Le pastis se réinvente. Des innovations pour Ricard – une grande première depuis 86 ans –, design revu de la bouteille iconique de Pernod, positionnement grand cru pour Bardouin et un renforcement de l’ancrage régional pour Bardinet la Martiniquaise… Le pastis bouscule les codes pour regagner sa place à l’apéritif.
Le marché des anisés reste un poids lourd en France : elle est la deuxième plus grosse catégorie en France, avec 22 % de parts de marché sur le total spiritueux, derrière les whiskies avec 41 % PDM 1. Les anisés sont un marché qui connaît une décroissance à long terme due à une perte d’acheteurs qui se dirigent vers les bières et les vins rosés à l’apéritif. Néanmoins, il y a des signaux positifs : « Le moment apéritif reste très fort en France avec 27millions d’apéritifs (alcool + sans alcool) par semaine 2 ; les anisés répondent à la nouvelle attente de fraîcheur des consommateurs – 45 % des consommateurs prennent un apéritif pour boire quelque chose de rafraîchissant vs 34 % en 2011 3 », indique le groupe Pernod. En CHR, on en observe déjà les effets : la catégorie est en légère croissance cette année, à + 0,1 % versus -7,3 % en 2018 4, « une vraie première », se réjouit Jean-Louis Denis, directeur commercial de Bardinet La Martiniquaise. Les volumes écoulés se stabilisent autour de 3,25 millions de litres. Le CHR résiste mieux que les autres circuits, l’effet égalim ayant pénalisé la grande distribution au profit des circuits cash et grossistes. Alors que les habitudes des consommateurs au restaurant évoluent, le pastis s’est adapté et n’a de cesse depuis quelques années de se réinventer. Certaines marques ont choisi de surfer sur la tendance naturalité, qui est venue rafraîchir tous les secteurs de la grande consommation.
Le pastis est en croissance cette année de + 0,1 %, une vraie première.
Ricard, dont la restauration représente 35 % de ses volumes, a notamment lancé Plantes fraîches en 2018 qui vise les 30-40 ans. Une première innovation depuis 86 ans. Élaboré à partir d’anis de fenouil en partenariat avec des producteurs sur le plateau de Valensole, en Haute-Provence, il présente un profil végétal. « Cette nouvelle référence contribue à notre belle performance sur l’année 2019 [Ricard affiche des volumes en croissance de + 2,6 %, NDLR]. On l’a fortement installé en CHR avec plus de 1 000 points de vente, explique Isabelle Pernet, manager innovation sur la marque Ricard. C’est un produit stratégique qu’on va continuer à défendre, car il est en ligne avec les attentes du consommateur qui est à la recherche de produits de qualité en circuit court. » D’autres marques misent sur une communication fondée sur la tradition et un positionnement premium : Henri Bardouin, composé de 65 plantes et épices rigoureusement sélectionnées, en est le légitime représentant. « On insiste sur le fait-main, on rappelle qu’il concentre tout un savoir-faire provençal et que la distillerie elle-même est héritière d’une tradition ancestrale, explique Alain Robert, le P-DG de l’entreprise centenaire Distilleries et Domaines de Provence. C’est un pastis de travailleurs, d’herboristes et de cuisiniers. »
Le pastis grand cru Henri Bardouin est très présent à Paris, dans la région lyonnaise et en Provence-AlpesCôte d’Azur. Photo Ⓒ Snouz Dop
Portée par ce positionnement premium, la marque progresse en CHR qui représente 30 % de ses ventes. « Nous avons la chance de compter parmi nos clients des restaurants étoilés, ce qui a un impact sur l’image du produit », se réjouit-il. L’autre fer de lance des producteurs de pastis est l’enracinement local de marques régionales. Casanis (+ 1 % en volume à la fin décembre 2019) en est la parfaite illustration : « Elle reste une marque avec des ancrages régionaux [Paca, Corse et Paris, NDLR] très marqués », indique JeanLouis Denis (Bardinet La Martiniquaise). Pour conserver ce cap initié depuis environ trois ans, le groupe français indépendant de vins et spiritueux promeut l’usage de la mauresque qui provient de Corse et identifie chaque année un établissement partenaire, installé dans l’une de ses régions, et le personnalise aux couleurs de Casanis. Cette « Casa » évoque l’histoire de la marque et son appartenance au patrimoine corse. Au-delà de Casanis, le groupe mise sur tout un portefeuille de marques locales et régionales, mais « qui ne se chevauchent pas, chacune ayant son périmètre ». En reprenant la distribution de Marie Brizard Wine and Spirits, de nouveaux anisés sont venus enrichir l’offre en CHR. L’Anisette à base d’anis vert, apéritif emblématique des pieds noirs, est consommée traditionnellement dans le sud-est et à Paris. Quant à la marque Berger (Berger blanc et jaune qui représentent 20 000 litres en restauration), elle est très présente dans le sud, en Languedoc-Roussillon, mais aussi à l’ouest, en Normandie. Enfin, l’innovation et les nouveaux usages de consommation qui en découlent sont au cœur de la stratégie des producteurs pour remettre le pastis sur le devant de la scène.
Ricard fait le pari audacieux du bio.
Pastis 51 (Pernod) donne un coup de frais à son iconique bouteille.
CASSER LES CODES
Ricard accélère le rythme de ses innovations, et s’invite sur les tendances du bio et du fruité. Un pari audacieux car le bio reste epsilon au rayon des spiritueux. « On décline une palette d’anis, réglissé pour la version classique de Ricard, végétal avec Plantes fraîches, et désormais fruité avec la nouvelle gamme bio », indique Isabelle Pernet. La nouvelle gamme certifiée en agriculture biologique comprend deux références, citron et amande, et vise en priorité les 23-30 ans. « Il faut valoriser la catégorie des anisés qui reste assez monolithique et casser les codes », poursuit-elle. Le programme pastisologie doit accompagner ce lancement en mettant à l’honneur le savoir-faire autour de l’anis. Des master class à destination des clients de la marque sont prévus pour qu’à leur tour ils soient en mesure de parler du potentiel de cet ingrédient à leurs clients. Quant à Pastis 51 (Pernod), deuxième marque du marché des anisés derrière Ricard en CHR (12 % de ses volumes sont écoulés en hors domicile), elle « adopte un ton original et décalé pour transmettre la fraîcheur à ses consommateurs “Y’a pas de règle tant que c’est frais !”», informe Marie-Camille Lesueur, chef de produit Pastis 51. Pour y parvenir, sa stratégie consiste à « briser les codes en proposant trois modes de consommation : 51 classique (2 cl de Pastis 51, 10cl d’eau et quelques glaçons), Demi 51 (3 cl de Pastis 5, 22 cl d’eau et beaucoup de glaçons), et 51 Piscine (2 cl de Pastis 51, 14 cl d’eau cascade de glaçons) ». Le lancement de la nouvelle bouteille Pastis 51 a pour but d’être en cohérence avec ce positionnement fraîcheur, une attente forte de son cœur de cible : les hommes de plus de 35 ans.
Bardinet La Martiniquaise mise sur un portefeuille d’anisés de marques régionales.
NOTES :
1 – Source IWSR 2018 : total France (GD + CHR)
2 – Source Kantar – CAM P9 2019
3 – Source BEM 2016
4 – Source panel Nielsen CHR – CAM P13 2019