Des restaurants complètement chanvrés

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Plante écologique et locale, le chanvre est un ingrédient de choix pour les établissements qui veulent développer une démarche responsable. Mais il représente encore un investissement important pour les professionnels de la restauration.

La culture du chanvre est bien présente en France, notamment en Seine- et-Marne ou, comme ici, en Haute-Saône. Crédit : Pascale Caussat
La culture du chanvre est bien présente en France, notamment en Seine- et-Marne ou, comme ici, en Haute-Saône. Crédit : Pascale Caussat

L’intérêt pour le chanvre en cuisine sous forme d’huile, de graine, de farine ou d’extrait de CBD, est déjà bien répandu chez les chefs. Outre son goût végétal et ses qualités nutritionnelles, cette plante a de nombreux atouts écologiques à faire valoir. Elle pousse partout en France en quelques mois, avec très peu d’eau et quasiment pas de pesticides. De plus, le chanvre stocke le carbone et régénère les sols. Pour donner un caractère local et authentique à leur établissement, les restaurateurs peuvent s’intéresser à d’autres usages : en textile dans les tenues du personnel, en cordes pour décorer la salle, en mélange avec de la chaux pour isoler les murs, et même en vaisselle biosourcée… Il est donc possible de « chanvrer » son restaurant en cuisine comme sur les tables, à condition de faire preuve de persévérance et de disposer d’un certain budget, car la filière est encore en construction.

Condiment et vêtements

La Halle aux grains, le restaurant de Michel et Sébastien Bras à la Bourse de Commerce – Pinault Collection (Paris 1er), a poussé très loin la thématique du chanvre. Il est présent dans les assiettes à l’instar d’autres graines en référence à l’ancienne halle aux blés, ainsi que dans les pantalons portés par les serveurs. « On utilise la graine décortiquée pour faire un beurre de chanvre aux tonalités herbacées et torréfiées, explique Maxime Vergély, chef de cuisine de la Halle aux grains. On se fournit aussi en miso de chanvre et pois blond auprès d’Hugo Chaise, du laboratoire My Fermentation. Il vient relever nos viandes comme la moutarde du pot-au-feu. » Pour la fabrication des tenues, le restaurant des chefs aveyronnais a fait appel à l’Atelier Tuffery, entreprise familiale située à Florac (Lozère). « Les Bras voulaient un sourcing aussi local et responsable que possible, témoigne Julien Tuffery, représentant de la 4e génération de l’entreprise fondée par son arrière-grand-père. Nous avons créé un pantalon inspiré des tenues des travailleurs des Halles, un jean ample teinté en indigo.»

Le chanvre est cultivé spécifiquement pour le textile en Occitanie. « C’est une fierté de voir que cette matière à l’image rustique retrouve ses lettres de noblesse dans un haut lieu de la gastronomie. » Non seulement le tissu de chanvre a un bilan écologique sans commune mesure avec celui du coton, mais il se révèle aussi étonnamment confortable. « Il est thermorégulateur, agréable en toute saison, assure Maxime Vergély. Les vêtements sont mis à l’épreuve dans un restaurant, ceux-ci ont une bonne résistance. »

Si la Halle aux grains est le plus gros client du secteur de la restauration pour l’atelier lozérien, le chanvre n’est pas encore entré au catalogue des marques de vêtements professionnels. La matière reste chère et rare, les volumes sont encore faibles et le processus de transformation pour obtenir une qualité textile est complexe. Sans parler de la confusion avec la drogue, même si le chanvre à destination industrielle est exempt de substance hallucinogène. « Il y a cinq ans, certains grands comptes nous demandaient si les vêtements pouvaient se fumer, se souvient Marc Jacouton, directeur développement durable de Cepovett, qui fabrique la marque Lafont. Il a fallu surmonter les réticences. Aujourd’hui on met plutôt la priorité sur le lin pour répondre à nos enjeux bas carbone. Mais je suis convaincu que le chanvre aura une place en mélange avec d’autres fibres, coton ou Tencel, une matière biosourcée. Aujourd’hui, les chefs sont engagés dans les circuits courts. En termes d’ergonomie, de confort, de bilan carbone, les matières locales ont une carte à jouer. »

La mode du CBD a aussi familiarisé les consommateurs aux dérivés de la plante aux feuilles étoilées. La molécule de cannabidiol (CBD), issue de la fleur de chanvre, procure une sensation de détente, là où la graine et l’huile qui en sont tirées apportent une teneur en protéines et en oméga 3. Eaux aromatisées, tisanes, vins, bières, les boissons au CBD s’invitent sur les cartes des bars et des restaurants, tandis que les chefs mènent des expérimentations culinaires, comme le pâtissier Philippe Conticini avec son gâteau Cirrus en 2020. On trouve parfois des cafés au CBD, mais cela semble contradictoire car les effets s’annulent. Le créateur de cocktails Vivien Dadouche, alias Monsieur Vivien, a passé de longues heures dans son laboratoire à tester les meilleures extractions du CBD. Il pratique des infusions à basse température pour libérer le goût corsé. « Il se marie bien avec le jus acidulé de Granny Smith. Je réalise aussi des sirops, des fumigations. Le CBD est recommandé en mocktail, pour avoir l’effet de détente sans alcool », relate-t-il.

Après deux ans passés au Rehab, bar de l’hôtel Normandy (Paris 1er), Monsieur Vivien commencera une mission au Tigre (Paris 1er), à partir de novembre, avec évidemment un cocktail au CBD sur la carte. Le principe actif n’étant pas soluble dans l’eau, il faut l’infuser dans un corps gras, ce qui en fait un bon ingrédient pour un golden latte par exemple. Avec la graine de chanvre mixée dans de l’eau, on peut aussi confectionner du lait de chanvre pour des matchas ou des chocolats chauds. Mais l’ingrédient reste cher, « quasiment deux fois le prix du lait d’avoine », souligne Laure Bouguen, créatrice de la marque Ho Karan, qui a ouvert un coffee shop éphémère dans son centre de bien-être rue de Bretagne (Paris 3e). Elle continue de proposer des eaux et des tisanes au CBD, en complément des massages à l’huile de chanvre.

Décoration et isolation

Les déclinaisons de la plante ne s’arrêtent pas là. La fibre solide entourant la tige permet de fabriquer des cordes qui apportent une touche naturelle en décoration, sous forme de macramé ou de barrière pour une file d’attente par exemple. Avec une réserve pointée par Stéphane Assolari, dirigeant de la Corderie Palus en Corrèze : « Le chanvre doit être ignifugé pour les lieux accueillant du public, ce qui nécessite un traitement chimique. C’est pourquoi beaucoup d’établissements ont recours à des imitations synthétiques. »

Avec l’intérieur de la tige, appelée chènevotte, la société Cavac Biomatériaux en Vendée a mis au point un processus industriel pour fabriquer des gobelets réutilisables, biodégradables et compostables, résistants à plusieurs passages au lave-vaisselle. Ils sont adaptés à des concerts ou des festivals, mais leur coût (1,50 € contre 0,50 € pour un gobelet classique) réduit les débouchés. Le plus gros potentiel du chanvre réside dans ses qualités d’isolation phonique et thermique, sous forme de panneaux souples ou de béton de chanvre mélangé avec de la chaux et de l’eau. Les premiers servent à isoler des combles en alternative à la laine de verre. Le second est projeté puis taloché sur les murs.

L’Auberge de Boffres, en Ardèche, a utilisé cette technique pour isoler son rez-de-chaussée et son premier étage, en faisant appel à l’entreprise Akta. « Il y a encore un gros travail de notoriété et d’image à mener par rapport aux laines minérales, reconnaît Florence Garreau, responsable marketing et communication de Cavac Biomatériaux, qui développe ces solutions d’isolation. Le chanvre a de vrais intérêts techniques au-delà de l’argument écologique. Certes il est 10 à 20 % plus cher que d’autres isolants, mais il a des performances supérieures en termes d’économies d’énergie et de confort ressenti, grâce à la qualité de l’air. Le chanvre a la capacité d’absorber une partie de l’humidité l’hiver et de la relarguer l’été. » À l’heure de la sobriété énergétique, comment peut-on encore faire chanvre à part ?

CBD, THC, qu’est-ce que c’est ? 

Le THC (tétrahydrocannabinol) est la molécule psychotrope du chanvre, ou cannabis si l’on parle de la drogue. Il ne doit pas dépasser un taux de 0,3 % dans les usages alimentaires de la fleur et des feuilles. Le CBD, ou cannabidiol, est un des nombreux autres composants de la fleur de chanvre, qui agit sur l’humeur sans faire « planer » ni créer de dépendance. Cependant, il demande quelques précautions d’emploi : pas plus de 50 mg par jour et par adulte, il est à éviter avec un alcool fort car les effets se cumulent. Il ne doit pas non plus être consommé chez l’enfant et la femme enceinte.

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