Anchois de Collioure, tout pour la tradition

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On ne peut pas les nommer directement « Anchois de Collioure » car ils sont protégés par une IGP, trop restrictive pour être appliquée aujourd’hui. En attendant de pouvoir récupérer ce droit d’arborer la mention, la Maison Roque, l’un des deux derniers fabricants de la ville, continue à perpétuer la tradition.

Aberration administrative. Aujourd’hui, la mention « anchois de Collioure » IGP, pourtant promulguée en 2004, n’existe sur aucun produit. Pas même sur les étiquettes des deux dernières maisons à fabriquer cette salaison dans la cité. « Aucun produit n’a pu être labellisé depuis l’apparition de l’IGP. Le cahier des charges est inapplicable », précise Florent Roque, quatrième génération à faire perdurer la tradition de l’anchois au sein de l’entreprise familiale de la Maison Roque, dont il est aujourd’hui le président.

À la Maison Roque, avec ou sans IGP, le savoir-faire perdure.


La faute de la lenteur administrative. « Quand on a travaillé sur le cahier des charges, tout était différent. On était dans les années 1990, les fabricants s’approvisionnaient à Port-Vendres, juste à côté de Collioure, on comptait 30 chalutiers. Mais aujourd’hui, on ne peut plus s’approvisionner exclusivement en Méditerranée, et il ne reste plus qu’un chalutier qui sort très peu pour l’anchois à Port-Vendres. Il y a un écart trop important entre le cahier des charges et la réalité du terrain, en matière d’approvisionnement et de produit aussi », explique-t-il avec regret.


COMBAT ADMINISTRATIF


Car depuis plusieurs années, l’anchois de Méditerranée est devenu plus petit. Certains scientifiques disent qu’il s’agit d’une carence de phytoplanctons, d’autres soulèvent la question du thon rouge, grand amateur d’anchois dans les eaux méditerranéennes. Le résultat est simple : pour continuer à confectionner des anchois à la mode de Collioure, la Maison Roque doit faire appel à la matière première en provenance de l’Atlantique, notamment du golfe de Gascogne où la pêche a été interdite pendant quelques années, ce qui a permis à la biomasse de se renouveler et de révéler aujourd’hui de beaux calibres de poissons, en nombre.


« Ils ont su gérer leur ressource. Mais rien n’est fait pour ça en Méditerranée. Les gens pensent encore que dans la baie de Collioure on trouve des anchois sur nos côtes, mais il n’y en a quasiment plus »
, s’alerte le transformateur. Et pourtant, quand son arrière-grand-père Alphonse Roque, tonnelier-saleur, a fondé l’entreprise en 1870 et installé ce fameux savoir-faire de l’anchois, « il existait 30 maisons comme la nôtre. Dans les années 1960, il ne restait plus qu’une quinzaine ; trois en 1998 et nous ne sommes plus que deux aujourd’hui ».

Depuis qu’ils travaillent avec les pêcheurs de l’atlantique, les producteurs ont retrouvé des poissons de bonne taille


Les deux derniers dignes représentants de cette histoire culinaire de la baie essaient aujourd’hui de reprendre la main sur l’IGP, en essayant de modifier ce fameux cahier des charges dépassé, « mais c’est une démarche qui est très longue ». Cependant, l’IGP garantit tout de même une chose positive : on ne peut pas vendre des anchois de Collioure fabriqués en Asie ou au Maroc. La dénomination est protégée, même si elle ne valorise aujourd’hui aucune boîte d’anchois provenant du petit port de pêche catalan.


À la Maison Roque, avec ou sans IGP, le savoir-faire perdure. « On a gardé les mêmes gestes qu’au Moyen Âge, avec cette valeur ajoutée de tout faire à la main : l’étêtage, l’éviscération, le filetage et le conditionnement. Les anchois frais sont travaillés au sel, maturés pendant plus de 200 jours dans des fûts et disposés en couronne, à la main, comme autrefois. C’est là que l’anchois prend le goût de l’anchois, on dit chez nous qu’il “ s’anchoite ” ». Une maturation lente et contrôlée qui donne aux anchois fabriqués à Collioure tout leur charme gustatif, et cette réputation de qualité qui reste. Grâce à la tradition maintenue par la passion d’une entreprise comme la Maison Roque. En attendant de pouvoir coller, enfin, de nouveau, le nom d’anchois de Collioure sur ses bocaux.

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