Un coup de jaune

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Face au repli des anisés, les marques s’affranchissent des codes habituels, inventent de nouveaux usages de consommation, tout en misant sur leur savoir-faire historique.

Ricard
Ricard

Le marché du pastis continue à perdre du terrain, avec des volumes en recul de – 7,3 % en 2018 versus 2017 et des ventes en valeur en baisse, à – 5,9 %. Néanmoins, il reste un poids lourd, puisqu’il occupe sur le marché global la deuxième place des spiritueux, derrière les whiskeys (23,5 % PDM vol vs 35,5 % PDM vol.) et pèse en CHR 11,7 % du volume des alcools, le plaçant à la 4e place derrière les whiskeys, les rhums et les vodkas. Le moment apéritif reste d’ailleurs très fort en France, avec 26 millions de moments de consommation d’alcool par semaine, mais « l’émergence de la bière et des vins rosés au moment de l’apéritif a impacté le marché des anisés », analyse Marc-Antoine Hornecker, group brand manager du pôle apéritif chez Pernod. Autre raison de ce recul, les anisés souffrent d’une image vieillissante : « Les jeunes adultes n’entrent pas facilement dans la consommation d’alcool par les anisés et le goût plaît peu aux femmes. C’est un alcool typé plutôt masculin et d’une autre génération », renchérit Jean-Louis Denis, directeur commercial hors-domicile de Bardinet La Martiniquaise. Cependant, on observe chez les consommateurs un retour aux valeurs de simplicité, d’authenticité, de made in France , qu’incarne parfaitement le pastis, ce qui ouvre la voie à un potentiel retour en grâce. « Sans compter que les anisés répondent parfaitement à la nouvelle attente de fraîcheur des consommateurs », poursuit Marc-Antoine Hornecker. L’heure est donc venue pour les anisés d’opérer un tournant générationnel. Un virage qui va de pair avec une communication axée sur de nouveaux usages de consommation et sur leur réancrage dans leur savoir-faire et leur territoire originel. Les deux mastodontes Ricard et Pastis 51, qui dominent le marché mondial des anisés, multiplient les modes de consommation pour enrayer le repli de ces boissons et créer une dynamique catégorielle. Ricard d’abord, leader sur sa catégorie (73,7 % vol) et marque de spiritueux la plus consommée en hors-domicile (8 % PDM vol, Nielsen HDO Civil 2018), propose une large palette d’usages de consommation. La grande nouveauté : le cocktail Ricard Jaune Lemon, développé en collaboration avec le barman Guillaume Ferroni. Alliant les saveurs anisées au citron et la douceur de l’orgeat, il peut être proposé au verre ou bien dans une jarre. Un plan massif de soutien pour son déploiement a lieu durant tout l’été dans 400 bars en France. Ricard mise aussi sur ses versions « allongée » (7 volumes d’eau pour plus de fraîcheur) et « givrée », servie sur glace pilée. Une tournée commando nationale d’activation est prévue autour de ces modes de consommation dans plus de 100 bars jusqu’à fin juillet. En parallèle, la Ricaravane, buvette nomade itinérante, est déployée jusqu’à fin septembre pour la première fois à Marseille, Bordeaux, Lyon et Montpellier, après deux années de succès sur les plus belles terrasses parisiennes. Du côté de Pernod, même effervescence avec Pastis 51, la deuxième marque du marché des anisés derrière Ricard, avec des ventes en volumes en France de 6,7 millions de litres (Nielsen, CAM mars 2019). Le groupe mise lui aussi sur différents modes de consommation : en demi (3 cl de pastis, 22 cl d’eau, beaucoup de glaçons), en piscine (2 cl de pastis, 14 cl d’eau et cascade de glaçons) et en cocktail (3 cl de pastis, 1 cl de citron vert, sucre, 14 cl d’eau, glaçons).

Pernod 51 bouscule les codes et s’attaque frontalement à la bière, avec son rituel de consommation baptisé « le demi ».

Pernod 51 bouscule les codes et s’attaque frontalement à la bière, avec son rituel de consommation baptisé « le demi ».

De nombreux bars partenaires seront habillés aux couleurs de 51 pour faire connaître tous ces usages aux clients. Par ailleurs, des kits sont prévus : « Nous proposons aux établissements de notre région bastion, le Sud-Est, des lots apéritifs comprenant des tapenades Marius Bernard. Et dans nos bars partenaires, pour l’achat de deux Pastis 51, la tapenade et ses croûtons sont offerts. Cette opération connaît un immense succès depuis deux ans. Elle a permis de créer des moments de convivialité, pour nos consommateurs, mais aussi de nous rapprocher de nos premiers clients et ambassadeurs, les barmen et restaurateurs », se réjouit Marc-Antoine Hornecker. Ces initiatives directement sur le lieu de vente couplées à la diversité des modes de dégustation sont autant d’atouts pour conquérir une nouvelle génération. D’autres marques, plus petites, misent quant à elles sur le local et l’ancrage solide dans leur histoire et leur terroir pour séduire les clients.

Des petits qui résistent

Des marques aux volumes plus modestes sont paradoxalement moins impactées par le recul de la consommation des anisés. Prenons l’exemple de Casanis, appartenant à Bardinet La Martiniquaise, qui pèse 100 000 litres en CHR et qui accuse une baisse de ces ventes de seulement – 3 %, sur un marché global à – 7,3 %. Si elle est épargnée, c’est en partie lié à son fort ancrage : « Casanis prend ses racines en Corse. La marque a été créée à Bastia en 1925 par la famille Casabianca, qui décide ensuite de traverser la Méditerranée et de s’installer à Marseille, autre berceau de la marque, rappelle Jean-Louis Denis. On continue aujourd’hui à s’appuyer sur ce patrimoine ; non seulement les touristes de l’île de Beauté veulent retrouver leur madeleine de Proust en rentrant chez eux, mais il existe aussi une grosse diaspora corse en région parisienne qui le réclame. »

Conscient de cet impact identitaire, Bardinet La Martiniquaise va renforcer la « corsitude » du produit, avec notamment la mention Natu in Corsica, pour réaffirmer son lieu de naissance, la présence des deux blasons de Marseille et de Bastia sur l’étiquette, ainsi que l’intégration de la carte typographique de la Corse. La carafe historique en tête de Maure, diffusée dans les années 1950-1960, est rééditée en respectant la couleur marron originelle. Par ailleurs, la Casa Casanis est encore reconduite cette année dans l’objectif de toujours enraciner la marque dans son terroir d’origine. Un établissement corse fait ainsi l’objet d’une mise en avant particulière, autour d’animations et d’une fresque qui reste sur les murs de l’établissement. Cette année, elle pose ses valises à l’Hôtel Pascal Paoli, à 7 km du port de L’Île-Rousse.

La « corsitude » de Casanis est renforcée.

La « corsitude » de Casanis est renforcée.

Une autre marque se distingue : il s’agit du pastis Grand Cru Henri Bardouin, qui pèse 1 % en valeur du marché et affiche une progression de ses ventes autour de 10 % en 2018. Cette exception dans le paysage des anisés résulte de plusieurs facteurs : « D’une part, on profite de l’attrait des consommateurs pour les marques locales provenant de PME à taille humaine et, d’autre part, notre pastis se distingue par son goût atypique et complexe, ainsi que par son image haut de gamme », analyse Alain Robert, PDG de Distilleries et Domaines de Provence.

Il faut dire qu’avec les 65 plantes et épices qui entrent dans sa composition, ce pastis Grand Cru est un condensé de Provence. Son goût subtil et sa richesse aromatique en font l’allié du repas : « On y intègre le minimum obligatoire de réglisse et d’anis ; on vise le parfait équilibre entre les composants végétaux. Cette particularité permet de le marier à une palette variée de mets afin de pouvoir apprécier ce que l’on mange sans qu’il ne vienne masquer le goût des aliments. » Pour faire découvrir ce produit et promouvoir sa consommation à table, des animations sont prévues chez Metro France, avec des offres de type « deux bouteilles achetées, quatre verres offerts », ainsi que la mise à disposition de PLV (arrosoirs, chevalets de table, affiches, etc.). Autant dire que le petit jaune a encore de beaux jours devant lui…

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