Bière(s) : des consommateurs plus exigeants, un marché plus compétitif

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Le marché de la bière a explosé en matière d’offres ces dernières années. Même si la blonde classique truste toujours la première place en volume, elle baisse inexorablement au profit de nouvelles bières qui s’installent à table. Une évolution qui s’explique par un changement d’habitudes de la part des consommateurs.

Le marché de la bière évolue.
Le marché de la bière évolue. Crédits : Unsplash.

Voilà 15 ans, les gens entraient dans un restaurant et commandaient une bière. « Ils ne se posaient même pas la question de ce qu’ils allaient boire. Cette bière, c’était une blonde classique, une bière de soif », introduit Océane Beneteau, responsable du restaurant-bar La Tireuse à Biarritz (Pyrénées-Atlantique, 64200).

En 15 ans d’exercice, cette dernière a vu son métier évoluer et sa gamme d’offres s’étoffer. « Aujourd’hui, les consommateurs sont beaucoup plus éduqués. Ils connaissent les différents styles de bières, leurs différences de goût et savent maintenant exactement ce qui leur plaît, tout en souhaitant constamment essayer de nouvelles choses », complète la responsable. Dans cet établissement de la place Sainte-Eugénie, la bière est au centre des attentions.

À la fois bar, snack, restaurant, la Tireuse est avant tout un pub spécialisé dans la bière. L’établissement ne présente pas moins de 20 becs permettant d’avoir une offre de bières pressions aussi large que la longueur du comptoir. À cela, viennent se compléter de nombreuses bières en bouteille. « Nous pouvons présenter jusqu’à 300 références », souligne Océane Beneteau. Ce sont ici 1.500 litres de bière qui sont consommés chaque semaine. Elle pointe du doigt une tendance bien visible, notamment de la part des amateurs de la boisson houblonnée : « Le marché de la bière a explosé ces dernières années en termes de références. »

iÀ Biarritz, le pub La Tireuse propose 20 bières différentes en pression.
À Biarritz, le pub La Tireuse propose 20 bières différentes en pression. Crédits : Antoine Jezequel.

Exit le triptyque blanche, blonde, brune. Le marché a vu naître de nouvelles tendances, de nouveaux styles de bières, le tout dans une perpétuelle recherche de nouveaux goûts. La mode semble aujourd’hui aux IPA, bières d’abbaye, fruitées ou autres bières craft.

Percée de la bière artisanale

Quand bien même la consommation globale de bières ne cesse d’augmenter, le CHR semble encore avoir du mal à retrouver son niveau de consommation d’avant la crise sanitaire. En effet, la consommation moyenne était de 30 litres par an par habitant en 2015, pour 32 litres en 2019, tous circuits confondus, selon le cabinet d’études Xerfi. En 2018, le marché de la bière dans les établissements CHR avait augmenté de 1,8 %. Un accroissement mis à mal par l’apparition de la Covid et la fermeture des cafés et restaurants. « Aujourd’hui, le marché de la bière en CHR est compliqué. Il est en recul en termes de volume car il est impacté par le contexte actuel. La grande distribution a bénéficié des reports durant la Covid », témoigne Louis Pilorge, acheteur spécialisé dans la bière pour le compte de l’enseigne Metro France.

Une tendance qui tranche avec le marché global des liquides, qui, selon lui, « reprend fort ». Pourtant, tous les styles de bières ne sont pas impactés de la même manière par cette tendance. La consommation de blonde classique a chuté de 12,3 % en quatre ans, passant ainsi de 67,5 à 55,2 % entre 2016 et 2020. Une baisse qui s’effectue au profit des bières blanches et des blondes fortes dont la consommation a augmenté de 2 et 3 % sur la même période. Mais outre la typicité de la bière, c’est plus son mode de fabrication qui incite les consommateurs à choisir un breuvage houblonné plutôt qu’un autre.

Quand les bières classiques s’émoussent, les bières artisanales ne cessent de séduire, légitimant leur présence à table. Toujours selon l’institut d’études Xerfi, les ventes de bières artisanales en France représentaient plus de 300 M€ en 2018. Il prévoyait une augmentation de l’ordre de 46 % en à peine deux ans. Cette hausse s’explique aussi par un boom des brasseries artisanales, qui ont connu une augmentation très importante entre 2009 et 2017. Une période durant laquelle le nombre de brasseries a quintuplé, passant de 200 à plus de 1 000 sur l’ensemble du territoire, d’après les chiffres de l’Insee.

De la désaltération à la dégustation

« On voit que les consommateurs sont à la recherche de produits plus locaux et travaillés. La blonde classique fonctionne toujours, mais les consommateurs veulent aussi découvrir des choses atypiques, des produits qui changent. Ils sont de plus en plus curieux », témoigne Audrey Guyonvarch, responsable marketing auprès de Brasserie de Bretagne. Ce brasseur implanté à Concarneau (Finistère), qui a commercialisé 100.000 hl de bière en 2021, a notamment vu sa bière IPA, lancée en 2015, rattraper sa blonde historique. Selon Philippe Collinet, directeur de la communication chez Kronenbourg, c’est
avant tout le paradigme de consommation de la bière qui a évolué. « Nous sommes passées d’une offre essentiellement fondée sur la désaltération à un désir de plus en plus accru de dégustation », analyse-t-il.

Une évolution qui induit une hausse de la qualité des produits proposés et qui se traduit par une croissance du marché plus importante en valeur qu’en volume. « Nous sommes sur une croissance en volume de l’ordre de 3 % pour une croissance en valeur autour des 6 %. Cela montre bien qu’il y a une montée en gamme. » Pour Audrey Guyonvarch, la bière tend à se consommer désormais comme du vin. Une analyse qui a poussé Brasserie de Bretagne à apposer des propositions d’accords mets et bières sur les étiquettes de ses bouteilles.

« On s’efforce de rester collés aux habitudes de consommation »

Une évolution du mode de consommation qui oblige les grands noms de la bière à s’adapter et à diversifier leur offre. « On s’efforce de rester collés aux habitudes de consommation », expose Vincent Fourreau, directeur client chez Heineken. La marque vient de lancer la Heineken silver, une bière présentant moins d’amertume que l’originale grâce à un nouveau procédé de garde à froid. L’entreprise espère ainsi toucher les jeunes adultes avec un produit plus rafraîchissant et moins alcoolisé. À l’inverse, Heineken se positionne également sur le segment des bières non filtrées avec sa marque Gallia. « Une bière brassée en Île-de-France présentant plus d’amertume et de typicité, souligne le directeur client. Les consommateurs sont en recherche d’expérience, de valeur ajoutée. C’est pourquoi il nous faut travailler notre offre afin d’avoir une largeur de gamme et de pouvoir proposer des choses différentes en termes de goût. »

Même son de cloche du côté d’un autre géant de la bière, Kronenbourg, par l’intermédiaire de Philippe Collinet. « L’offre a évolué. Nous sommes passés d’un marché où la bière était monolithique avec surtout des lagers assez amers, à une offre extrêmement diversifiée avec l’arrivée des bières aromatisées, houblonnées, craft, sans alcool, etc. » C’est dans cette idée que Kronenbourg s’est associé à différents brasseurs locaux sur l’ensemble du territoire. Ainsi, elle met à disposition son réseau afin de commercialiser certaines marques de bières, comme la Corse Pietra ou la Basque Eguzki. « Le développement des microbrasseries est très positif car elle rend l’activité proche des gens. Pour tous les Français il y a une brasserie à moins de 50 km de chez eux. Cela a concouru à changer l’image de la bière et à donner une perception du produit plus positive. »

Le sans alcool sur les tables

Autre segment en vogue dans lequel les industriels du secteur ont choisi de s’engouffrer : la bière sans alcool. En 2015, Kronenbourg a lancé la marque Tourtel Twist qui ne cesse aujourd’hui de se développer. « On a créé un produit qui n’existait pas. L’idée était d’avoir un produit proche de la bière en termes de goût, à destination des adultes mais sans alcool », relate Philippe Collinet. Selon les chiffres de la marque, trois bières sur 100 consommées en CHR seraient aujourd’hui des bières sans alcool. Un produit qui, en plus de séduire les amateurs de bières, permet d’élargir le marché.

iLa bière sans alcool séduit de plus en plus de consommateurs et de nombreuses marques choisissent de décliner leurs bières en version «zéro». Ici, la Desperados Virgin.
La bière sans alcool séduit de plus en plus de consommateurs et de nombreuses marques choisissent de décliner leurs bières en version «zéro». Ici, la Desperados Virgin. Crédits : Au Cœur du CHR.

Une véritable tendance de fond sur laquelle Heineken a également choisi de se positionner. En plus de sa Heineken zéro, la marque à l’étoile a lancé il y a un an la Desperados Virgin. « La bière sans alcool est très marquée CHR et représente une part non négligeable du marché. Il est important dans nos métiers de pouvoir proposer cette alternative », souligne Vincent Fourreau.

Élargir et diversifier son offre

Avec la multiplication de l’offre, le marché de la bière est un axe de développement intéressant pour les établissements CHR. Malgré une reprise qui reste timorée à la La bière sans alcool séduit de plus en plus de consommateurs et de nombreuses marques choisissent de décliner leurs bières en version «zéro». Ici, la Desperados Virgin. suite de la crise sanitaire, les professionnels du secteur livrent des conseils pour répondre au mieux aux changements du mode de consommation de la boisson houblonnée. Les professionnels du CHR doivent élargir leur offre.

« Le modèle de la cave à bière est en pleine expansion. L’idée est de pouvoir proposer de nombreuses références en bouteille à la carte », conseille Louis Pilorge. Pour Audrey Guyonvarch, cette offre de bouteilles doit compléter des bières pression proposées. Elle insiste sur la nécessité de mettre en place des becs tournants pour sortir du modèle classique avec deux blondes de soif et une blanche ou une bière d’abbaye. « Les becs tournants permettent de faire goûter et de donner envie aux clients de revenir pour continuer à découvrir de nouvelles choses. Cela permet aussi de casser la saisonnalité de la bière en proposant des éditions limitées comme les bières de Noël en hiver et des bières plus légères en été. » De quoi faire tourner la tireuse à plein régime tout au long de l’année.

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