Agir sur l’inconfort sonore

  • Temps de lecture : 5 min

Le goût et l’odorat ne sont pas les seuls sens éveillés au cours d’un repas. L’ouïe également, puisque le confort sonore influence grandement l’expérience client et sa perception des saveurs.

20 % des clients considèrent qu'un établissement bruyant est un mauvais restaurant. Crédits : Ashley Byrd/Unsplash.
20 % des clients considèrent qu'un établissement bruyant est un mauvais restaurant. Crédits : Ashley Byrd/Unsplash.

L’image de qualité d’un restaurant ne passe pas seulement par le contenu des assiettes servies. Récemment, le site de réservations en ligne TheFork (ex-La Fourchette) a même intégré le niveau sonore à ses critères de choix et d’évaluation. De plus, Samuel Sibony, ingénieur acousticien spécialisé dans le bâtiment, indique que « le Guide Michelin tient compte des critères acoustiques pour délivrer une étoile ».

Le seuil de risque auditif est fixé à 85 décibels par le Code du travail. Il correspond au niveau sonore ambiant moyen d'un restaurant.
Laurent Droin, Directeur du CidB

D’après une étude OpinionWay pour TheFork datant de 2018, au total, 20 % des clients considèrent qu’un établissement bruyant est un mauvais restaurant. Et pas moins de neuf clients sur dix se disent gênés pour mener à bien leur conversation. Discussions, musique, vaisselles qui s’entrechoquent, équipements électroménagers, déplacements du mobilier… Tous ces bruits, communs dans un restaurant, contribuent à augmenter le niveau sonore général, qui peut mener à l’effet dit « cocktail ». Ce dernier est une conséquence d’un mauvais traitement acoustique. Pour recouvrir ces bruits, le client a tendance à élever le ton de sa voix, jusqu’à n’en plus pouvoir et le personnel peut également être perturbé dans sa prise de commandes.

Un inconfort généralisé

Le guide Resto Quiet, publié par le Centre d’information sur le bruit (CidB), estime que l’ambiance sonore met en concurrence les professionnels. En effet, si l’acoustique est agréable, cela favorise la fidélisation de la clientèle, valorise l’image de l’établissement et augmente les performances des équipes de travail.

« Le seuil de risque auditif est fixé à 85 décibels par le Code du travail. Il correspond au niveau sonore ambiant moyen d’un restaurant », rappelle Laurent Droin, directeur du CidB, qui vise à informer, sensibiliser et promouvoir les bonnes pratiques pour faire évoluer les connaissances sur le bruit et les nuisances sonores. Au-delà de cette limite, l’employeur est censé mettre à disposition de ses salariés des protections auditives et être en mesure de réguler les nuisances liées au bruit. En réalité, un restaurateur n’est pas toujours en mesure d’intervenir, et souvent il ne sait pas comment s’y prendre.

De plus, améliorer le confort acoustique de son établissement a un coût financier. « Les restaurateurs ne sont pas préparés au coût que les aménagements liés au son exigent. Le montant des travaux total s’élève généralement entre 40 000 et 100 000 € », déclare Samuel Sibony. Cela peut donc se révéler mission impossible, surtout si les professionnels sont mal conseillés. Les arnaques sont d’ailleurs monnaie courante dans le secteur de l’acoustique. « On travaille souvent avec des restaurateurs désespérés qui n’ont plus le budget pour faire les travaux. Il arrive qu’on nous appelle et que l’on nous supplie d’intervenir. Or, il est quasiment impossible d’agir sur l’insonorisation lorsque l’établissement est bâti », souligne Jean-Philippe Lemoine Dudan, président d’Objectif Silence, société spécialisée dans l’acoustique du bâtiment.

Des pièges à éviter

Pour bien comprendre, il faut distinguer l’absorption et l’insonorisation. La première renvoie à la résonance des bruits produits dans une pièce et peut conduire à l’effet cocktail. « Absorber » revient donc à corriger la résonance sonore pour que l’audibilité soit bonne, tandis que l’insonorisation consiste à isoler une pièce des bruits en provenance de l’extérieur. Selon les nombreux témoignages recueillis par le président d’Objectif Silence, les restaurateurs perdent régulièrement leur temps avec des acousticiens aux honoraires ahurissants. Pourtant ces derniers peuvent être utiles, à condition qu’ils soient recommandés.

À titre indicatif, le forfait pour le calcul de la résonance est généralement facturé 1 200 €, précise le président d’Objectif Silence. Le prix déboursé pour une étude d’impact oscille quant à lui entre 6 000 et 8 000 €. « La majeure partie de ces études ne sert à rien, lance le président d’Objectif Silence . Les calculs à réaliser sont très simples. On peut faire le calcul du coefficient d’absorption, appelé l’alpha, à partir de la volumétrie de l’espace, du détail des matériaux utilisés et de trois formules mathématiques. »

iObjectif Silence a procédé à l'installation d'une vingtaine de panneaux en mousse de mélamine au restaurant Huîtres et saumon de Passy (Paris, 16e). Crédits : Objectif Silence.
Objectif Silence a procédé à l'installation d'une vingtaine de panneaux en mousse de mélamine au restaurant Huîtres et saumon de Passy (Paris, 16e). Crédits : Objectif Silence.

De plus, d’après lui, les marques spécialisées rémunèrent les architectes pour qu’ils vendent leurs solutions, même si l’efficacité n’est pas toujours prouvée. « Il existe une grosse arnaque concernant les mesures. Les tests acoustiques réalisés en laboratoire sont tronqués, car on joue sur la position du panneau par rapport au mur. Plus il est rapproché de ce dernier, plus la performance acoustique est bonne. Le détail du test n’est bien évidemment jamais fourni aux clients, détaille Jean-Philippe Lemoine Dudan.

Par ailleurs, du design de l’espace et de l’aménagement intérieur peut découler un effet amplificateur de l’inconfort acoustique. Les sols en béton, les baies vitrées ou encore la hauteur sous plafond vont conduire à faire rebondir le son et donc créer davantage d’échos. La hauteur de la pièce peut cependant être corrigée par la pose d’un faux plafond perforé ou de dalles acoustiques. Le président d’Objectif Silence affirme cependant que la première option ne fonctionne pas toujours : « On intervient constamment pour recouvrir les plafonds perforés parce que ça n’apporte aucune solution. » Il ajoute : « Les dalles de plafond acoustiques fonctionnent très bien mais c’est laid donc les restaurateurs n’en veulent pas. »

Trouver des solutions

Il existe pourtant des solutions pour les 66 % de restaurants trop bruyants dans le monde, comme l’explique l’étude SoundPrint, « Find your quiet place challenge », de décembre 2021. Tout d’abord, ils peuvent équilibrer l’ambiance sonore de leur salle de restauration en ajustant simplement l’aménagement, notamment en revoyant la configuration des tables ; plus elles sont serrées, plus le volume sonore augmente. Déposer des patins sous les pieds de chaises et des tables est une solution simple qui permet aussi de réduire la gêne occasionnée par le déplacement de ces dernières.

Il existe également des revêtements de sols, muraux ou de mobiliers absorbants voire insonorisants, permettant de diminuer la réverbération du bruit. Il est aussi possible d’utiliser des objets de décoration tels que des nappes acoustiques, des rideaux épais occultants ou encore des îlots et des baffles suspendues. Si ces derniers apportent une correction de la gêne sonore, ils ne sont pas forcément durables. « Les matières ne durent pas dans le temps. Le tissu finit par bailler, ça se tasse très rapidement et c’est très cher » , interpelle Jean-Philippe Lemoine Dudan. Selon lui, l’efficacité du tissu ou de la mousse PVC absorbante qui les composent reste à prouver. Objectif Silence recommande et utilise la mousse de mélamine, qui représenterait, « le seul produit efficace » à ce jour.

PARTAGER