Bière : la brune fait de la résistance

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En pleine lumière jusqu’au XVIIIe siècle, la bière brune s’est révélée ensuite plus discrète. Pourtant, si ce segment est aujourd’hui tout petit en France, il n’en reste pas moins dynamique. Trois marques puissantes assurent son avenir.

Dans le secteur CHR, les acheteurs majoritaires de la bière brune sont les cafés. Crédits : La Revue des Comptoirs.
Dans le secteur CHR, les acheteurs majoritaires de la bière brune sont les cafés. Crédits : La Revue des Comptoirs.

L’Europe a été une grande adepte des bières sombres, si bien qu’elle a proposé jusqu’au XVIIIe siècle une multitude de robes ambrées à noires. Sa couleur noire opaque est due à l’utilisation de malts fortement torréfiés. Des écrits mentionnent notamment l’existence d’une certaine Porter au XVIIe siècle, une bière à la couleur sombre très marquée, consommée à Londres et qui semble d’un usage courant. Puis ce type de bière a perdu du terrain face à la montée en puissance des pale ales et lagers, au point de disparaître de certains pays. Depuis, la bière sombre, brune, est devenue une exception tant il semble naturel aujourd’hui de boire des bières claires, voire très claires, qui sont pourtant des inventions récentes.

En grande distribution, circuit sur lequel il est le plus aisé d’obtenir des données pour ce segment, les bières brunes représentent seulement 1,2 % du total du marché. Quand on regarde du côté de France Boissons (de juin à décembre 2021 vs la même période en 2019 qui est l’année de référence), cette catégorie pèse 5,5 % dans l’assortiment total de la bière.

Les acheteurs sont majoritairement les cafés : plus de la moitié des volumes sont vendus à ce type d’établissement CHR.« Cette typologie de bière a souvent été oubliée alors qu’à mon sens elle offre des arômes riches, avec des saveurs proches du chocolat et du café. C’est un réel challenge pour moi de réaliser des créations culinaires en association avec elle. C’est ainsi que j’ai souhaité les allier à des produits plus doux, comme la patate douce mais également acide comme l’orange sanguine », appuie Pierre-Sang Boyer, chef franco-coréen, un fervent défenseur de cette boisson.

Un liquide de connaisseurs

Ce produit trouve donc encore grâce aux yeux des professionnels qui lui conservent une place à la carte de leur établissement, répondant ainsi à la demande d’un public expert. C’est un« liquide de connaisseur, assez atypique, et qui présente des qualités organoleptiques différentes de ce que les consommateurs attendent d’une bière classique »,analyse Olivier Puech, Head of Legal & Corporate Affairs BU South (France, Italy, Spain & Canary Islands) d’Ab InBev. Pour lui aucun doute, les clients sont fidèles au segment lui-même, tant pour le goût que pour la texture et la couleur.

Du côté des brasseurs, aucun travail de dépoussiérage n’a été entrepris, le segment résiste donc essentiellement grâce à quelques marques fortes réservées à des connaisseurs.

Pelforth, marque leader

Au sein de ce segment de niche, trois marques tirent la croissance ; elles appartiennent aux brasseurs leaders du secteur. D’abord, Pelforth brune du groupe Heineken, qui représente le chef de file de la catégorie avec près de 36 % des parts de marché en volume en grande distribution. La référence représente 35 % des volumes de bières brunes en CHR vendues par France Boissons.

La typologie des clients acheteurs de bières brunes chez Heineken est majoritairement les cafés : 67 % de ses volumes sont ainsi distribués auprès de ce circuit. Pour fêter les 100 ans de cette marque aux racines nordistes, elle s’est associée l’an dernier à une brasserie artisanale dans le Nord, Brasserie Saint-Germain/Page 24, pour créer un brassin limité baptisé Plein Nord. Cette bière de stout à la robe ébène est un clin d’œil historique à la naissance de la première Pelforth 43, créée en 1937 lors de l’exposition de Lille qui a rencontré un succès immédiat et a été longtemps presque la seule brune française disponible sur le marché. Ce choix, inspiré des bières d’outre-Manche, était audacieux car à contre-courant des tendances de l’époque où les blondes avaient le vent en poupe.

Leffe prend la deuxième place

Ce brassin exclusif est toujours en vente dans le magasin de la Brasserie Saint-Germain/Page 24. Du côté d’Ab Inbev, Leffe brune constitue la deuxième marque sur le segment des brunes en parts de marché, en volume et en valeur. Depuis son lancement en 2012, ses ventes ont progressé de 89 % pour un chiffre d’affaires annuel au-dessus des 5 M€. Cela représente entre 15 000 et 20 000 hl par an écoulés sur ce segment chaque année.

« Elle poursuit son développement grâce à un groupe de consommateurs fidèles à la fois à la marque et au segment des bières brunes »,explique Olivier Puech.

Guinness reste puissante

Dans ce paysage des brunes, se situe la puissante Guinness, appartenant à Diageo et distribuée par Kronenbourg en France.« C’est une bière qui a une image et une histoire fabuleuse », confirme Philippe Collinet, directeur de la communication externe de Kronenbourg. Elle est très présente en CHR, surtout dans les établissements de nuit, et continue d’incarner la bière du pub avec un fort ancrage dans la culture irlandaise et le monde du rugby. Elle revendique d’ailleurs une présence dans la grande majorité des pubs en France.« On observe un pic de la consommation en CHR pendant les matches de rugby »,confirme Philippe Collinet.

La marque est donc tout naturellement présente dans les bars lors de deux événements : la Saint-Patrick, fête du saint patron de l’Irlande, célébrée le 17 mars, et le Tournoi des Six Nations. À cette occasion (durant les mois de février et mars), Guinness réalise deux fois plus de volumes que lors d’un mois ordinaire. Pendant le Tournoi des Six Nations, la marque anime ses 500 plus gros clients avec un kit d’affichage et des goodies. Guinness continue donc d’attirer la clientèle, à tel point que cette année encore elle est en légère croissance. Il apparaît donc que le marché des bières brunes, si modeste soit-il, possède son propre public, connaisseur et fidèle désireux de transmettre, assurant du même coup son avenir.

La brasserie en bref

Un marché à – 38 % en CHR à cause de la crise et + 8,6 % en GMS

La France, premier pays en nombre de brasseries : 2 300 sur le territoire

8e pays producteur de bières en Europe

70 % des bières consommées en France y sont produites

Plus de 10 000 références de bières différentes

Source : Brasseurs de France, chiffres 2020

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