Bières : les artisans brasseurs appellent les restaurants à miser sur le local

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Avec la crise sanitaire, de nombreux brasseurs artisans s’inquiètent de la commercialisation de leurs bières sur le marché du CHR. Ils alertent les patrons sur l’importance de ne pas priver les consommateurs de leur liberté de choix, tout en insistant sur le réel intérêt qu’ils ont à disposer d’une offre artisanale et locale qualitative.

Trois grands groupes brassicoles dominent le monde de la bière en France : Heineken, Carlsberg qui détient Kronenbourg et AB InBev contrôlent à eux seuls environ 92 % du marché français 1. À côté d’eux se dresse une force tranquille qui avance doucement mais sûrement : 1 600 brasseries indépendantes qui disposent d’une part de marché comprise entre 6 et 8 %. Aux derniers chiffres arrêtés à juin 2019, le marché connaissait une croissance de 16 % annuelle, les brasseurs indépendants étant un réel moteur de la brasserie française. Grâce à eux, la France est devenue le 1er pays européen en nombre de brasseries.

Les brasseurs indépendants ont généré un chiffre d’affaires de 500 M€ et une production de 1 350 000 hl. Mais la crise sanitaire a depuis balayé le paysage brassicole : « On était sur un secteur très dynamique avec une création de 5 à 6 brasseries par semaine, indique Jean-François Drouin, président du Syndicat national des brasseurs indépendants (SNBI) 2. Depuis, la crise nous touche de plein fouet. » Si les brasseurs qui font peu d’hectolitres sont moins touchés car ils sont présents principalement dans les magasins de proximité, sur les marchés, chez les cavistes, ou encore font de la vente en boutique, ce n’est évidemment pas le cas des brasseurs dont une partie de leur activité touche le CHR et l’événementiel. Selon un sondage effectué auprès d’eux par le SNBI, 38 % ont perdu entre 50 % et 70 % de leur CA au premier confinement et 55 % entre 30 % et 70 % ; 23 % estiment avoir perdu entre 50 % et 70 % de leur CA sur toute l’année 2020 et 60 % entre 30 % et 70 % ; et 30 % sont extrêmement inquiets quand 60 % d’entre eux ont des craintes pour l’avenir mais restent optimistes. Un avis partagé par le président du syndicat : « Heureusement, on continue à être un secteur d’activité en croissance. Le produit artisanat-local est un vrai phénomène de fond, preuve en est on continue de recevoir des demandes d’adhésion sur des nouveaux projets de création, ce qui est rassurant. »

Riposte à la concurrence

La principale inquiétude en revanche concerne les promotions appliquées par les grands brasseurs industriels qui eux aussi souffrent de la crise sanitaire : « Ils ont du stock et une capacité de négociation commerciale bien supérieure à la nôtre. Cet été, par exemple, ils ont appliqué de grosses promotions pour déstocker, alors on n’arrivait plus à placer nos produits, analyse le président qui craint aussi que les brasseurs indépendants ne se retrouvent encore plus coincés par les contrats brasseurs. Ils vont jouer le rôle de banquier : je te prête, mais tu achètes exclusivement chez moi. C’est très négatif pour nous, nous ne sommes pas des financeurs de débits de boissons, mais des brasseurs. » La pratique de ces contrats qui existaient déjà avant la crise risquerait donc de s’amplifier. C’est pourquoi le SNBI tient à alerter les entrepreneurs de la restauration sur le fait que « les brasseurs ne sont pas des banquiers et que ces contrats leur coûteront beaucoup plus cher qu’avec une banque. Il faut vraiment être vigilants aux propositions de contrats et de leur renégociation ». Ce sujet est donc au centre des préoccupations des brasseurs indépendants : « Si ce phénomène est amplifié, il n’y aurait plus que de la bière industrielle », regrette Jean-François Drouin. De ce fait, le SNBI s’est fixé un double objectif : travailler le réseau des grossistes en les invitant à avoir de la diversité dans leur gamme sachant qu’aujourd’hui ils distribuent 90 % de bières industrielles et 10 % de bières artisanales, mais aussi faire prendre conscience à leurs clients CHR qu’ils ont un réel intérêt à proposer un produit local, qualitatif et artisanal. « C’est à nous d’aller les voir et de faire preuve de pédagogie, c’est un travail de longue haleine. On doit leur faire goûter nos produits et leur expliquer qu’économiquement ils ne sont pas plus coûteux qu’une bière industrielle car en circuit court on écrase les intermédiaires. »

Ainsi le professionnel s’y retrouverait et le client avec, le tout sans priver ce dernier d’une liberté de choix.

NOTES

1 Chiffres 2018, en volume.

2 Le SNBI est la seule organisation professionnelle qui représente exclusivement les brasseries artisanales et indépendantes. Créé en juin 2016, il compte, à ce jour, plus de 550 adhérents.

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