Whisky : plus jeune que jamais

  • Temps de lecture : 10 min

Le whisky est le roi des alcools forts en France : il reste le spiritueux le plus acheté et les Français en sont les premiers consommateurs au monde. Néanmoins, il a saisi la nécessité de se réinventer et opère un lifting pour séduire une nouvelle clientèle, plus jeune et féminine.

Whisky
Whisky. Crédit : AdobeStock.

Au pays du vin, le whisky reste un alcool fort très populaire. Avec 150 millions de bouteilles vendues par an, il représente près de 78% des achats de spiritueux tous circuits confondus, selon une étude Ipsos réalisée pour la 16e édition de Whisky Live Paris, et 18,8 % en hors domicile. Les whiskies écossais sont plébiscités : les scotchs représentent 69% des volumes, soit les trois quarts des whiskies consommés ; le reste se répartit principalement entre les whiskeys irlandais, les bourbons américains et, plus récemment, les malts nippons et français.

D’ailleurs, 77% des acheteurs prêtent une grande attention à l’origine du whisky . Si la catégorie affiche un léger repli en hors domicile, à – 2,6%, et en GMS (- 4,7% des volumes), elle est « en ligne avec tous les autres spiritueux, qui reculent également, sauf le gin et le rhum », analyse Cédric Modica Amore, senior brand marketing manager pour Jameson (Ricard). Chez C10, si le whisky a progressé de 6,4% en valeur et de 8,2% en volume (CAM à fin octobre), c’est surtout lié au fait que le distributeur « a entrepris d’accélérer sur cette catégorie et récupère des marchés qu’il n’avait pas auparavant, estime Camille Delettrez, responsable marketing. Car force est de constater qu’il évolue moins vite et moins fortement que d’autres spiritueux comme le rhum et le gin, qui lui grignotent des parts de marché en CHR. » Le manque de dynamisme de ce marché s’explique par « une consommation jugée ancienne et traditionnelle (NDLR, sec ou « on the rocks » ) dans l’imaginaire collectif, poursuit Camille Delettrez. C’est la raison pour laquelle un virage s’opère du côté des industriels ; ils explorent notamment la dimension du cocktail autour de ce spiritueux. » En revanche, certaines catégories évoluent plus vite que d’autres : si d’un côté, les blends de moins de 12 ans, assemblages de whiskies de plusieurs distilleries raflent 62,7 % du marché en hors domicile, ils sont en perte de vitesse par rapport à l’année dernière, avec un recul de – 5,2%. A contrario, les bourbons, dont la part de marché s’élève à 21,3%, sont en progression de + 3,4 %.

« Un virage s’opère du côté des industriels ; ils explorent notamment la dimension du cocktail autour de ce spiritueux », Camille Delettrez, responsable marketing C10.

Mais ce qui tire réellement la croissance en valeur, ce sont les malts : « Ils sont les plus valorisés chez C10 avec un chiffre d’affaires en hausse de + 9,7% en 2019 versus 2018 (à fin octobre), appuie Camille Delettrez. La croissance est donc drivée par le segment premium des malts, mais aussi par les american whiskeys et bourbons qui pèsent 28% du portefeuille et qui ont progressé de + 5,9% ». Et sur ce marché, stable et mature, des acteurs plus « jeunes » opèrent une véritable percée en France. « C’est le cas des whiskies japonais, qui continuent de grossir. Vingt-sept références sont vendues dans notre réseau, dont huit nouvelles depuis l’année dernière. Leur poids en valeur est de 4,6% sur le total de la catégorie, et ils ne cessent de progresser en valeur et volume, respectivement de + 8% et + 7,3% par rapport à 2018. » Quelle que soit la vitesse de progression propre à chacune de ces grandes familles, les marques ont toutes pris le parti de capitaliser sur leur histoire, d’innover et de proposer de nouveaux rituels de dégustation pour apporter un vent de fraîcheur au whisky.

L’Écosse, le vaisseau amiral

Avec plus d’une centaine de distilleries en activité, l’Écosse est un grand pays du whisky. Son activité est réglementée depuis le XVIIe siècle, on le désigne d’ailleurs par l’appellation scotch whisky. Il est produit à partir d’orge maltée, à laquelle peuvent être ajoutées d’autres céréales. Le whisky doit être vieilli pendant au moins trois ans en fût de chêne, avant de pouvoir être commercialisé. Cinq principales régions sont communément admises – les Lowlands, les Highlands, le Speyside, Campbeltown, les îles et Islay. « La France est en tête de la consommation de whisky écossais dans le monde », souligne Julie Gauthier, chef de produit senior Ballantine’s (Pernod). C’est un marché très important, qui, bien que mature, se transforme peu à peu, avec une consommation moins axée sur les volumes, mais plus en valeur. »

Cette évolution profite donc aux catégories plutôt premium, comme les blend de plus de 12 ans, tel Ballantine’s. « C’est une marque qui performe et gagne des parts de marché, tant en grande distribution qu’en CHR, où elle enregistrait fin juin – 3,9% en volume, alors que le marché était à – 6,9%, poursuit Julie Gauthier. Cette belle résistance est portée notamment par une identité de marque forte : “Le Goût du travail bien fait”, une signature communiquée massivement en média depuis deux ans et activée auprès des restaurateurs. Pour ce faire, on met à leur disposition un pack personnalisé comprenant des objets de visibilité à leur nom (affiches, ardoises, verres, etc.) en y associant notre signature. » Une façon de valoriser leurs clients qui partagent ces mêmes valeurs de qualité.

La renaissance des Irlandais

Comme son cousin écossais, l’Irlande est une terre de whiskey. Au XIXe siècle, l’île comptait une centaine de distilleries. Mais au XXe siècle, avec les deux guerres mondiales successives, puis la Prohibition aux États-Unis, alors son premier marché, la production va connaître un coup de frein. En cent ans, le pays va ainsi passer de n°1 mondial du whiskey à tout petit pays producteur, avec seulement trois distilleries en activité. Pour assurer la survie de ce marché, Old Bushmills, la distillerie la plus ancienne d’Irlande, et Midleton, la distillerie la plus récente et la plus technologiquement avancée, ont cohabité au sein d’un même groupe, Irish Distillers, racheté par Pernod Ricard en 1987. Cette situation de quasi-monopole fut rompue en 2006, lorsque Diageo reprit des mains du groupe Pernod Ricard la distillerie Bushmills. Cette séparation a créé une émulation saine, sans compter que de nouvelles distilleries se sont ouvertes. L’Irlande a ainsi retrouvé sa place parmi les plus grands producteurs de whiskey, avec quelque 190 millions de bouteilles qui sortent chaque année de ces chais.


« On a besoin d’innover sur le marché des irish, de bousculer leurs codes pour les rajeunir. Travailler avec un microbrasseur apporte un vent de fraîcheur »,
Cédric Modica Amore, responsable marketing Pernod Ricard.

La plus grande distillerie du pays est Midleton et, parmi ses produits phares, notons le whiskey Paddy, Tullamore Dew ou encore Jameson, qui appartient à Ricard. Ce dernier est leader de la catégorie des irish en hors domicile, avec une part de marché de 68% et une sixième place en CHR. Jameson connaît un essor notable avec plus de 70 marchés en croissance à deux chiffres, indique Cédric Modica Amore, senior brand marketing manager. Si bien qu’il constitue aujourd’hui la deuxième marque du portefeuille de Pernod Ricard : « On souhaite profiter de son rayonnement et en faire une priorité sur le marché français », poursuit-il. Pour ce faire, l’industriel a pour stratégie de rajeunir la marque et de la sortir d’une consommation seulement hivernale. Il a notamment organisé le Jameson BBQ, un événement éphémère autour du barbecue qui s’est déroulé de juin à septembre au Marché Pop à Paris 12e. « Des chefs irlandais ont concocté des menus en accord avec notre whiskey ; de la viande irlandaise a même été macérée au Jameson, sans compter que toutes les références ont été travaillées en cocktail », détaille Cédric Modica Amore. Ce premier test s’est avéré concluant, si bien que le groupe a décidé d’élargir le concept et de l’emmener en tournée pour démocratiser sa consommation en dehors des murs de la capitale.

Par ailleurs, dans cette volonté de séduire les jeunes, le groupe propose Jameson Caskmates Out-land Edition, le fruit d’une collaboration avec la brasserie artisanale parisienne Outland. Pour faire maturer sa bière Black IPA « Half & Half », la brasserie a emprunté les fûts de Jameson. À leur retour, ces derniers étaient imprégnés de nouveaux arômes toastés et houblonnés. L’équipe a fait maturer dans ces fûts le whiskey irlandais distillé trois fois, ce qui lui a conféré des notes florales et boisées. « On a besoin d’innover sur le marché des irish, de bousculer leurs codes pour les rajeunir. Travailler avec un microbrasseur apporte un vent de fraîcheur », soutient le responsable marketing. Ce type d’initiative contribue à démocratiser le whiskey, ce qui va dans le sens des producteurs américains, qui exportent un rituel de consommation « tendance » avec les cocktails.

L’Amérique, terre promise

L’histoire du whiskey américain est intrinsèquement liée à celle des premiers colons qui partent vers ce qui ne s’appelle pas encore le Kentucky, cette terre promise où pousse le maïs. De cette plante conjuguée à l’eau calcaire qui s’y trouve naît le bourbon. Les pionniers expérimentent ensuite le seigle qui donne naissance au rye. Le Kentucky forme le cœur historique du whiskey américain avec l’État voisin du Tennessee où est produit Jack Daniel’s.

« Un cocktail au whiskey, c’est la base des cartes d’un bar aux États-Unis », Nathalie Ohier, directrice marketing de Brown-Forman France.

La marque qui appartient au groupe Brown-Forman est marquée par une tendance très dynamique sur le marché français, avec 9 millions de litres vendus par an. Dominant 80% du segment du whiskey américain, elle connaît une croissance de 2,5% en volume et de 6,3% en valeur à fin novembre, tous circuits confondus. « Le CHR n’est pas en reste ; nos références continuent à progresser sur les cartes », indique Nathalie Ohier, directrice marketing de Brown-Forman France. Et pour accompagner cette croissance, la marque s’appuie sur le cocktail, qui est au cœur de la culture américaine : « Un cocktail au whiskey, c’est la base des cartes d’un bar aux États-Unis. Nous avons une vraie légitimité ; la résurgence des cocktails classiques américains est en parfait accord avec l’ADN de notre marque. C’est la raison pour laquelle on essaye de pousser cette consommation en CHR via notre force de vente et nos ambassadeurs », appuie-telle. Une création comme Lynchburg Le-monade, son cocktail signature, parle particulièrement à des clients plus jeunes et plus féminins, de par sa fraîcheur et ses notes d’agrumes. Un rituel de consommation lui est associé : il est proposé dans un verre de type mug baptisé Mason Jar, sur lequel est apposé un couvercle pour qu’il puisse être directement shaké dans le contenant. Le groupe américain mise aussi sur Woodford Reserve, au positionnement plus premium. « Ce whiskey est élaboré dans l’une des plus vieilles distilleries (NDLR, Kentucky Labrot & Graham, implantée depuis 1838), classée monument historique. C’est une vraie pépite, qui se développe dans un univers de barmen connaisseurs », s’enthousiasme Nathalie Ohier. La politique cocktail menée là aussi par l’industriel contribue à dépoussiérer l’image du whisky.

L’éveil des Japonais

Alors que le Japon est connu pour son saké, le whisky lui vaut aujourd’hui une reconnaissance internationale. En quelques années à peine, il est devenu le quatrième pays à intégrer le cercle très fermé des pays du whisky. Sa production est largement influencée par l’Écosse et certains whiskies japonais incorporent même des singles malts écossais dans leurs mélanges.

Les deux géants Suntory et Nikka se partagent la majeure partie de la production. Avec son tout dernier blend Toki, Suntory (distribué par RFD) souhaite exporter le highball, un mode de consommation très prisé de la jeunesse nippone. Ce long drink, aussi appelé « Haiboru », est élaboré avec du whisky, de l’eau pétillante et des agrumes dans un grand verre rempli de glaçons. Il ne requiert donc aucune technique particulière. Né dans les années 1950, il était traditionnellement consommé pendant le repas, mais la nouvelle génération a fait évoluer ce moment de dégustation de l’apéritif jusqu’au digestif, au restaurant et dans les bars. Avec le lancement d’un whisky dédié à ce cocktail en France, Suntory espère se rendre plus visible dans l’Hexagone et élargir son public à l’heure de l’apéritif. Le groupe propose ainsi une offre hors domicile sous forme de cocktail dans d’autres établissements que ceux auxquels la marque est habituée. Un levier pour rendre plus accessible le whisky japonais, qui a un positionnement haut de gamme dans l’Hexagone.

Plate-forme de mise en relation entre acheteurs professionnels et producteurs, le site 202VS vient récemment de fêter son 500e compte client. Un événement qui s’arrose, notamment, avec l’intégration de nouveaux spiritueux, fruit d’un double partenariat avec Whiskies du Monde et Aux saveurs de Bavière. Avec, à la clé, de nouveaux produits pour enrichir la gamme proposée aux professionnels des CHR. « Lorsque l’on a débuté, l’offre comportait majoritairement du vin, auquel ont été ajoutées des références de champagnes. On va vers un développement qui englobe l’ensemble du périmètre alcool », explique Vianney Maydieu, fondateur de la plate-forme. Pour compléter les 20 000 références de vin et champagne, il planche depuis un an maintenant sur l’offre spiritueux.

À travers ces deux nouvelles collaborations, ce ne sont pas moins de 100 références de whiskies qui sont désormais disponibles, pour des prix allant de 12,90€ hors taxes à 180€. La plate-forme en ligne a misé sur une sélection de qualité, qui mêle des classiques, mais aussi des références très pointues. En témoignent notamment les whiskies bavarois Slyrs, des single malts non tourbés qui bénéficient d’une notoriété internationale. Fait rare : les whiskies de ce distributeur peuvent être commandés à l’unité, contrairement à ceux de Whiskies du Monde, dont le minimum est de 12 bouteilles, panachables dans un même carton : « C’est certes un peu plus contraignant pour ce dernier, mais les prix et la diversité de références sont sans commune mesure », affirme Vianney Maydieu, qui se réjouit de pouvoir proposer une large palette. 202VS fonctionne avec un système d’abonnement sans engagement, au prix de 14,50€ hors taxes par mois. « Le système d’abonnement nous permet d’être désintéressés de la transaction et donc indépendants , ajoute Vianney Maydieu. Notre but est de permettre aux acheteurs de trouver ce qu’ils veulent, facilement et en petite quantité. »

PARTAGER