Restauration italienne : la nouvelle vague est arrivée
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Ces dernières années, la restauration parisienne a été marquée par l’ouverture de vastes établissements inspirés par la gastronomie italienne, tels Popolare, Daroco ou Brooklyn Pizzeria. Cette tendance préfigure un renouvellement du genre de la pizzeria dont le modèle vieillissant paraît aujourd’hui dépassé.
L’Italie déferle sur la restauration parisienne. Le succès tonitruant du groupe Big Mamma, la conversion de certains restaurants du groupe Garry Dorr en pizzerias, et plus largement la multiplication des trattorias indépendantes dans la capitale, ou la croissance de chaînes comme Fuxia (14 unités à Paris, 25 en France), Vapiano (4 unités à Paris, 21 en France), Iovine (5 unités parisiennes), semblent indiquer que la restauration de la péninsule adriatique vit de beaux jours. Même Alain Ducasse a cédé à la tentation de Venise, fin septembre, en ouvrant à la Mutualité le restaurant Cucina. Le chef y « maîtrise la grammaire culinaire italienne » qu’il affirme « conjuguer à tous les temps ». Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas à la capitale. Ses effets se font déjà sentir en province, à tel point que la mairie de Lille a menacé de prendre des mesures pour interdire les files d’attente interminables devant la Belleza, un restaurant récemment ouvert par le groupe Big Mamma. Cette effervescence autour de la gastronomie de la Botte est toute- fois trompeuse. En l’occurrence, la partie cachée de l’iceberg révèle un tout autre diagnostic. Dans son indice Pizza 2017, Gira Conseil révélait que, l’année passée, le marché français de la pizza (745 millions de pizzas vendues) était en recul de 9 % et Bernard Boutboul, directeur du cabinet, confirme que « ce tassement se poursuit en 2018. Les Français restent parmi les plus gros consommateurs de pizza au monde, mais ce produit, longtemps sans concurrence, doit faire face aujourd’hui à 51 autres produits qui se sont développés en France, dont le hamburger. Big Mamma compte six restaurants en France, et sa réussite ne reflète en rien la situation des 14400 pizzerias qui maillent l’Hexagone ».
L’exceptionnel décor de Daroco
Une nouvelle génération
L’Italie reste en effet la restauration ethnique la plus importante en France devant les restaurants asiatiques (12000 unités). En outre, au-delà des pizzerias, il existe également des restaurants italiens. « Le distinguo est important, souligne Bernard Boutboul, ils sont présents depuis cinquante ans sur notre territoire. Ils ne vendent pas de pizzas, ce sont des établissements haut de gamme, mais de ce côté rien de nouveau sous le soleil, leur nombre ne connaît pas de progression significative. » Il y a donc fort à parier que le phénomène d’ouvertures de nombreuses enseignes inspirées de l’Italie auquel nous assistons actuellement corresponde davantage à un renouvellement du genre de la pizzeria qu’à un nouvel engouement des Français pour la gastronomie de la Botte. À Paris, les artisans du renouveau – Big Mamma, Daroco, Brooklyn Pizzeria ou Cin Cin – sont le plus souvent solidement ancrés autour de la pizza. Ce produit demeure un enjeu. Même le pionnier de cette nouvelle vague italienne, Armand Taieb, qui a créé la chaîne Fuxia il y a dix-huit ans, a dû sacrifier au rite napolitain. Son groupe pèse aujourd’hui trente millions d’euros de chiffre d’affaires et emploie 550 salariés. Pour en arriver là, ce chef d’entreprise explique qu’il a dû s’adapter : « Au départ, nous ne proposions pas de pizzas. C’était un moyen de se différencier. Aujourd’hui, lorsque l’établissement peut le faire, nous en proposons. Elles sont incontournables et représentent près de 30 % des ventes. Avec deux produits, comme la pâte et la pizza, nous sommes certains de fédérer toutes les clientèles. » Beau joueur, Armand Taieb reconnaît que ses jeunes concurrents, Victor Lugger et Tigrane Seydoux, créateurs du groupe Big Mamma, « ont donné un sérieux coup de pied dans la fourmilière », mais il estime que son enseigne qui vend des pizzas premium et navigue au gré d’un ticket moyen de 27 euros, ne souffre pas de la présence de ces nouveaux venus. « Nous nous remettons en question par rapport aux demandes de notre clientèle, pas par rapport à la concurrence », aime-t-il à rappeler.
La margherita à 4 euros
Une des forces du groupe Big Mamma, c’est de miser sur un rapport qualité-prix très attractif qui contrebalance le handicap de ses emplacements souvent médiocres. Les prix d’appel de Popolare (concept de pizzeria napolitaine), dont sa margherita à 5 euros, ont créé le buzz et provoqué la formation d’une file d’attente régulière à chaque service le long de la rue Réaumur (Paris 2e). Confortés par ce succès, les responsables de Big Mamma ont récemment relevé à 9 euros le prix de la margherita. Big Mamma évoque un « ajustement de tarif pour garder cette qualité et maintenir ce cap. Notre margherita reste la moins chère de tous nos restaurants, et le prix reste imbattable pour une pizza avec des produits sourcés en direct des producteurs. Dans nos autres restaurants, la margherita est à 12 euros et représente 15 % des commandes, à Popolare la margherita en représente 50 %. » Restaurateur parisien, Garry Dorr a d’ailleurs fait mieux, en transformant le Melrose, un bistrot créé par son père, en restaurant à l’enseigne The Little Italy, puis en remplaçant un de ses Bar à huîtres, boulevard Beaumarchais, en Brooklyn Pizzeria. Le jeune restaurateur réalise un grand écart entre un restaurant de poisson dont le ticket moyen s’élevait à 75 euros et une pizzeria dont le produit d’appel est une margherita à 4 euros et dont il assure ne pas vouloir en augmenter le prix à moyen terme. Même si la pizza aux truffes fraîches atteint 18 euros, les prix de la nouvelle adresse restent globalement sages avec des spritz et des mojitos à 5 euros, des charcuteries et des fromages à 7 euros, des verres de vin à 3,90 euros et des desserts à 8 euros. Ils permettent à l’établissement de se revendiquer comme la « pizzeria la moins chère de Paris ». Garry Dorr assure même que « sa margherita est moins chère qu’à Naples ». Depuis son ouverture en août dernier, Brooklyn Pizzeria sert en moyenne 900 couverts par jour avec des pointes bien au-delà de 1000 couverts. Un résultat plus de deux fois supérieur au prévisionnel du business plan. Le succès de ce concept italo-américain repose sur trois ingrédients : un décor signé Pierre Canot, des produits authentiques bien sourcés et une équipe 100 % italienne. Grâce aux importants volumes de clientèle générés par ce concept, Garry Dorr compense la baisse drastique de son ticket moyen. Le patron de Brooklyn Pizzeria reconnaît par ailleurs que ses ventes de boissons sont florissantes, « mais que cela tient davantage à notre stratégie d’ouverture en continu, nos prix très attractifs et surtout l’ambiance incroyable qui y règne ».
Armand Taieb, fondateur de Fuxia, une chaîne qui rassemble 30 restaurants.
Brooklyn Pizzeria, un décor signé Pierre Canot
Être parfaitement cohérent
Le jeune patron devrait récidiver cette année dans le 17e arrondissement où il ouvrira Manhattan Terrazza, un établissement qui sera doté d’une terrasse exceptionnelle. Garry Dorr n’est pas le seul restaurateur à tout lâcher pour miser sur la restauration italienne. Hugues Courage, propriétaire de la Bastide blanche (Paris 8e), un restaurant traditionnel, a ainsi décidé il y a deux ans d’ouvrir Marcella, un concept d’auberge italienne sur cet emplacement. À la faveur de cette trans- formation, le restaurateur a enregistré un bond de son chiffre d’affaires de 50 %. L’établissement sert près de 250 convives jour sur la base d’un ticket moyen de 35 euros. Ce succès a poussé Hugues Courage à poursuivre dans cette voie en rachetant une vieille pizzeria des Grands Boulevards (Paris 2e) afin d’y créer Cin Cin, un restaurant encore plus orienté vers la pizza et qui dépoussière totalement le genre avec son décor signé Michaël Malapert. « Je souhaitais un décor en rupture avec ce qui existe dans le quartier où les commerces sont plutôt sombres, indique Hugues Courage. Je voulais une salle lumineuse, colorée avec un style Riviera qui ait un impact visuel de l’extérieur. » Une nouvelle fois l’initiative a été couronnée de succès puisque Cin Cin attire près de 250 clients par jour en restauration avec certes un ticket moyen (25 euros) plus réduit que Marcella. « Sur les Boulevards, il est difficile de vendre une pizza au-delà de 16 euros », temporise Hugues Courage. Mais il a la compensation de ventes limonades non négligeables grâce à sa licence IV et au bar bien en vue au milieu du restaurant. Pour Hugues Courage, le décor ne constitue qu’un élément du succès : « Aujourd’hui, il faut des produits précis qui apportent un uni- vers compréhensible au client et qui correspondent à son imaginaire. Il faut être parfaitement cohérent. » Cette cohérence totale de chaque détail est également à la base de la démarche de deux associés, Alexandre Giesbert et Julien Ross, qui, durant ces dernières années, se sont singularisés par plusieurs créations, dont Daroco rue Vivienne (Paris 2e), dans l’ancien atelier de Jean-Paul Gaultier. Ce vaste restaurant italien mise sur un créneau haut de gamme. Même si la majorité des ventes sont réalisées via les pâtes et les pizzas, le ticket moyen oscille autour de 38 euros. Pourtant, la fréquentation tourne en moyenne autour de 400 couverts par jour. Mais ce succès n’a pas grisé les deux hommes qui sont partis ensuite sur des projets très différents de cuisine française, comme la reprise de Zebra ou la création de Perruche. « Nous ne raisonnons pas en termes de marketing en allant chercher les tendances qui fonctionnent, confie Alexandre Giesbert. Nous réalisons des restaurants où nous aimerions être clients. Avant notre premier italien Roco, il y a eu Rocca, un bistrot français. J’ai connu un échec il y a dix ans dans la pizza livrée. Roco puis Daroco ont été une façon de prendre ma revanche. Mais notre projet correspondait d’abord à notre goût pour l’Italie et sa cuisine. Malgré ce succès nous ne nous entêterons pas dans ce créneau. »
Nouveau look pour Garry Dorr à la faveur de sa nouvelle aventure dans la restauration italienne
Peu de place à l’innovation
Alexandre Giesbert assure par ailleurs que la réputation de rentabilité de la pizza est une légende : « Sur le papier, une margherita présente en effet un très faible coût matière. Mais si on y intègre une mozzarella de qualité, ce n’est plus aussi évident. » Cette montée en gamme de la pizza est sans doute la principale explication à cette nouvelle vague italienne. Car ce produit offre finalement peu de place à l’innovation, comme le confirme Bernard Boutboul : « Dans ce créneau, le consommateur français est très traditionnel. Konopizza, qui avait essayé d’imposer la pizza en cône, a quitté le marché malgré un investissement initial conséquent. La pizza romaine (découpée en parts rectangulaires) a été un fiasco. Il y a un cimetière d’enseignes. » Ainsi, les acteurs de ce renouveau n’apportent aucune innovation majeure, mais réalisent de gros efforts d’authenticité. Garry Dorr utilise une farine bio pour concocter une pâte à pizza fermentée 168 heures. Elle n’intègre en surface que des produits importés directement d’Italie. Hugues Courage travaille avec un artisan italien qui lui fabrique une sauce tomate sur mesure. Armand Taieb qui œuvre depuis des années sur le sourcing de ses produits, rappelle l’importance de la régularité de qualité : « Dans un restaurant, un même client choisit pratiquement à chaque visite la même pizza. S’il y a un défaut, il le remar- que tout de suite et la déception est inévitable. Il y a eu également de gros progrès dans la pizzeria autour des fromages. Au-delà de la mozzarella nous avons aujourd’hui des burratas de grande qualité. Le nec plus ultra, c’est désormais la stracciatella dibufala qui connaît un grand succès. Auparavant, elle ne se consommait que dans les Pouilles en raison de sa date limite de consommation réduite. Mais les producteurs ont trouvé le moyen de l’allonger. Les coopératives italiennes qui tiennent les marchés agricoles savent mieux commercialiser les produits de haute qualité que les Français. » L’authenticité du produit italien, sa simplicité d’utilisation permettent de toucher plus directement les consommateurs jeunes, férus de pizzas depuis l’enfance et qui retrouvent une approche plus qualitative, une expérience nouvelle et attrayante.
Marcella
Cin Cin présente un décor à l’impact visuel signé Michaël Malapert / Hugues Courage, créateur de Marcella et de Cin Cin
La pizza un produit qui fait également le bonheur des brasseries
En restauration, la pizza n’est pas l’apanage des pizzerias. Comme le burger, ce produit fédérateur occupe une place de choix sur la carte de nombreuses brasseries. Certains établissements déclinent même une offre loin d’être marginale. Au Préaumur, Jean-Paul Malzac a mis en place un four à pizza qui assure 50 % de la production et jusqu’à 60 % au dîner. C’est d’abord pour l’établissement un moyen de proposer une offre plus accessible à la clientèle puisque les tarifs des pizzas évoluent entre 11 et 18 euros alors que les plats naviguent entre 12 et 25 euros. Le patron assure que, sans cette offre, une partie de la clientèle ne franchirait pas le seuil. Ensuite, Jean-Paul Malzac mise sur l’attrait du produit : « La pizza est conceptuelle, attractive. Elle marche très fort et il y a peu d’évolution dans le temps. C’est un produit qui permet d’animer le début de soirée avec des propositions de formules apéro-pizza. » En revanche, l’entrepreneur assure que la rentabilité d’une pizza n’est pas si intéressante qu’on le croit : « Pour que cela fonctionne, il faut proposer une bonne qualité générale en termes d’ingrédients, mais aussi de réalisation. Nous avons suivi des formations et j’emploie un pizzaiolo confirmé qui coûte aussi cher que le chef. En termes de masse salariale, ce n’est pas aussi intéressant qu’on le dit. »
La cabane à Pizza du Préaumur