Sébastien Devos : « La transformation de la matière m’a toujours un peu questionné »

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Après 12 années à la tête des cuisines de La Rôtisserie d’Argent (Paris 5e), Sébastien Devos est aujourd’hui chef formateur de L’Atelier des chefs, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Il y organise et pense des stages de cuisine, pâtisserie et divers événements. Champion du monde de l’œuf mayonnaise en 2021, ce chef originaire du Pas-de-Calais entretient depuis une solide relation avec les membres de l’Association pour la sauvegarde de l’œuf mayonnaise (ASOM).

Sébastien Devos. Crédit : Justine Cabelguen-Guyon.

Un sourire aux coins des lèvres et une posture générale laissant présager un tempérament plutôt réservé. Pourtant, dès qu’on évoque avec lui la cuisine, la restauration et son parcours de chef, l’a priori se dissipe. Sébastien Devos se révèle loquace, dans son élément. Notre échange s’est d’ailleurs tenu autour d’une table, au sein de L’Atelier des chefs de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), où il exerce comme chef formateur depuis plus de trois ans. « Au collège, on réfléchissait un peu vers quoi on allait. J’avais des résultats scolaires qui étaient plutôt moyens, donc je me suis dit que je pouvais partir dans la restauration, la cuisine, pour essayer », se remémore le quadragénaire.

C’est dans la maison de ses grands-parents, où il passe régulièrement ses mercredis, qu’il s’émerveille des tablées préparées par sa grand-mère et observe son grand-père récolter les produits du jardin. Sa voisine – qui entasse des fiches-recettes et « cuisinait énormément » – l’inspire aussi. « Un repas de Noël m’avait marqué: un porc au caramel et à l’ananas, confie-t-il. Ces tables de fêtes m’ont toujours attiré. Le service aussi, et puis le côté alchimie: la transformation de la matière m’a toujours un peu questionné.»

De la passion à l’apprentissage

Originaire du Pas-de-Calais, Sébastien Devos est informé par cette voisine de l’existence d’un lycée hôtelier réputé au Touquet. Il y candidate en fin de 3e, et est reçu. « Dès que j’ai su que j’étais admis, j’ai pris 5 points de moyenne sur un trimestre. Il y a eu un avant et un après», lâche l’intéressé. Comme soulagé d’un carcan scolaire trop formel, il passe son BEP et son CAP en même temps, puis enchaîne avec un bac technologique et un BTS.

Durant sa formation, le futur chef effectue un stage (en salle et cuisine) au Relais & Châteaux Le Petit Nice de Gérald Passedat, à Marseille (Bouches-du-Rhône), puis enchaîne avec une mission au Ritz (Paris 1er) dans le cadre d’un repas en l’honneur du chef Guy Legay. «Qu’est-ce que vous faites après l’école ? On cherche du monde ici», lui informe l’hôtel 5 étoiles où il commencera sa carrière. Après quelques années au sein de l’établissement hôtelier de la place Vendôme, Sébastien Devos intègre durant un an l’Astor Saint-Honoré (Paris 8e), puis devient le sous-chef du Café de la Paix (Paris 9e).

Ses années Rôtisserie d’Argent

À l’été 2010, Laurent Delarbre, à la tête des cuisines de la Tour d’Argent (Paris 5e), lui indique que le bistrot du restaurant gastronomique, La Rôtisserie d’Argent, recherche un chef. « Au Café de la paix j’avais fait le tour, et je cherchais justement une place de chef.» C’est ainsi que le Pas-de-Calaisien s’installera pendant près de 12 ans au bord du quai de la Tournelle. « J’ai dû refaire la brigade, soutient-il. On était ouvert 7 j/7, mais ça m’a tout de suite plu. En 2016, on a fait des travaux, on a tout cassé mais on a gardé l’ouverture de la cuisine sur la salle. Ça me plaisait, on voyait les clients manger et leurs réactions quand on envoyait les plats.»

Sébastien Devos propose à La Rôtisserie une cuisine bistrot à partir de produits frais, dans un cadre plus détendu que La Tour d’Argent voisine. Au menu: côte de bœuf, canard de Challans, gibier de saison, palombe, poulet rôti et frites maison. « Tous les matins, le plongeur les rinçait trois fois, avant une cuisson en deux bains. Beaucoup de tables prenaient une assiette de frites, c’est de la gourmandise», note le chef, qui composait une carte classique et évolutive selon la saison. « J’aimais bien être en relation avec mes fournisseurs. J’ai bossé avec Fabrice, un producteur de Bouafle (Yvelines), qui me faisait mes légumes: il avait 10 à 12 sortes de tomates. On s’adaptait à ce qu’il nous livrait durant quelques mois de l’année. Après, j’avais un fournisseur plus classique sur Rungis.»

Tous les standards bistrotiers, comme la blanquette de veau ou le bourguignon, s’invitent régulièrement à une carte offrant aussi des propositions plus bistronomiques: joue de bœuf braisée, cochon de lait kintoa. Les palaces de la capitale n’hésitent pas non plus à le contacter pour savoir si le coq au vin est disponible. « Des clients américains voulaient retrouver ce goût. On avait aussi beaucoup de Japonais qui venaient en manger», confie le chef.

Maître de l’oeuf mayo

En 2020, André Térail, propriétaire du Groupe La Tour d’Argent, soumet l’idée à Sébastien Devos de participer au Championnat du monde de l’œuf mayonnaise : « On est dans un bistrot, ça serait bien de faire le concours ?!» Aux côtés de Yannick Franques, patron des cuisines de la Tour, le chef de la Rôtisserie se lance donc dans la réflexion et des tests. « Je voulais faire quelque chose qui corresponde à la maison. Un œuf mayo de tous les jours, mais avec son petit côté exceptionnel dans l’assaisonnement. Je suis originaire du Pas-de-Calais, donc je me suis dit “Tiens, je vais mettre une pomme de terre dans le plat ”. »

Le chef de l’élégant bistrot de la Rive gauche opte pour un pressé de pommes de terre, cuit au jus de volaille, sur lequel il pose un œuf à l’assaisonnement tout aussi bien pensé : une mayonnaise au vinaigre de Xérès, des graines de moutarde en pickles et une petite pousse de moutarde sur le dessus. « Pour la vinaigrette, j’ai fait pas mal d’essais. Et en fin de compte, c’est la vinaigrette classique que j’ai retenue. Avec un jus de volaille très réduit, pour laquer la pomme de terre, afin que ce soit brillant, joli et bien assaisonné. » Face à des « concurrents de haut niveau » dans ce concours, Sébastien Devos n’était pas forcément confiant en ses chances de victoire.

L’obtention du titre de Champion du monde (2021) de l’œuf mayo lui procura donc une joie « encore plus grande», et l’initia aux médias télévisés et radiophoniques. Mais c’est surtout un lien fort avec les membres de l’Association de sauvegarde de l’œuf mayonnaise (ASOM) qu’il conserve aujourd’hui. « C’est une très belle association où il y a de la bonne humeur. C’est simple, bistrot, convivial.» L’homme de 48 ans, désormais formateur à L’Atelier des chefs, dispose d’un planning plus allégé. «J’ai travaillé pendant 12 ans en coupure quasiment tous les jours. Je cherchais aussi une qualité de vie un peu différente. Ça me permet justement d’aller au restaurant, de voir les amis, de faire les soirées de l’ASOM. J’ai deux enfants que je n’ai pas vus beaucoup quand ils étaient tout petits […] Donc maintenant, j’ai un peu plus le temps de m’en occuper et leur donner goût aux bonnes choses. »

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