La propriété des terres agricoles françaises en pleine évolution

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Si la propriété agricole en France a longtemps été familiale et testamentaire, un phénomène de financiarisation, à travers des sociétés d’exploitation, se met en place et semble se développer. Le nombre de ces sociétés a doublé en l’espace de 30 ans.

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La propriété des terres agricoles françaises en pleine évolution. Crédits : Pixabay.

En ce jour de 2015, la France est en émoi. Une société chinoise vient d’annoncer le rachat de 1.700 ha de terres agricoles dans l’Indre et de 900 ha dans l’Allier. Deux années plus tard, le député Dominique Potier fait une proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et lance au cœur de l’Hémicycle : « Derrière un Chinois, il y a 99 Gaulois ». Derrière cette position, il y a la réalité du terrain. L’association Terre de Liens vient de publier une enquête autour de la question de la propriété agricole en France, une première depuis 1992. Le constat est sans appel : les sociétés agricoles à capital ouvert ont doublé depuis 30 ans et elles grignotent inlassablement des terres aux exploitations familiales.

La propriété agricole en France

Selon une étude du ministère de l’Agriculture en 2020, la France compte près de 496.000 agriculteurs et 4,2 millions de propriétaires de terres agricoles. Ces chiffres parlent d’eux-même : contrairement à l’idée reçue, une grande majorité des exploitants sont locataires de leurs terrains. Si le fermage en France garantit un droit d’usage autonome et de long terme, le propriétaire des terres garde néanmoins une grande liberté décisionnelle sur les baux (vente, location ou prêt) et les conditions de mise en place (modalité, prix et durée). Par ces biais, les détenteurs ont un impact majeur sur l’usage des terres agricoles françaises, et notamment sur la production alimentaire et la protection (ou non) de l’environnement.

Un tabou sur la propriété agricole interroge au sein des institutions politiques. Dès 1977, Edgard Pisani, ancien ministre de l’Agriculture, déclarait que « l’administration refuse de connaître la propriété, espérant ainsi la protéger. » En 2023, ce constat reste à l’ordre du jour. En effet, depuis 1992, aucune enquête gouvernementale n’a été menée autour de la propriété des terres agricoles françaises. Maurice Desriers, ancien responsable au service statistique du ministère de l’Agriculture s’inquiète : « La connaissance de la propriété agricole devrait être un élément clé pour piloter les installations et éclairer le débat public récurrent sur l’accaparement des terres », déclare-t-il.

Se saisissant de la question, l’association Terre de Liens met en avant une évolution importante depuis cette dernière enquête. En effet, la propriété agricole était détenue à 62% par des exploitations familiales et des fermes transmises de génération en génération. Mais depuis cette époque, la France a perdu près de 100.000 emplois agricoles, selon le ministère de l’Agriculture, et 60% des candidats à l’installation ne sont pas, aujourd’hui, issus du monde agricole.

Les investisseurs non agricoles omniprésents

Selon les chiffres du ministère de l’Agriculture toujours, une ferme sur dix est aujourd’hui la propriété d’une société agricole financiarisée, à capital ouvert. Si durant des années, ces entreprises passaient par la contractualisation avec les agriculteurs pour des exploitations provisoires, la tendance évolue largement. En effet, des entreprises comme Euricom dans les Bouches-du-Rhône, ou Chanel et l’Oréal dans les Alpes-Maritimes, ont entamé une politique d’acquisition de nombreux hectares pour satisfaire leurs productions respectives.

Si le volume de terre détenu par ces sociétés demeure encore anecdotique dans l’Hexagone (14 % de la surface agricole disponible), leur part a doublé depuis la dernière enquête de 1992. De nombreux organismes, comme Terre de Liens, s’inquiètent que ce phénomène prenne encore de l’ampleur. En effet, avec le départ à la retraite d’un quart des agriculteurs en France d’ici 2030, auquel s’ajoute l’absence de repreneurs directs, les acteurs anticipent des rachats massifs de la part des investisseurs non agricoles. « Le foncier agricole est aujourd’hui convoité par l’agriculture de firmes dans laquelle les intérêts financiers prennent le pas sur les considérations alimentaires », pointe un groupe de députés en charge de la mission d’information sur le foncier agricole.

Avec le développement de telles structures, les terres autrefois détenues par des associés exploitants ont progressivement basculé dans le capital des sociétés. Or, la cession de parts à de nouveaux associés permet également de transférer la propriété des terres. Pour les investisseurs, rien de plus simple : une ferme autrefois familiale est transformée en SCEA (Société civile d’exploitation agricole), avant qu’ils n’achètent des parts de celle-ci puis ne prennent le contrôle total de l’exploitation. En 2021, 4.750 sociétés agricoles ont ainsi fait l’objet d’un ou plusieurs transferts de parts sociales. La Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) estime qu’au moins 200.000 ha transitent chaque année par ce marché parallèle…

Jusqu’à récemment, le type de montage financier échappait à toute régulation de ventes. La loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, oblige les notaires à informer les Safer des projets de vente de parts à des sociétés agricoles. Mais cette même loi ne prend pas en compte le problème d’opacité des prix, et donc de spéculation. Par ailleurs, la Safer n’obtient, par la loi de 2014, le droit de préemption sur les ventes de parts sociales que lorsque 100% de ces dernières sont mises en vente lors d’une seule et même transaction. Cette disposition est donc rapidement et facilement contournable. En 2021, 3% des cas de cessions concernaient des cessions dites totales. Autant dire que la Safer n’a pas pu faire valoir sa voix.

Des revendications claires

Souhaitée par le Président de la République Emmanuel Macron, la loi d’orientation agricole est l’occasion pour les défenseurs de l’exploitation dite familiale de faire part de leurs revendications. L’association Terre de Liens, en lien direct avec plus de 200 propriétaires fermiers, les affichent nettement : la transparence de la propriété agricole et leur usage, inciter les propriétaires fonciers à maintenir la vocation agricole des terres, le renfort de la régulation des terres agricoles et la favorisation du portage foncier non lucratif pour faciliter les installations.

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