Surfer sur la différence

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Si l’eau est omniprésente sur vos tables, elle en est rarement le centre de l’attention. Pourtant, il existe aujourd’hui de nombreuses offres qui tentent de réhabiliter l’eau, comme un mets à part entière.

C’est malheureux mais on peut encore entendre en salle des phrases comme : “Je vous sers une carafe d’eau ?” Si l’on se compare à nos voisins espagnols ou italiens, eux la première question qu’ils posent est : “Voulez-vous une eau minérale plate ou gazeuse ?” C’est important, car le terme minéral conditionne le client, notamment à la bouteille en verre.

Alors, certes, en France la législation dit qu’un client doit pouvoir disposer, s’il le souhaite, d’eau en carafe gratuitement lors d’un repas, mais rien ne stipule que le restaurateur est tenu de lui proposer en premier ! » Ce constat est formulé par Jean Robert, président des eaux de Saint-Géron, et résume une des problématiques auxquelles sont confrontés les producteurs et les chefs d’établissement pour qui l’eau reste un produit paradoxal : un incontournable des repas mais au potentiel souvent sous-estimé.

L’eau au naturel

Dans un marché actuel qui continue de se diversifier pour mieux s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation, les deux mastodontes que sont Danone Eaux (Badoit, Evian) et Nestlé Waters (Perrier Fines Bulles, San Pellegrino, Vittel) restent les figures de proue auprès des professionnels. Alexandre Varo, directeur national des ventes pour Nestlé Waters, nous en dit plus sur les enjeux du moment : « En comparaison du marché hors domicile où nous sommes très réactifs et attentifs, celui du CHR ne montre pas de signes de révolution majeure. Nos produits sont reconnus dans le monde pour leurs qualités. Vittel se démarque par son goût et est implanté dans la gastronomie tandis que San Pellegrino est un incontournable qui possède un taux de prise toujours très intéressant dans les eaux gazeuses. Dans le contexte actuel, la chose importante qu’il faut souligner pour les restaurateurs c’est qu’il est indispensable de proposer une offre 100 % naturelle. Dans cette logique nous défendons également, en collaboration avec les distributeurs, le verre consigné. C’est un geste écologique important. »

Dans l’ombre des deux géants, d’autres protagonistes tentent de se faire une place, mais la concurrence est vive. Il faut donc se différencier et redoubler d’effort pour attirer l’attention des professionnels : « Nos problématiques sont liées à la connaissance et à l’identification du produit, poursuit Jean Robert. Nous ne pouvons pas orchestrer un marketing d’enfer alors nous prenons le temps de rencontrer les restaurateurs, de leur présenter notre eau.

C’est pour ça que nous sommes très présents sur les salons. » Mais comme le soulignait Alexandre Varo, l’intérêt des consommateurs pour les produits naturels se répercute également sur ce marché, et les petites maisons en profitent pour faire valoir la qualité exceptionnelle de leurs eaux ainsi que les terroirs dont elles sont issues. Chez Velleminfroy, par exemple, c’est l’argument santé qui est le moteur commercial principal, comme nous l’explique le directeur commercial Nicolas Kail : « Aujourd’hui, nous sommes une des rares eaux certifiées zéro nitrate. Nous n’avons pas peur de parler technique, composition, minéralité, lorsqu’on présente notre eau, c’est ce qui nous différencie. Tout comme notre histoire, qui remonte à l’époque de Napoléon III à laquelle notre source a été inscrite à l’Académie impériale de médecine. Notre rapport à la concurrence est donc relatif : on a à la fois mille concurrents et aucun ! » Même logique chez l’eau naturellement gazeuse de Saint-Géron où l’on parle sans filtre de pH, de bicarbonate, de taux de minéralité, etc.

Sortir des palaces

Ces dynamiques s’inscrivent dans la démocratisation de la consommation de ces eaux, qu’on appelle parfois « premium », « gourmets » ou « de luxe ». En témoigne le terme sommelier en eau qui n’est plus aussi incongru qu’il y a quelques années, ou l’organisation d’événements exceptionnels, comme le Concours international des eaux gourmets, lancé par l’Agence pour la valorisation des produits agricoles (AVPA) et dont la deuxième édition a eu lieu en mars dernier. À tel point que nos protagonistes envisagent de plus en plus de sortir leurs produits des grandes tables où elles étaient jusqu’ici confinées. « Notre clientèle historique est constituée de restaurants gastronomiques, précise le président des eaux de Saint-Géron.

Cependant, on remarque que des établissements moins huppés s’intéressent à nous. Aujourd’hui on trouve, par exemple, de la Saint-Géron dans une pizzeria ! » Velleminfroy vient d’imaginer une nouvelle bouteille : « C’est tout récent, depuis le 2 novembre nous avons sorti une bouteille en verre d’un litre, raconte Nicolas Kail. Elle s’adresse d’abord aux magasins bio mais nous comptons la proposer en restauration traditionnelle et dans les brasseries. Son prix sur table est évalué entre 4 et 7 euros (contre 7 ou 10 euros pour la bouteille classique). » Nestlé Waters n’ignore pas cette montée en gamme de l’offre, c’est pourquoi Alexandre Varo précise que leur marque Acqua Panna peut s’inscrire dans cette mouvance.

Soigner son look

Enfin, la différenciation est esthétique puisqu’une belle bouteille partici pe à l’acceptation par le consommateur de son prix. « Les restaurateurs imaginent des plans de table personnels, et notre produit doit s’y intégrer harmonieusement, précise le directeur commercial de Velleminfroy. Nous avons mis beaucoup d’efforts dans le design de nos bouteilles, c’est une plus-value. »

À Saint-Géron, on joue plutôt sur le format, avec une bouteille de 75 cl et une de 37,5 cl, pour rappeler avec malice que l’eau peut s’apprécier comme du vin. Un parallèle qui souligne l’engagement qualitatif de ces entreprises qui ne doivent pas seulement se différencier entre elles mais aussi vis-à-vis des acteurs des eaux microfiltrées.

Car si la présence en salle de ces dernières leur fait parfois grincer des dents, elles restent une alternative toujours d’actualité chez les restaurateurs.

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