Filière brassicole : le houblon sort de l’ombre

  • Temps de lecture : 8 min

Après le réveil de la bière, la renaissance du houblon. Tirée par la croissance des microbrasseries, la filière française du houblon se renouvelle, se structure en interprofession et part à la conquête du bio.

Houblon
Houblon

Depuis 2015, la bière connaît un essor vertigineux. En 2019, sa production en France a ainsi atteint 23,5 Mhl (+ 4,2 % vs 2018) pour un chiffre d’affaires de 3900 millions d’euros (+ 10 %). La croissance est notamment tirée par le CHR (+ 1,8 % en volume). On dénombre 1 600 brasseries en activité (+ 14 %), ce qui fait de la France le 3e pays en nombre de brasseries, selon Brasseurs de France. Le site internet de recensement des brasseries françaises, Projet Amertume, avance même le chiffre de 1716 brasseries en 2020, à mettre en perspective avec les 727 brasseries qui existaient en 2015. Cette croissance effrénée des microbrasseries associée à leur recherche de matière première a pour effet de stimuler la filière du houblon français. Car derrière la bière se cache cet ingrédient essentiel.

Tout se joue au moment de son ajout dans le brassin : c’est lui qui lui donne de l’amertume ou lui confère de puissants arômes. «Son utilisation dans la bière remonte au moins au IXe siècle, car il est mentionné dans un écrit de l’abbé Anségise de l’abbaye Saint-Wandrille », informe Hervé Marziou, biérologue et grand témoin des premières Assises du houblon qui se sont tenues fin août dans le Bas-Rhin.

Les pieds de houblon peuvent aller jusqu’à 6 mètres de haut: ici, la houblonnière du lycée agricole d’Obernai, pionnier du houlon bio.

« Pendant longtemps, en France, les brasseurs achetaient le houblon en fonction de ses acides alpha (NDLR, composés à la saveur amère) et non pour ce qu’il apportait de façon aromatique. Il s’agissait de produire toujours la même bière avec une constance dans l’amertume. Or, avec l’offre des brasseurs américains, le marché a commencé à évoluer. La première en France à avoir réalisé des bières artisanales plus amères a été la Brasserie des Garrigues, à Sommières, il y a vingt ans. Il faut rendre hommage aux brasseurs artisanaux, qui ont réappris aux Français à aimer l’amertume et l’acidité. » On assiste donc aujourd’hui à un vrai tournant : le brasseur va « presque d’abord choisir les molécules aromatiques apportées par le houblon », se réjouit l’expert. La filière française renaît : preuve en est, l’organisation historique des premières Assises du houblon français, ainsi que sa volonté de se structurer en interprofession. « Nous avons déposé les dossiers ; Interhoublon devrait voir le jour au premier semestre 2020. Y seront prises collectivement les grandes décisions à venir pour le houblon français », se félicite Antoine Wuchner, secrétaire général de l’Association générale des producteurs de houblon de France (AGPH) et directeur commercial de Hop France, marque créée par le Comptoir agricole * pour donner de la visibilité aux houblons sur le marché français et international. Ce virage est nécessaire alors que l’Alsace, qui produit près de 95 % du houblon français, compte aujourd’hui moins 470 ha de houblonnières, contre 4 600 pendant l’âge d’or, au début du XXe siècle. En ajoutant une trentaine d’hectares en Flandre, on obtient la quasi-totalité de la surface cultivée aujourd’hui en France, « mais, depuis peu, le houblon se déploie en dehors de ces régions historiques, comme en Normandie, Bretagne, Auvergne et Lorraine, pour répondre aux besoins des brasseurs », relève Antoine Wuchner. L’Hexagone occupe seulement la dixième place, puisque la filière française ne représente que 0,8 % de la production mondiale. Il faut savoir que les fluctuations de marché ont toujours été importantes en raison des variations des volumes de production, l’impossibilité de créer des stocks et la fragilité de la plante. On ne comptait déjà plus que 685 ha de houblonnières en France, à la fin des années 1980, dont 90 % en Alsace, mais le gros contrat pluriannuel en 1970 décroché par les planteurs alsaciens avec le premier brasseur du monde (Anheuser-Busch) avait permis de les relancer dans la région, ainsi que la variété Strisselspalt. Or, en 2008, la filière essuie un gros revers lorsque le brasseur est racheté par le n° 2 du secteur, le belgo-brésilien In-Bev, qui dénonce le contrat : « Les cours se sont effondrés : on est passés à 370 ha de houblon » , explique le secrétaire général. La tendance s’est heureusement inversée depuis et la hausse demeure constante, tirée par une consommation des bières en volume qui décolle depuis 2014. « Les houblonniers déjà existants, au nombre de 47 en Alsace, se développent et plantent de nouvelles variétés, mais on a des difficultés à trouver de nouveaux producteurs, poursuit-il. En effet, les investissements sont lourds : il faut compter 1 M€ pour 10 ha. » Pour accompagner la mutation de ce marché, l’interprofession en cours de création et les Assises nationales sont la pierre angulaire.

TOUS ENGAGÉS

Que ce soient les producteurs ou les brasseurs, c’est l’ensemble de la profession qui se mobilise sous une bannière commune. À commencer par Brasseurs de France, partenaire des Assises nationales : « 99 % des débouchés du houblon concernent la bière ; nous avons cette responsabilité d’accompagner l’amont agricole, de travailler ses matières premières, appuie Maxime Costilhes, délégué général. Il s’agit de définir une stratégie commune de relance et de soutien, d’imaginer l’avenir de la pratique culturale française et la façon de faire correspondre les productions des houblonniers aux besoins des brasseurs. »


Antoine Wuchner, secrétaire général de l’Association générale des producteurs de houblon de France et directeur commercial de Hop France.

Car la filière doit faire face à un double enjeu : satisfaire la demande en houblon français et favoriser les circuits courts. « Tous les départements ont aujourd’hui leur brasserie ; on a besoin d’avoir une production à proximité » , appuie le délégué général de Brasseurs de France. Les premières assises ont d’ailleurs déjà permis d’annoncer la création d’une marque, France Houblon, permettant d’identifier le houblon français, et la création d’un Institut technique du houblon (ITH) qui va reprendre les activités de recherche et d’accompagnement agronomique assurées jusqu’à présent par l’AGPH. La création de nouvelles variétés de houblon constitue un axe prioritaire. « Il y a un décalage entre les variétés françaises, aux arômes fins et subtils et celles, notamment, américaines, qui expriment une grande palette aromatique, très puissante, ce qui correspond aux attentes actuelles de consommation » , explique Antoine Wuchner (AGPH). Depuis 2001, le Comptoir agricole s’est ainsi investi dans un vaste programme de recherche variétale pour pouvoir répondre aux besoins multiples des brasseurs, sachant que le temps nécessaire pour mettre en production une nouvelle variété est de dix à quinze ans. L’entreprise Kronenbourg soutient ce programme, puisqu’elle s’est engagée à verser 300 000 € ces cinq prochaines années, pour « créer de nouveaux houblons susceptibles d’avoir de bons rendements malgré les changements climatiques et proposer plus de variétés amérisantes en vue de répondre aux tendances du marché », souligne Agnès d’Anthonay, directrice des affaires publiques et du développement durable de Kronenbourg. Quant à Heineken, autre membre actif de l’association Brasseurs de France, il participe également activement à la relance de la filière du houblon français. « Dès 2015, nous avons débuté un travail étroit avec les houblonniers alsaciens. Après plusieurs mois d’échanges et de collaboration, nous avons signé un partenariat nous permettant de créer les nouvelles recettes de notre gamme Fischer avec du houblon 100 % alsacien » , informe Heineken France. Ainsi, le travail réalisé depuis près de cinq ans entre la brasserie de Schiltigheim et le Comptoir agricole a permis la création d’une recette inédite : la Fischer 3 Houblons, au succès confirmé avec + 18,9 % en valeur en 2018 (selon Iri). « Cette collaboration nous permet aujourd’hui de brasser la totalité de notre gamme Fischer (NDLR : Fischer, Tradition, Doreleï, Noël & 3 Houblons Alsaciens), avec des houblons alsaciens, permettant ainsi d’ancrer toujours plus notre production dans son terroir et le faire rayonner au-delà de ses frontières. » Cette mobilisation générale de la filière concerne également le houblon bio dont la demande explose.

Agnès d’Anthonay, directrice des affaires publiques et du développement durable de Kronenbourg.

VERS PLUS DE BIO

Face à une demande de plus en plus pressante de la part des microbrasseurs, l’approvisionnement en houblon certifié bio constitue un réel enjeu, et ce à double titre. Déjà parce qu’il est difficile d’en trouver de façon régulière et en quantité suffisante, mais aussi en raison des modalités de dénomination qui vont prochainement évoluer. Jusqu’alors, pour faire face à la difficulté d’en trouver, il était possible d’utiliser du houblon conventionnel dans une bière bio, sous réserve que le brasseur ait obtenu une dérogation d’une durée d’un an (renouvelable à trois reprises) de la part du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Mais dès 2021, l’entrée en vigueur d’un nouveau règlement européen relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques va réduire la durée de validité de cette dérogation à six mois, renouvelable deux fois. Actuellement, 29 ha sont en bio ou en cours de conversion. Presque 35 ha sont en projet de conversion, pour arriver à 64 ha en 2021, soit 13,6% de la surface totale et 15 de plus pour atteindre 80 ha en 2022. «C’est cette demande en bio qui a boosté le développement des houblonnières hors des régions historiques », souligne Maxime Costilhes (Brasseurs de France). « Ce marché est en plein essor à l’étranger; il faut être prudent et s’assurer de produire et de commercialiser localement un houblon de qualité », poursuit Antoine Wuchner (AGPH). La plus grosse culture bio vient du lycée agricole d’Obernai, qui se trouve à quelques mètres de la brasserie Kronenbourg: près de 15 ha y sont ainsi cultivés sur la surface totale, ce qui représente 3,6% de la surface alsacienne. « Il y a dix ans, ce lycée a été désigné comme pilote pour développer les pratiques en agroécologie dans la culture du houblon, informe Agnès d’Anthonay (Kronenbourg). Il s’agit de redonner au sol sa capacité de fertilisant et de protecteur naturel.» La conversion en bio a débuté en 2009, pour une première récolte qui a eu lieu en 2012. D’ici 2020, 30 autres hectares seront convertis. La fondation Kronenbourg, qui s’est rapprochée du lycée en 2017, a souhaité s’associer à la démarche et se consacrer elle aussi à l’amont agricole. Le projet Agrohoublon, qui encourage la transition agroécologique dans la culture du houblon, ainsi vu le jour, fruit d’un travail commun avec le lycée, l’association des producteurs de houblons alsaciens, ainsi que le mouvement Pourune agriculture du vivant. « On a voulu jouer le rôle de catalyseur auprès des producteurs pour les accompagner dans leur transition vers l’agriculture durable», appuie Agnès d’Anthonay. Deux journées de sensibilisation et de formation technique ont eu lieu en octobre et en décembre, en vue de la rédaction d’un document de référence début mars. Les premières parcelles respectant le principe de l’agroécologie devraient quant à elles être plantées au mois de mai. « L’idée n’est pas d’opposer le conventionnel à ce nouveau type de culture; on souhaite simplement accompagner d’autres modèles. Modifier les pratiques agricoles peut aussi aider à résoudre le problème du réchauffement climatique », conclue-t-elle. Et, pourquoi pas, susciter des vocations auprès des planteurs de houblon…

© Missy Fant/Unsplash

NOTE

* Comptoir agricole est le premier producteur de houblon en France, avec 800 tonnes.

PARTAGER