Une reprise à deux vitesses

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La psychose de la Covid-19 est pratiquement inexistante à Marseille, qui remplit ses terrasses le soir venu. Pourtant, dans cette ville qui dépend désormais du tourisme, les CHR déplorent des baisses de fréquentation. Seul le retour durable des visiteurs étrangers, des séminaires et congrès permettra de relancer totalement l’activité.

La façade maritime de Marseille est trompeuse avec ses vues du Mucem, du Vieux-Port, des docks rénovés, ou encore du palais du Pharo devant lequel Martine Vassal, candidate de la majorité sortante aux dernières municipales, aimait s’afficher durant la campagne électorale. Mais comme dans un théâtre, derrière ce décor majestueux, la réalité de la ville est très différente. Il suffit de s’écarter de 100 m du Vieux-Port pour découvrir des ruelles dont l’état rappelle que, dans la cité phocéenne, plus du quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. En 2018, l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne, dans une zone centrale, a révélé aux Marseillais eux-mêmes la fragilité du développement de leur cité. Frédéric Jeanjean, patron de la Brasserie des Templiers, secrétaire général et conseiller municipal sous l’ère Gaudin reconnaît que « la mairie a sous-estimé l’impact dans l’opinion de cette catastrophe » et que l’effet Covid a, lui aussi, modifié les mentalités et conduit à cette alternance politique.


Frédéric Jeanjean Brasserie des Templiers Marseille
Frédéric Jeanjean, patron des Templiers. ©ACDV

 

La campagne a d’autant été plus longue dans cette ville qu’un troisième tour a eu lieu en coulisse avant de couronner la gagnante logique, Michèle Rubirola. Frédéric Jeanjean, interrogé le 2 juillet, pronostiquait même un quatrième tour pour désigner le président de la Métropole. Ce fin observateur de la vie politique locale ne s’est pas trompé puisque Martine Vassal a été désignée à ce poste condamnant ainsi les deux camps à trouver un « arrangement », cette fameuse pierre angulaire de la vie marseillaise. À l’issue du second tour, la vie a cependant repris ses droits. Les habitants ont déjà oublié les enjeux de l’élection et la Covid-19 semble soudain très lointaine. Dans les rues, les masques sont rares et dans de nombreux bars et restaurants de quartier, même le personnel a remisé au placard cet oripeau. Il n’est pas rare de voir des clients agglutinés au comptoir et peu d’exploitants ont sacrifié des tables pour suivre le protocole. Il faut aller dans des adresses haut de gamme comme l’Intercontinental pour voir les règles respectées à la lettre. D’une manière générale, les établissements travaillant régulièrement avec des touristes à l’instar du Miramar font partie des plus rigoureux. Le chef propriétaire, Christian Buffa a demandé au bureau d’études Socotec de redéfinir l’organisation de la salle. La brasserie L’OM, sur le Vieux-Port, a investi 8 000 € dans différents dispositifs de protection. Malgré cela, Guillaume Baudemont, le directeur, déplore une baisse de fréquentation de 40 % due selon lui « au télétravail, à l’attentisme d’une certaine partie de la clientèle et à l’absence de touristes étrangers ».


Guillaume Baudemont brasserie de l’OM Marseille
Guillaume Baudemont, directeur de l’OM Café. ©ACDV


Le retour de la clientèle locale

En général, les Marseillais ne sont pas des inconditionnels de la distanciation sociale. La protection de la Bonne Mère et du fameux professeur Raoult, canonisé de son vivant par ses concitoyens, les amène sans doute à considérer ce danger avec insouciance. Par ailleurs, l’application des mesures barrières par 35 °C à l’ombre n’a rien d’évident et selon certains professionnels, le préfet ne soumettrait pas les CHR à une pression insoutenable sur le sujet. Interrogé, Bernard Marty, président de l’Umih 13, assure que les mesures sont « bien respectées dans la ville », non sans pouvoir réprimer un sourire ironique. Certains professionnels ont en effet besoin de toute leur capacité d’accueil. Jeune entrepreneur à succès qui contrôle trois établissements, à Marseille, Manuel Mendez reconnaît que son Longchamp Palace « n’a jamais connu un mois de juin aussi actif, malgré un démarrage un peu lent ». Ce restaurateur surfe sur une belle dynamique qui l’a amené à quintupler le CA de cet établissement depuis son rachat. Sa clientèle provient d’un rayon de 1 km autour du Parc Longchamp. Les touristes y sont rares. Non loin de là, Brice Berrigaud ne nourrit guère d’inquiétudes sur l’avenir. Ce professionnel venu de Paris qui a créé le Belleville-sur-Mer dans ce quartier avec un associé, en octobre 2015, a vite vu revenir sa clientèle d’habitués et ne regrette pas sa venue dans la cité phocéenne. Il plaint ses collègues parisiens confrontés à un redémarrage plus problématique.


Umih 13 Bernard Marty

« Les 2 500 cafés et restaurants de la ville souffriraient d’une perte de clientèle de 30 à 40 % » explique  Bernard Marty, président de l’Umih 13. ©ACDV


Une forte dépendance au tourisme

Pourtant, ces cas restent isolés. Comme le rappelle Bernard Marty, « Marseille est une ville industrielle qui se transforme en ville touristique, la transition n’est pas toujours évidente et se réalise par à-coups ». En l’absence de visiteurs étrangers, beaucoup d’établissements positionnés sur ce créneau tourneraient au ralenti. Les 6 000 chambres d’hôtels installées intra muros serait logées à la même enseigne. La situation serait notamment très difficile pour la catégorie haut de gamme (4 et 5*), qui s’est largement développée ces dernières années à travers des enseignes comme Intercontinental ou Golden Tulip



Sylvain Touati Aurélie Nicolas Le Capucin brasserie Marseille chef
Aurélie Nicolas et Sylvain Touati, à la Brasserie Le Capucin. ©ACDV 

Aurélie Nicolas, directrice de l’hôtel Mercure Centre Vieux-Port installé sur la Canebière, traverse cette situation délicate. Ce 4* de 90 chambres appartient au groupe Arelia, la filiale hôtelière du groupe Oc santé. Après un confinement difficile où l’établissement a fonctionné de façon symbolique avec une compagnie aérienne, l’activité est repartie en juin. Le mois s’est clôturé avec un taux d’occupation de 48 %, loin des 80 % habituellement enregistrés durant cette saison. En outre, les prix moyens ont été sensiblement dégradés. Pourtant le rythme des réservations estivales est prometteur. Mais Aurélie Nicolas est consciente que les problèmes risquent de revenir en automne alors que la fréquentation baisse traditionnellement et que le redémarrage des congrès et des séminaires n’est pas assuré. L’année passée, le Mercure s’est doté du Capucin, une brasserie sur deux niveaux. Aux fourneaux, le chef, Sylvain Touati, ancien disciple de Lionel Lévy, réalise une cuisine au plus près des produits de saison qui a d’emblée séduit les Marseillais. Aurélie Nicolas reconnaît que la situation est devenue difficile fin 2019 en raison des nombreuses manifestations sur la Canebière d’autant qu’elles ont repris. « Le 8 juin, quand nous avons rouvert, raconte- t-elle, il y a eu une nouvelle manifestation et pour la seconde fois nos vitres ont été cassées. » La dynamique touristique est générée par la transformation de Marseille avec des réalisations d’envergure comme le Mucem.


La montée en puissance des croisières n’est pas sans poser problème

Une partie significative de cette clientèle extérieure est aussi amenée par les paquebots qui accostent à l’ouest de la cité phocéenne. « C’est une vraie réussite, souligne Frédéric Jeanjean. En 1995, ils amenaient 50 000 croisiéristes ; l’année passée, nous avons dépassé le million. » Dans ces conditions, il est évident que l’industrie du tourisme est particulièrement pénalisée par l’immobilisation durable des paquebots. Cette activité maritime suscite aussi des polémiques. À quai, les navires de croisière ne trouvent pas de branchement électrique et sont contraints d’activer leurs générateurs pour assurer le confort des passagers. Cette solution n’est ni du goût des riverains ni des écologistes locaux qui dénoncent cette atteinte au climat. Alors que les Verts sont arrivés à la tête de la mairie, certains pouvaient craindre la mise en place de contraintes plus rigoureuses envers les croisiéristes. Mais il faut rappeler que cette question relève du pouvoir du Port de Marseille, et donc de l’État. Le débat pourrait donc rapidement se déplacer vers la question du financement de l’électrification des quais accueillant les paquebots. Un de ces fameux « arrangements » marseillais devrait contribuer à trouver une solution.


Fonfon fait le dos rond

Le Vallon des Auffes, calanque située à 1 km du centre-ville, représente un paysage de carte postale. Les anneaux et les cabanons de ce minuscule port de pêche sont aussi convoités que les sièges de l’Académie française. Dans ce royaume de Poséidon, la famille Pinna règne en maître. C’est Alphonse qui a créé le restaurant Fonfon en 1952 avec une grande spécialité, la bouillabaisse. L’adresse au fil des années est devenue une institution connue dans le monde entier. Son petit-fils, Alexandre Pinna, est aujourd’hui à la tête du restaurant, mais aussi de la pizzéria voisine Jeannot et d’un bar à vin. Il a parallèlement décliné un restaurant, L’Escale Fonfon, à Valence. Il détient enfin un vignoble, le Domaine des Césars, dans les côtes du Rhône et propose deux chambres d’hôtes installées dans les cabanons du Vallon des Auffes. Le directeur du restaurant, Yohann Snacel, membre de la famille Pinna a relancé le restaurant qui souffre naturellement de l’absence des touristes. Même s’il parvient encore à servir jusqu’à 80 couverts certains soirs (avec un ticket moyen de 70 €), l’activité est en recul de 20 à 30 %. Le protocole sanitaire a obligé le restaurant à fonctionner avec 70 des 90 places assises. Heureusement, une terrasse a pu être déployée à l’extérieur pour compenser.


Yohann Snacel Chez Fonfon Marseille
Yohann Snacel, directeur du Fonfon. ©ACDV


Chez Fonfon Marseille
Chez Fonfon. ©ACDV

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