Le foie gras d’oie, un savoir-faire qui perdure

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Détrôné par le canard, l’élevage de l’oie a fortement diminué depuis quarante ans. Le foie gras de ce grand palmipède conserve pourtant ses adeptes. À Assier, Laurent Trémoulet a pris la suite de ses parents à la tête de la dernière exploitation du Lot à n’élever que des oies. Une activité exigeante pour un produit de très grande qualité.

Oies
Oies

Il n’y a pas si longtemps, le foie gras était essentiellement issu de l’élevage des oies grasses. En Alsace et dans tout le Sud-Ouest, « on gavait bien quelques canards de Barbarie, mais l’oie était majoritaire, pointe Magali Calmon, spécialiste ès palmipèdes à la chambre d’agri-culture du Lot. C’est l’apparition d’un croisement, le canard mulard, aujourd’hui massivement utilisé pour la production de foie gras qui inversé la tendance ». Cet hybride, très facile à élever et à gaver, a permis d’industrialiser sa production. « On estime à environ 5000 le nombre d’oies élevées chaque année dans le département, réparties entre dix producteurs. Tous font égale- ment du canard, à l’exception de M. Trémoulet. » Une goutte d’eau quand on sait que le cheptel de canards lotois approche aujourd’hui le million et demi de têtes par an.


Chaque foie est testé individuellement

L’élevage de l’oie, resté très traditionnel, demande un savoir-faire et une technicité plus élevés, mais aussi et surtout beaucoup plus de temps. À Assier, sur l’exploitation de Laurent Trémoulet, petite commune située entre Ségala et Causse du Quercy, mille oies sont ainsi élevées, gavées, abattues et transformées chaque année. « J’achète les oisons à un jour, détaille Laurent Trémoulet. Les oies sont d’abord élevées en bâtiment, puis sur des parcours en plein air. Contrairement aux idées reçues, c’est un animal très sociable et qui a bon caractère. Je les garde cinq à six mois avant de débuter le gavage. » Une opération qui dure entre trois et quatre semaines : « À l’instar de mes parents, j’ai fait le choix de continuer à gaver au maïs grain entier. Utiliser de la purée demande certes moins de temps et accélère l’absorption, mais engendre une baisse de qualité des foies. C’est un argument que nous mettons en avant pour faire valoir notre production. » Les animaux sont ensuite abattus et transformés à la ferme. Chaque foie est testé individuellement pour apprécier son taux de fonte à la cuisson. Un tri permettant ainsi de ne conserver que la qualité extra et d’éliminer le tout-venant, destiné aux mousses ou aux pâtés. Un foie d’oie pèse environ 800 g, contre 600 g pour un foie de canard. Sa couleur, réputée claire, est en fait liée à la coloration du maïs employé pour le gavage. Un grain très jaune chez Laurent Trémoulet, mais traditionnellement blanc dans le Gers, où l’élevage des oies grasses est aussi une spécialité. Quant à son goût, il est beaucoup plus doux que celui du canard. « C’est vrai également pour la viande ou les œufs, précise l’éleveur, qui n’ajoute à ses foies qu’un peu de sel et de poivre. C’est un produit qui se justifie tout seul, sans truffe ni figue ni armagnac. Je n’ai pas envie de développer ce type de chose. Je suis attaché au produit brut, traditionnel. »

Les oies sont gavées au maïs grain entier, entièrement produit sur l’exploitation.

Laurent Trémoulet, éleveur d’oies à Assier, et Magalie Calmon, conseillère palmipèdes à la chambre d’agriculture du Lot.

Une microfilière chronophage mais rentable

L’ensemble de la carcasse est valorisé sous diverses formes, confits, magrets ou cous farcis. Le frais ne représente que 15 % des ventes, et la famille Trémoulet s’est depuis près de quarante ans fait une spécialité de la conserve en boîte métallique. Une méthode qui permet notamment aux foies de se bonifier dans le temps. L’ensemble de la production est vendu en direct à la ferme ou expédié à une clientèle de fidèles partout en France. L’été, Laurent Trémoulet propose ses produits sur le marché de Figeac. Frais, un foie d’oie est vendu entre 56 et 75 euros le kilo, entre 39 et 42 euros pour le foie de canard. En conserves, il peut atteindre 150 euros le kilo. « Je suis une exception, reconnaît l’ansériculteur*. Néanmoins, depuis vingt ans que je me suis installé, ça fonctionne. C’est une microfilière, mais économiquement je m’en sors. Et encore, je ne fais pas particulièrement d’efforts pour me développer! Mon objectif est plutôt de maintenir un niveau de qualité constant pour le consommateur. Je veux continuer à faire un produit traditionnel en privilégiant l’aspect fermier. » À la suite du récent départ en retraite de sa mère, mais aussi du gaveur qu’il salariait, Laurent Trémoulet a pour la première année réduit le nombre d’oies de son cheptel. Un choix également dicté par les restrictions imposées par l’épizootie de grippe aviaire qui sévit depuis fin 2015.


Oies et canards victimes de la grippe aviaire depuis 2005

« Le potentiel de développement de la filière dans le Lot est limité à cause de l’influenza aviaire, confirme Magali Calmon. Beaucoup de troupeaux ont été abattus et leur renouvellement est compliqué car les principaux départements fournisseurs d’oisons, la Dordogne et le Gers, ont eux aussi été très touchés. La filière est dépendante des couvoirs, or c’est une activité difficile qui n’attire plus. » Deuxième difficulté, le gavage est techniquement plus compliqué et prend beaucoup de temps. Entre un canard « industriel » gavé à la purée et une oie fermière nourrie au grain entier, le rapport temps passé peut grimper de 1 à 25! « On pourrait gagner du temps si on gavait les oies plus jeunes avec de la purée, mais la qualité ne serait pas la même. Beaucoup de professionnels n’ont pas envie d’y passer autant de temps. » Si la chambre d’agriculture enregistre régulièrement quelques manifestations d’intérêt, il n’y a pas eu d’installation récente. Enfin, le foie gras d’oie subit la concurrence de l’Ukraine, de la Hongrie et même de la Chine. Un label Rouge existe dans les Landes, mais l’IGP foie gra  d’oie du Sud-Ouest est toujours à l’étude, alors qu’elle concerne déjà le canard. 

Le foie est extrait après abattage et pèse alors environ 800 g.


* L’ansériculteur élève des oies. Anser anser est le nom latin de l’oie grise de Toulouse.

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