Cidre, la métamorphose : plus digital, plus affirmé
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Longtemps associé aux crêperies et à une image vieillissante, le cidre opère une véritable mutation ces dernières années.
En 2019, les ventes de cidre ont augmenté de 4 % en volume en circuit CHR. Preuve s’il en est que le modèle « NBCG » associé au cidre, entendez Normandie, Bretagne, crêpes et galettes, évolue peu à peu vers des modes de consommation plus modernes. La première édition de Cidr’Expo en février 2020, premier salon dédié aux professionnels et amateurs de produits cidricoles, reflète cette évolution. Durant trois jours – dont deux réservés aux professionnels -, les visiteurs ont pu découvrir un univers riche de variétés et chargé d’histoire, en pleine évolution. Pourtant, comparé à ses voisins d’outre-Manche, la France reste un petit consommateur de cidre : les Anglais en consomment 900 millions de litres à l’année contre 90 millions en France. « Le marché est en retard en France : en Angleterre, cela fait une décennie que la consommation s’est généralisée, et le marché américain a été multiplié par cinq en dix ans », souligne Jean-François Bougeant, caviste à Étretat et président de l’association Cidr’Expo. Une différence qui peut notamment s’expliquer par son omniprésence dans les pubs et restaurants anglais.
« En France, le CHR est la plus grosse opportunité pour le cidre » , affirme le président de Cidr’Expo. « Pour l’instant il y a peu de distributeurs, mais le potentiel est énorme. » Le cidre coche pourtant toutes les cases pour devenir une boisson phare, surtout chez les jeunes consommateurs : faible degré d’alcool (entre 2 et 8 degrés), peu amer et écologique.
Les vergers cidricoles nécessitent moins de traitements chimiques que ceux où l’on produit des pommes destinées à la consommation et absorbent quantité de CO2. Sur la centaine d’exposants qui étaient présents sur le salon, plus de 30 travaillent en agriculture biologique ou sont en conversion de leur domaine. Une filière qui dispose de tous les atouts nécessaires et qui doit surmonter, elle aussi, la crise sanitaire qui a touché le pays.
Le digital pour plus de visibilité
Comme l’ensemble du secteur, la filière cidricole a durement été impactée par la crise. D’après l’Unicid (Union nationale interprofessionnelle cidricole), les ventes ont baissé de 50 % durant le confinement. « Tous ont été impactés, car beaucoup de cidriers travaillent en vente directe, et ceux qui n’étaient pas distribués en GMS et axaient principalement leurs ventes sur le CHR ont encore été plus durement touchés », souligne Camille Guilleminot, cofondatrice de Calyce Cidre, entreprise spécialisée dans la vente de cidre et cider dans l’Hexagone. « Certains ont misé sur le click and collect, mais cela reste minoritaire : sur la cinquantaine de producteurs avec lesquels nous travaillons, cinq au maximum proposent ce service », résume la cofondatrice. Outre une activité de distribution de cidre auprès des CHR, Calyce Cidre propose des boxes mensuelles de bouteilles de cidre de 33 cl à destination des particuliers. « Pendant le confinement, nos ventes ont été multipliées par 1,5 : c’est bien, mais c’est beaucoup moins que certaines plates-formes de vente en ligne de vin pour lesquelles les ventes ont été multipliées par trois. »
Une différence qui s’explique, selon elle, par un manque de digitalisation des cidriers et un problème de perception des consommateurs. « Le cidre est passé à côté de beaucoup de choses à cause de son image. De plus, comparé au monde la bière ou du vin qui ont déjà pris le virage du digital, certains cidriers commencent tout juste à s’y mettre ou ne veulent tout simplement pas être vendus en ligne. » Ironie du sort, la récolte 2020 en France, un des principaux vergers d’Europe, s’annonce abondante et risque de provoquer des problèmes de stockage des pommes et des bouteilles, accompagnés d’un manque de trésorerie pour la transformation, les cidri-culteurs n’ayant pas pu écouler les produits de la récolte 2019. « Des fruits risquent d’être jetés ou utilisés pour d’autres usages, comme la fabrication de gel hydroalcoolique », redoute Camille Guilleminot.
La filière cidricole a d’ailleurs interpellé le Gouvernement en mai dernier à travers la voix de Thomas Pelletier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits à cidre : « Nous aimerions pouvoir distiller une partie de ce qu’il y a dans nos cuves. Environ 200 000 hl, soit un quart de la production française, nous permettraient de produire du gel hydroalcoolique ou de le rajouter dans l’essence sous forme d’éthanol. Nous réclamons aussi des aides pour la destruction des pommes de la récolte 2020. » Ces aides, estimées à 22 millions d’euros, n’ont été qu’en partie accordées : le 8 juin 2020, Didier Guillaume annonçait une enveloppe de 5 millions d’euros pour la filière cidricole, jugée « pas à la hauteur de l’enjeu », pour huit organisations cidricoles sous l’égide d’Unicid.
L’enveloppe débloquée « représente moins de la moitié de ce qui était demandé pour le retrait de cidres et moins du quart du budget demandé pour l’ensemble des mesures de retrait dont la filière a besoin » . Selon ces cidriers, il faut « construire un plan de retrait des fruits, indispensable pour permettre à la filière de gérer la contraction de certains débouchés du fait de la crise, mais pour l’instant inexistant ». Des doutes ont également été émis quant à l’efficacité des mesures de dégagement prévues dans le cadre des organisations de producteurs, sur financement européen car « très insuffisantes en termes de volumes et d’indemnisation, [elles] laissent de côté tous les producteurs qui ne font pas partie d’organisations de producteurs ».
Identité forte et adaptation du marché
Pour se faire une place sur les tables et les terrasses des établissements français, certaines cidreries misent sur une image de marque forte. On peut penser à la maison basque Kupela – tonneau en basque – qui joue la carte du terroir et de la modernité. L’entreprise produit environ 200 000 bouteilles par an et travaille majoritairement avec des variétés de pommes locales, qu’elle transforme à la fois en cidre, jus et vin de pomme, le Sagardoa, non pétillant. Seuls les cidres sont élaborés avec un quart de pommes normandes. Innovant, Kupela a développé des cidres conditionnés en cannette pour le marché américain. D’autres visent une identité visuelle forte, à l’image de Sassy. Cette jeune maison de cidre, créée il y a cinq ans, a su construire une image de marque forte sur ses bouteilles. Sassy produit annuellement un million de bouteilles tous produits confondus, et exporte son cidre « à la française » 100 % pur jus – en opposition aux ciders américains ou anglais qui contiennent du concentré – vers 15 pays. La jeune marque compte tout particulièrement sur les bars et le CHR pour populariser la consommation de cidre. Elle a, par exemple, développé un cidre rosé, La Sulfureuse, élaboré majoritairement à base de pomme geneva rose. « Les consommateurs habitués à prendre un cidre brut se tournent volontiers vers le cidre rosé l’été, on observe d’ailleurs un pic de sa consommation à cette période », constate Maxime Lesage, directeur commercial CHR de Sassy.
La marque est aussi une des pionnières du format 33 cl, qu’elle commercialise entre 4 et 8 € la bouteille.