Le grand trou noir de l’hôtellerie

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Depuis un an, l’hôtellerie traverse un long tunnel. Même si pour certains l’été a permis de souffler, les situations financières restent très tendues. Nous sommes allés à la rencontre d’hôteliers, et nombre d’entre eux nous ont fait part de leurs inquiétudes quant au financement de la relance sur le secteur.

« Nous sommes les parents pauvres du tourisme, se désole Christophe Delahaye, hôtelier à la Baule. Un an d’épidémie a eu raison de sa trésorerie et d’une bonne partie de son PGE. Cependant, il estime qu’il n’est pas le plus à plaindre, car positionné sur une destination touristique et propriétaire depuis 13 ans de l’établissement. Mais il a l’impression que l’aide n’a pas été à la hauteur du choc subi. Laurent Duc, le président de la branche hôtellerie indépendante de l’Umih est du même avis. Il met en avant les frais fixes et les loyers considérables que doivent supporter les hôteliers : « Nous avons également de nombreuses charges incontournables. Nous continuons à payer des redevances télévision pour des chambres vides. Beaucoup de communes n’ont pas renoncé à percevoir la Cotisation financière des entreprises. On voit aussi que durant la crise, les restaurateurs n’ont pas à intégrer dans leurs calculs fiscaux la VAE. Or les hôteliers doivent déclarer leur room service car notre code NAF est différent. » Dès le début de la crise, la confusion régnait comme le décrit Jean Lavergne, hôtelier aurillacois : « Les transports ne fonctionnaient plus. En outre, le président de la République parlait de la fermeture des hôtels-restaurants alors que l’hébergement n’était pas concerné par le décret. » Cette période de flottement a conduit beaucoup d’hôteliers à fermer prématurément. Certains, notamment à Paris, n’ont pas rouvert depuis lors. Durant de la crise, les professionnels ont tâtonné comme l’exprime Bertrand Jallerat, hôtelier chartrain : « J’ai l’impression d’avoir passé une année dans une essoreuse, je n’avais aucune visibilité, les informations contradictoires se succédaient. » Même les hôteliers bien assurés étaient encore moins bien lotis que les restaurateurs car aucune fermeture administrative ne pesait sur eux. « Le contrat d’assurance négocié via notre coopérative The Original Hotels prévoyait la pandémie, mais l’assureur refuse toujours de reconnaître sa responsabilité », note Jean Lavergne. En hôtellerie, la question de l’endettement est essentielle. Elle absorbe une part significative du CA. Philippe Vaurs qui dirige un groupe de 20 hôtels parisiens explique comment sa trésorerie a fondu comme neige au soleil au long de l’année 2020 avant que, en décembre, de nouvelles mesures d’indemnisations gouvernementales ne viennent lui fournir une bouée de sauvetage. « Cela nous a permis de tenir par rapport aux frais fixes, assure-t-il. Jusqu’au mois de mars, nous avions un moratoire qui nous permettait de reporter le remboursement du capital et des intérêts de nos emprunts. C’est aujourd’hui remis en question, mais il semble qu’on s’achemine vers une solution médiane : report du remboursement du capital et versement des intérêts. »

LA RELANCE

Régulièrement, Laurent Duc monte au créneau. La semaine dernière, il négociait avec un conseiller du ministère de l’Économie et des Finances. Il exigeait la reconduction des aides accordées à la profession et ne veut pas entendre parler de diminution ou de limitation dans le temps car pour lui le redémarrage de l’hôtellerie risque d’être beaucoup plus long que celui de la restauration, notamment dans les grandes villes. Les hôteliers de province ont en eff et des raisons de nourrir un certain optimisme. Leur clientèle, essentiellement française, témoigne d’une volonté de retrouver ses habitudes. Antoine Bancharel hôtelier à Salers (Cantal) se montre confiant en regardant son carnet de réservation : « On voit que les clients ont hâte de venir. Nous n’attendons plus qu’une date, celle de la réouverture des restaurants qui relancera vraiment l’activité. » Non loin de là, à Aurillac, Jean Lavergne partage ce point de vue : « Je pense qu’il peut y avoir une reprise assez rapide, notamment en province, mais il ne faut pas que les secousses financières générales de l’après-crise viennent perturber la relance. »

La force d’une chaîne

JEAN LAVERGNE/CHAINE NATIONALE

À partir du 14 mars, la situation des 500 hôteliers fédérés par la chaîne volontaire The Originals est devenue compliquée car l’activité des établissements a été totalement interrompue. La confusion régnait. « Les adhérents étaient déboussolés, raconte Jean Lavergne. Ils ne connaissaient pas la nature des aides et lorsqu’ils sont allés trouver leurs banquiers pour trouver des PGE, dans un premier temps, ces derniers leur ont parfois opposé des refus qui n’étaient pas justifiés. »

Mais « la structure de notre coopérative a permis de soutenir les adhérents, estime Jean Lavergne . Nous avons créé immédiatement des modules d’information sur webinar. Chaque jour, nous abordions un sujet différent. Cette initiative a rencontré un vif succès avec un fort taux de connexion de la part des hôteliers mais aussi de leurs employés. Nous avons été surpris par le bon redémarrage de l’activité au mois de juin dans les établissements de province. À Paris, la situation était malheureusement plus difficile ». Le 2e confinement a plongé les hôteliers du groupement dans une déprime lourde et pesante. Pourtant, la résistance s’est organisée chez ces indépendants aux grandes facultés d’adaptation. Ils ont su attirer la clientèle d’affaires en développant des formules de room service séduisantes réalisées à partir d’un restaurant ou d’un traiteur local. Cela leur a permis de gagner des parts de marché. Jean Lavergne reconnaît que depuis le mois de décembre, l’aide gouvernementale est à la hauteur du problème : « Auparavant, elle était insuffisante et comportait trop d’exceptions. Mes hôtels personnels, par exemple, sont rattachés à un holding familial et nous n’avons pas eu accès au fonds de solidarité. »

Choc frontal pour l’hôtellerie parisienne

PHILIPPE VAURS/GROUPE PARISIEN

Président d’un groupe hôtelier purement parisien qui rassemble 20 hôtels, Philippe Vaurs n’a enregistré aucune activité depuis un an. En juin, il a tenté de rouvrir quelques établissements, mais les a vite refermés faute de fréquentation, à l’exception du Félicien (Paris 16e) même si ce dernier établissement affiche des performances très modestes soit 35 à 40 % de taux d’occupation en janvier-février et avec des prix cassés. Aujourd’hui, la quasi-totalité des 400 employés du groupe est au chômage partiel en dehors de l’équipe du Félicien et d’un groupe de 10 employés chargés de la maintenance du parc. « Au départ, nous avons accusé le choc, explique Philippe Vaurs. Il fallait fermer les hôtels, les sécuriser, négocier avec les banques, préparer les PGE, maintenir le contact avec nos salariés. Ensuite, nous avons organisé notre survie. » Cet été, un hôtel, le Chouchou, a été inauguré. Mais vu son TO (20 %), il a été vite fermé. Philippe Vaurs reconnaît qu’au mois d’octobre l’inquiétude financière était à son comble. « Heureusement à partir de décembre, l’État a accepté de nous verser 20 % de notre CA de l’année précédente, indique Philippe Vaurs. Je reconnais que le Gouvernement a été exemplaire avec les hôteliers. » Le président d’Elegancia reste pessimiste sur la reprise rapide de l’hôtellerie parisienne car il souligne l’étroite dépendance du secteur vis-à-vis du tourisme international. Pour lui, 2022 sera l’année de tous les dangers sur le plan économique avant un retour à la normale en 2023.

Un été qui rassure

BERTRAND JALLERAT/GROUPE FAMILIAL

À Chartres, Bertrand et Nathalie Jallerat détiennent le Grand Monarque, un hôtel (4*) de 58 chambres, mais aussi trois autres enseignes, un Mercure sans restaurant (4*), un Logis (3*) et un Première Classe (2*). C’est leur hôtel économique qui tire le mieux son épingle du jeu en parvenant à enregistrer un TO variant entre 55 et 65 %. Mais le joyau du groupe familial, le Grand Monarque a perdu l’année passée 70 % de son CA. « L’hôtel ne dispose que de 58 chambres, rappelle Bertrand Jallerat, et les trois quarts du CA proviennent de la restauration. » Le groupe familial a été touché de plein fouet par le premier confinement. Employant plus de 50 personnes et étant organisé en holding familial, Bertrand Jallerat n’a pas pu accéder au fonds de solidarité. Il lui a fallu attendre les mesures de décembre pour obtenir une indemnisation qui permet désormais de compenser en partie les pertes financières résultant des frais fixes. Mais entre mars et décembre de l’année passée, la quasi-totalité de sa trésorerie a fondu. Elle est indispensable au fonctionnement dans une perspective de redémarrage. Bertrand Jallerat devra sans doute recourir à un emprunt pour reconstituer ce fonds de roulement. Pourtant l’hôtelier chartrain reconnaît avoir davantage de chances que ses collègues parisiens. Durant l’été, le redémarrage a été rapide. Au mois de juillet, le Grand Monarque a réalisé un CA supérieur à celui de juillet 2019 alors que le TO de l’hébergement était orienté à la baisse. Ainsi pendant le second semestre, malgré le second confinement, le groupe a limité le recul de CA à 40 % par rapport à la même période de 2019.

Frémissement palpable

CHRISTOPHE DELAHAYE/INDÉPENDANT MER

Installé depuis 13 ans à la tête du Lutétia, un hôtel 3* de la Baule comportant 25 chambres avec spa, Christophe Delahaye a fermé son établissement au moment du premier confinement. Il aurait eu la latitude d’ouvrir en avril, mais un arrêté préfectoral l’en a empêché. Les autorités craignaient que les Parisiens en villégiature viennent contaminer la population de Loire-Atlantique. Il a cependant ouvert au début mai et la fréquentation est repartie avec l’ouverture locale des restaurants le 11 mai. « Je me suis aperçu à l’occasion de cette crise à quel point les purs hôteliers étaient dépendants des restaurants, assure-t-il. Comme la plupart des patrons des 10 établissements adhérents au club hôtelier local qu’il préside, Christophe Delahaye a eu recours à un PGE dans lequel il a dû largement puiser pour faire face à ses frais fixes. Il déplore les fameux trous dans la raquette de l’aide : « D’abord, notre résultat, pourtant bien modeste, nous en a privé. Mais de toute manière, mes collègues éligibles n’ont obtenu au mieux que 1 500 € mensuels. Ensuite, comme nous perdions moins de 70 % de notre ancien CA, nous n’avons rien obtenu. » Après une tentative infructueuse de réouverture de l’hôtel pour les fêtes de fin d’année 2020, Christophe Delahaye a profité des vacances de février pour tenter à nouveau l’expérience en fournissant à ses clients la liste de tous les restaurants pratiquant le click & collect ou la livraison dans les environs. Il a aussi mis à disposition de la vaisselle et des micro-ondes. Surprise, entre le 15 et le 28 février, le Lutétia a affiché un TO de 80 %. Ce rayon de soleil dans la grisaille est encourageant dans la perspective d’une éventuelle reprise.

Le problème des frais fixes

LAURENT DUC/INDÉPENDANT UMIH

Laurent Duc, président de la branche hôtellerie de l’Umih exploite un hôtel de 100 chambres à Villeurbanne. L’établissement qui ne dispose pas de restaurant a vu son chiffre d’affaires reculer de 50 % durant l’année qui vient de s’écouler. « Je suis un nanti, affirme Laurent Duc, avec ironie, je sais que beaucoup de mes collègues de mes collègues sont plus touchés. » Néanmoins, le responsable syndical rappelle qu’en réalité sa situation est peu enviable. « Nous remplissons l’hôtel avec les VRP, mais aussi une clientèle de passage difficile, voire imposée par les autorités. Les dégradations sont monnaie courante. » L’hôtelier rhodanien rappelle également que cette « performance » si modeste soit-elle le coupe de l’accès au fonds de solidarité. « Je suis parfois à deux doigts de fermer l’établissement, le résultat serait le même », reconnaît-il. En un an, Laurent Duc a dû largement entamer le Prêt garanti par l’État qu’il avait contracté en début de crise. Pour lui, l’État n’a pas bien mesuré l’importance des frais fixes des hôteliers. « Le loyer, détaille-t-il, absorbe un tiers des recettes. Cela n’a rien de commun avec la restauration. Pour réaliser 2 M€ de CA, un restaurateur a besoin de 350 m2. Pour atteindre le même objectif, un hôtelier a besoin de dix fois plus de surface. » Sans trésorerie, il se demande aujourd’hui de quelle manière il va alimenter une relance qui selon lui s’annonce plus longue que dans le secteur de la restauration : « On parle d’une relance du trafic aérien en 2024 et de reconstruire des Airbus seulement à partir de 2026. Ce n’est pas demain qu’on verra la grande clientèle internationale revenir en France. Elle est déterminante pour nos hôtels. »

Une casse limitée

ANTOINE BANCAREL/INDÉPENDANT CANTAL

Antoine Bancarel et son épouse Marion ont pris en main le Bailliage, à Salers (Cantal), un hôtel-restaurant de 23 chambres un mois et demi avant le premier confinement. Malgré tout, avec un CA en recul de 30 %, ils font figure de miraculés. S’ils ont dû se résoudre à fermer l’hôtel durant le premier confinement. Dès le 2 juin, jour de la réouverture, l’activité a repris un rythme normal. Jusqu’en septembre, l’hébergement a affiché complet. « C’est généralement ce qui se passe chaque année, explique Antoine Bancarel, mais la restauration était en progression. » Fin octobre, l’hôtelier a dû anticiper d’un mois la date de fermeture saisonnière et en février, il a envisagé un moment de rouvrir pour profiter des vacances scolaires en mettant en place un room service. Il y a renoncé au dernier moment alors que des rumeurs planaient sur des menaces de reconfinement. Mais il a mis à profit le temps qui lui était donné pour effectuer des travaux dans l’hôtel et organiser des formations. C’est aussi le moment qu’il a choisi pour augmenter la part de CDI dans l’entreprise et porter le noyau dur des permanents à 14 employés. Une manière pour lui de stabiliser durablement une équipe. Désormais, il est fermement décidé à rouvrir en avril avec room service et VAE. Une équipe de tournage qui prépare un long métrage dans le Cantal a réservé pour ce mois et assure une fréquentation minimale à l’hôtel. « Sans restaurant, difficile de faire venir les clients dans l’hôtel. La table du Bailliage assure 60 % du CA de l’établissement. La VAE ne pourra jamais compenser un ticket moyen de 45 € », observe le patron de l’hôtel.

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