Chamonix : un cœur de glace

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82 000 lits touristiques, pour à peine 10 000 habitants : la vallée de Chamonix n’échappe pas à sa réputation de haut lieu du tourisme en France. Joyau des Alpes, capitale mondiale de l’alpinisme, la ville de départ des plus grands explorateurs du XIXe siècle a su se développer avec le temps, alors qu’elle doit faire face à son plus grand défi : l’érosion de son patrimoine dû au changement climatique.

« Chamonix, ça se mérite. » Une idée, elle pourrait passer pour un vœu pieux. Une manière de faire prendre conscience aux visiteurs de la grandeur de ce lieu iconique, unique au monde. Une manière aussi d’alerter sur les changements qui frappent au cœur du mont Blanc, ainsi que partout ailleurs, mais plus visibles ici. Comme des cicatrices, le réchauffement climatique révèle dans les glaciers des stigmates irréversibles. Le périple pour mériter la vallée du Mont-Blanc commence, comme souvent, par le chemin à emprunter pour s’y rendre. Pour ce faire, la voiture doit laisser la place au fameux train qu’on ne prend qu’ici, à la gare de Saint-Gervais-les-Bains. Élément central et structurant des transports chamoniards, il passe par les Houches, la gare de Chamonix-Aiguille-du-Midi et poursuit sa route jusqu’à la Suisse.

« Plus qu’un simple train, c’est un véritable rite de passage, appuie Éric Pantalacci, président du GNI-FAGIHT 74, l’un des plus anciens syndicats hôteliers de France. En plus de lui, nous avons les bus qui emmènent les voyageurs jusqu’en Italie, au Val d’Aoste. » Le désenclavement de la vallée est également passé par la construction de l’autoroute A 40 et de son prolongement, la « route blanche » (RN 205), qui en fait une des seules stations desservies directement par voie rapide. « Il y a de bons et de mauvais côtés à cela », explique Éric Pantalacci. « La vallée de l’Arve est connue, assez défavorablement il faut l’avouer, pour sa forte pollution. L’objectif commun entre les socioprofessionnels, l’office de tourisme et la mairie est de maîtriser ces flux de véhicules, en limitant les infrastructures à l’extérieur de la ville, et en proposant des alternatives de transport plus vert. Le centre de Chamonix est à l’image de cette politique : piéton ni sati on, espaces verts… »

Pour aller encore plus loin, le syndicat milite auprès de la région pour une navette directe de Bellegarde-sur-Valserine, étape obligatoire pour bon nombre de touristes arrivant par le TGV de Paris ou par le TER de Lyon. Par ailleurs, l’une des spécificités de Chamonix, c’est son activité touristique. Là où nombre de stations savoyardes et haut-savoyardes tournent moins de six mois l’année -bien qu’elles tentent de se diversifier en offrant des activités l’été -, la vallée du Mont-Blanc tourne 12 mois par an.

Un tourisme unique dans les Alpes 

Éric Pantalacci, président du GNI-FAGIHT 74.

Cette fréquentation presque à plein régime toute l’année est assez rare. Le tourisme y est sportif, entre ski, parapente, escalade ou randonnées, ou contemplatif, la montée à lamer de glace et à l’aiguille du Midi à la proue du navire. Il tend, avec le plafonnement de l’activité des sports d’hiver (voir article tourisme), à se développer vers le tourisme familial, le resort ou la culture, comme avec la mise en place du festival Musilac Mont-Blanc en 2018. Mais untel afflux nécessite une capacité à l’absorber. « Il fut un temps où toutes les deux maisons étaient des hôtels », se souvient Bruno Sarraz-Bournet, propriétaire du Richemond.

« Il y a des touristes pour qui la montagne raisonne dans leur cœur, et c’est eux qu’on veut. » Nicolas Durochat, directeur de l’office de tourisme.

 Aujourd’hui, le paysage a changé. D’après les chiffres de l’office du tourisme, la vallée abrite, de Servoz à Vallorcines, presque 10 fois plus de lits (82 000) qu’elle n’a d’habitants. Les lits dits « chauds » comptent pour 22 000. Éric Pantalacci, lui, fait la différence entre résidences et hôtels. Il estime que ces derniers retiennent aujourd’hui 10 % de la capacité d’hébergement. Le reste se répartit entre lits « froids » et « tièdes » *. Ces derniers, au nombre de 15 000, appartiennent à ces appartements loués sur les plate formes de particuliers, Abritel et Airbnb principalement. « Des propriétaires qui ne louaient pas, et étaient dans une logique de résidence secondaire, se sont mis sur ces plate formes. C’est bénéfique en termes de réchauffement de lit, mais c’est critiquable en termes de concurrence déloyale, analyse Nicolas Durochat, directeur de l’office du tourisme. Il faut que ces structures aient les mêmes règles du jeu que les hôteliers. C’est passé par la taxe de séjour il y a quelques années -même si on est calés sur du deux-étoiles en termes de tarifs -il faudra peut-être aller plus loin. On voit de plus en plus de voyageurs d’affaires se déporter de l’hôtellerie sur du Airbnb. Ça peut être un phénomène positif pour l’économie dans sa globalité, mais il faut l’encadrer. »

« Ça peut être un phénomène positif, mais il faut l’encadrer. » Nicolas Durochat, à propos de Airbnb et Abritel.

Combat contre le changement climatique, quand David s’attaque à Goliath

Nicolas Durochat, directeur de l’office de tourisme.

Pour le directeur de l’office du tourisme, la pollution de la vallée de l’Arve ne se joue pas à Chamonix, mais plus bas, sur l’axe Genève-Annemasse. Si l’air est plus pur au pied -et en haut -du mont Blanc, les effets du réchauffement climatique sont, eux, plus visibles ici qu’ailleurs. Nicolas Durochat n’hésite pas à parler de « drame global » ; « le réchauffement climatique a des impacts en montagne immédiatement visibles, contrairement aux bords de mer. Ici ça veut dire remontée accélérée du permafrost, instabilité notamment en juillet-août de la haute montagne, une fonte accélérée des glaciers, mais aussi une pluviométrie changée, des parasites qui se multiplient, une faune qui remonte plus haut en montagne… » Lui comme les hôteliers s’avouent impuissants face aux effets d’un réchauffement global, dont les causes se jouent dans leur écrasante majorité bien loin des glaciers. Ce qui n’empêche pas les acteurs chamoniards de se retrousser les manches. « Nous avons un devoir d’exemplarité, insiste Nicolas Durochat. La vallée de Chamonix aune collectivité hyperactive qui a un vrai plan de transition écologique. On aune vallée qui produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme, une gratuité des transports en commun pour tous les visiteurs et les habitants, un grand plan de rénovation énergétique. De plus, on arrête de construire à outrance ; on ne crée plus de lits, on compense ceux qui ferment. » Pour le directeur de l’office de tourisme, la logique doit être respectée jusque dans le marketing de la destination : « On a pris le parti d’arrêter définitivement le démarchage des marchés chinois et coréens. Oui il y a un potentiel, mais c’est un business avec un bilan carbone assez critique. Le développement ne doit pas se faire à tous les prix. Moi à l’époque on m’a dit, mais tu n’as rien compris, tune peux pas être le directeur de Chamonix et ne pas démarcher les marchés chinois. Mais on ne peut plus faire n’importe quoi. »


* On considère généralement qu’un lit est dit « froid » lorsqu’il est occupé moins de 4 semaines par an, et qualifié de « chaud » s’il est occupé au moins 12 semaines par an. Les lits occupés entre 1 et 3 mois par an sont qualifiés de « tièdes ». (source : Sénat.fr)

En chiffres

– 7 800 000 nuitées à l’année

– Saison d’hiver : 55 %

– Saison d’été : 45 %

– Touristes étrangers : entre 40 et 50 %

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