Gentiane : la nouvelle vague

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Elles poussent en altitude sur les montagnes du Massif central et donnent un alcool qui vit un véritable renouvellement. Grâce à la tendance de l’amer et du spritz, la gentiane s’invite dans les cocktails. Les fabricants n’hésitent pas à innover en lançant de nouveaux produits qui prennent racine dans cette amertume très recherchée aujourd’hui.

Racines de gentiane. Image d'illustration.
Les racines de gentiane sont arrachées au bout de vingt ans minimum.

La gentiane prend son temps. Pas moins de vingt ans pour être arrachée de ses terres et infusée pour devenir liqueur. Une liqueur qui s’obtient parfois après deux ou trois ans de vieillissement. Et pour revenir sur le devant de la scène, elle aura aussi mis du temps. En revanche, quand l’amer est monté en puissance, elle a su s’engouffrer dans le courant, profitant de la déferlante, le tsunami spritz qui a envahi le secteur CHR. Aujourd’hui, les maisons historiques du Massif central continuent à vendre leur gentiane traditionnelle et n’hésitent pas à innover pour naviguer plus loin sur les flots de l’amer.

La gentiane Salers se positionne à la troisième place sur le marché français. Appartenant au groupe Pagès Vedrenne, elle reste toujours fabriquée et embouteillée à Turenne, en Corrèze. Un maintien de la tradition évident pour le groupe : « C’est un vrai choix que de garder les recettes d’origine. Nous travaillons avec le même agriculteur depuis vingt-cinq ans, qui récolte sur le massif, nettoie et livre directement l’usine corrézienne », assure Sophie Blanchet, responsable marketing et communication. Plusieurs mois de macération sont respectés et le liquide passe ensuite dans des alambics en cuivre avant de vieillir en fûts de chêne durant deux ans. Depuis quelques années, le groupe observe bien la tendance de l’amer : « On le voit sur les ventes, clairement liées à la demande en mixologie ». Alors, pour répondre à cela, l’iconique à 16 °C et la plus puissante à 20 °C ont vu arriver un petit frère, avec un sirop sans alcool amer, mais aussi une grande sœur : la Salers 25. Légèrement plus forte en alcool, elle garde les notes de gentiane, accompagnées de notes d’orange légèrement confites et de framboises, « idéale pour faire un Negroni, ce grand classique de bar ».

Avec ses notes d’orange et de framboises, la Salers 25 s’accorde à la tendance amère en mixologie.

Avec ses notes d’orange et de framboises, la Salers 25 s’accorde à la tendance amère en mixologie.

Bientôt un gin Salers avec de la gentiane

La Salers ne s’arrête pas là et, sous son nom, sortira bientôt un gin, là aussi pour surfer sur la vague gin tonic. Le rapport avec la Salers ? « On comptera 11 botaniques à l’intérieur, dont la racine de gentiane. Ce gin sera distillé à basse température et de manière lente, dans l’usine corrézienne. C’est un pari un peu fou de lancer un gin sous cette marque, mais nous y croyons », confie Sophie Blanchet.

Pagès Vedrenne innove et lance son gin Salers, avec de la gentiane dans la composition.

Pagès Vedrenne innove et lance son gin Salers, avec de la gentiane dans la composition.

Autre gentiane emblématique en Auvergne, l’Avèze, deuxième gentiane au niveau national, qui elle aussi innove et lance quatre nouveaux produits pour donner une nouvelle dimension à l’amer dans les boissons. D’abord, deux produits pour accompagner la bière, « pour remplacer le Picon. On trouvera maintenant une Avèze citron et une à l’orange », explique Philippe Desriviers, directeur d’Avèze.

L’entreprise  de Riom-ès- Montagnes a lancé  deux versions de sa gentiane pour s’allier à la bière.

L’entreprise  de Riom-ès- Montagnes a lancé  deux versions de sa gentiane pour s’allier à la bière.

L’entreprise de Riom-ès-Montagnes a lancé deux versions de sa gentiane pour s’allier à la bière.

Toujours installée et fabriquée à Riom-ès-Montagnes, avec de la gentiane récoltée sur le PNR (parc naturel régional) des volcans d’Auvergne, la marque a même créé une boisson taillée sur mesure pour remplacer l’Aperol : l’Avèze Roll. À associer avec du prosecco et de l’eau pétillante, pour donner naissance à un spritz plus original. « Je sais déjà que certains de nos clients, dans le Sud notamment, associaient notre gentiane à ce cocktail. La gentiane a cette amertume, qui est faite pour ça », admet le directeur.

Avèze lance son Avèze Roll pour répondre à la demande en spritz.

Avèze lance son Avèze Roll pour répondre à la demande en spritz.

Dernière innovation qui arrive sur le marché : l’Avèze bio, un produit pensé au-delà de la tendance spritz, qui s’appuie sur l’alternative bio prônée et voulue par nombre de consommateurs. Les nouveaux produits ont déjà été mis en place à la vente dans l’Espace Avèze, à Riom-ès-Montagnes, et devraient bientôt déferler dans le secteur CHR de l’Auvergne à Paris.

Avèze a sorti une gamme bio pour sa gentiane.

Avèze a sorti une gamme bio pour sa gentiane.

Une madeleine de Proust

Dans le Cantal, la Distillerie Louis Couderc, indépendante et artisanale, œuvre aussi pour amener la gentiane au cœur des créations de cocktails et a clairement observé la tendance auprès de la communauté auvergnate parisienne. « Les jeunes auvergnats de Paris redécouvrent la gentiane, avec cette connotation de madeleine de Proust, qu’ils revendiquent », explique Jean-Jacques Vermeersch.

Le directeur de la Distillerie Couderc explique en partie ce succès « parce que la gentiane était presque devenue exotique. Elle n’avait pas été revisitée. Et les jeunes se sont un peu éloignés du sucre et de l’acidulé, pour redécouvrir l’amertume » , d’où cette mode, qui tourne autour des alcools plutôt associés aux ancien nes générations. Mais l’amertume reste la pierre angulaire d’un équilibre et ce qui charme les bartenders : « c’est un peu la couleur de fond d’une peinture. C’est un goût socle, c’est un goût qui amène de la verticalité ».

La gentiane Couderc fait partie des gentianes historiques dans le Cantal.

La gentiane Couderc fait partie des gentianes historiques dans le Cantal.

La version spritz de Jean-Jacques Vermeersch ? « 4 cl de Fourche du Diable et un pétillant d’Auvergne ». La Fourche du Diable étant l’une des créations de l’entreprise pour apporter un côté citronné à la gentiane. Et si le temps est à la modernité et à l’effet de mode, la maison Couderc n’en oublie pas les fondamentaux, avec la même bouteille qu’en 1900. « La racine reste la même », certifie-t-il.

Au-delà de l’amer, la gentiane continue aussi à véhiculer cette image de naturalité, de sentinelles des montagnes toujours arrachées avec la fameuse fourche du diable. Et si la tendance reste encore au spritz, « la gentiane se déguste toujours avant, pendant et après un repas. Avec des glaçons, pour accompagner un morceau de salers ou de cantal vieux, ou en digestif, en refaisant le monde autour d’elle » . La gentiane garde précieusement cette dimension presque affective d’un produit que l’on associait aux grands-parents et qui a réussi à se hisser dans le panel des saveurs des bartenders et autres accros de la mixologie. Une véritable nouvelle vague.

Gentiana Lutea

Pour éviter de subir l’effet de mode et de voir les ressources diminuées dans le Massif central et ailleurs, l’Association interprofessionnelle de la gentiane jaune Gentiana Lutea veille aux bonnes pratiques d’arrachage pour conserver la durabilité de la ressource. Le 20 mai, Gentiana Lutea a d’ailleurs tenu son assemblée générale au cœur du Cézallier, au buron de Paillasseyre, en présence des acteurs de la filière.

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