peut essayer d’être imaginatif en s’inspirant de ce qui existe dans le Code civil dès lors que cela ne dérogerait pas aux règles impératives de révision des articles L.145-37 et suivants du code de commerce.

Pour qu’un restaurateur réussisse à sécuriser son activité, que pourrait-il négocier ?

Je veillerais à mettre une clause stipulant que le loyer peut être revu au cas où les circonstances économiques changent et que la charge du bail devient excessivement onéreuse. À ce moment-là, le locataire peut solliciter le juge pour effectuer une demande de révision. La difficulté étant que le propriétaire n’accepte pas toujours facilement ce genre de clause et qu’actuellement, quel que soit le domaine, cela devient de plus en plus un contrat d’adhésion

[un contrat où l’une des parties propose un ensemble de clauses contractuelles, NDLR] . Lorsqu’un client vient me voir parce qu’il cherche un local, j’essaie d’améliorer le contrat dans son intérêt, mais c’est très difficile. Généralement, on vous dit que c’est à prendre ou à laisser, comme ils ont d’autres locataires en vue. Donc si vous voulez vraiment cet emplacement, vous êtes un peu obligé d’accepter ce qu’on vous propose. Néanmoins, le restaurateur doit essayer de négocier des clauses qui pourraient le sécuriser, d’autant plus s’il n’y a pas de concurrence avec d’autres restaurants pour prendre cet emplacement et si le propriétaire a véritablement un intérêt à ce que ce soit ce restaurateur-là et pas un autre. Si vous êtes une enseigne renommée et que vous acceptez d’autres clauses en contrepartie, par exemple un loyer plus élevé ou une durée de bail plus longue, vous pouvez être en bonne posture.

Est-ce que la pandémie de Covid-19 a eu un impact sur les loyers des baux commerciaux ?

Je pense que cela va avoir un impact dans la mesure où vous avez des locaux vides, que les propriétaires vont avoir envie de relouer. S’il y a un ou plusieurs candidats, ils vont être plus ou moins aptes à négocier, c’est la loi de l’offre et de la demande. Les boutiques bien placées et qui sont devenues vides pour différentes raisons peuvent attirer plusieurs candidats, par conséquent le propriétaire ne sera pas vraiment amené à faire des concessions. En revanche, il sera plus enclin à en faire lorsqu’il aura du mal à louer son local, notamment s’il n’est pas bien placé. Dans ce cas, il faut être sûr que vous allez faire venir votre clientèle par votre talent, la qualité de votre cuisine.

à retenir

– Le bail commercial est un contrat de location d’un local dans lequel est exercée une activité commerciale, industrielle ou artisanale.

– Le contrat de bail commercial n’est soumis à aucune forme particulière.

– Le contrat de bail est conclu pour neuf ans au minimum, sans maximum.

– Le bailleur doit payer une indemnité d’éviction au locataire en cas de résiliation du bail commercial. • Le montant initial du loyer n’est pas réglementé et est fixé librement par les parties au contrat, mais sa révision doit correspondre à la valeur locative fixée à l’amiable soit par le bailleur et locataire, soit par un arbitre désigné par les parties, soit par un juge.

Source : service-public.fr

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