Le chanvre, une plante écoresponsable

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Les restaurateurs soucieux d’une démarche écologique et locale peuvent miser sur les qualités du chanvre, pour leur décor comme pour les tenues du personnel, en passant par l’isolation des bâtiments.

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Le chanvre, bien connu pour son usage relaxant, possède aussi d'autres atouts, notamment pour le textile et l'aménagement intérieur. Crédit : DR.

Dans leur restaurant La Halle aux Grains, situé dans l’ancienne Bourse de commerce devenue la Fondation Pinault à Paris (1er), Michel et Sébastien Bras cuisinent les graines dans tous leurs états, torréfiées, infusées, soufflées, en pousses… Parmi elles, la graine de chanvre, dont ils font un beurre au goût herbacé. Mais les chefs aveyronnais ne se contentent pas d’exploiter les vertus gustatives de la plante rustique. Ils l’utilisent aussi pour ses qualités textiles, dans les vêtements du personnel. « On porte un pantalon assez large, qui évoque les anciennes tenues des forts des Halles, témoigne Maxime Vergély. chef de la Halle aux Grains. Il est confortable, agréable en toutes saisons et résistant, car les vêtements sont mis à l’épreuve dans un restaurant. Les Bras voulaient remettre le chanvre français à l’honneur. »

Les pantalons sont fabriqués par l’Atelier Tuffery en Lozère, à partir de chanvre cultivé en Occitanie. C’est une affaire de famille : Julien Tuffery a repris l’entreprise fondée par son arrière-grand-père en 1892 afin de valoriser les fibres textiles locales, lin, chanvre, laine. Et le beau-père de Maxime Vergély, lui-même cultivateur de chanvre sur le Causse Méjean, approvisionne la coopérative où se fournit l’atelier. « Michel Bras et son équipe voulaient un concept aussi local et responsable que possible, dans l’assiette comme dans le décor du restaurant, explique Julien Tuffery. De notre côté, nous sommes très actifs dans la relance de la filière chanvre avec la coopérative Virgocoop qui relocalise la production en région Occitanie. On a mené le projet en co-construction. Quand on a commencé il y a huit ans, on nous prenait pour des bobos écolos au fin fond des Cévennes. Aujourd’hui, on est fiers que le chanvre retrouve ses lettres de noblesse dans un haut lieu de la gastronomie. »

Une filière écologique et locale 

Alors que la plante formait avec le lin le cœur de la production textile française au XIXe siècle, elle a quasiment disparu du fait de la concurrence du coton et des fibres synthétiques. De 176 000 ha en 1900, la production est tombée à 700 ha en 1960. Elle est aujourd’hui remontée à 22 000 ha, grâce à l’intérêt pour une culture locale, nécessitant peu d’eau et de pesticides, constituant un puits naturel de carbone, et dont les usages sont variés de la tête aux pieds : alimentaire, textile, plasturgie, construction…

Pour un restaurateur désireux de mener une démarche responsable en circuit court, le chanvre offre de multiples applications. « La demande pour le chanvre est en forte augmentation, on a même du mal à répondre dans le textile, car on a perdu les machines qui permettaient de traiter la matière, assure Sophie Inard, responsable marketing de Virgocoop. Elle souffrait d’a priori : ça gratte, c’est du cannabis. Mais l’industrie de la mode s’y intéresse à nouveau, car elle cherche des alternatives au coton, très polluant. »

Virgocoop a mis au point un mélange de chanvre et de laine baptisé le mesclat, qu’elle fournit à la société Ubac, spécialisée dans les baskets en matière naturelle. « Le secteur des bars et des restaurants est intéressé, car la matière est très confortable, adaptée aux serveurs qui courent partout, assure Mathilde lettery, cofondatrice d’Ubac. Le chanvre seul est cassant, il manque de souplesse, mais en le mélangeant avec la laine il apporte des qualités thermorégulatrices et antibactériennes. » Pour le moment, la production ne permet pas un approvisionnement à grande échelle, et les restaurateurs motivés ont intérêt à traiter en direct avec les fabricants, comme la Halle aux Grains avec l’Atelier Tuffery.

De son côté, Marc Jacouton, directeur du développement durable du fabricant de vêtements professionnels Cepovett, a tenté de proposer des tenues en chanvre dans son catalogue, mais les freins sont encore nombreux. « Il y a 5 ans, certains clients me demandaient si ça se fumait, se souvient-il Aujourd’hui on travaille plutôt le lin, car les volumes sont plus importants et les prix plus accessibles. Mais je suis persuadé que le chanvre aura toute sa place en association avec d’autres matières pour apporter de la résistance et pour diminuer l’impact carbone de notre industrie. »

Une matière résistante

La fibre de chanvre permet également de tisser des cordes pour apporter une touche naturelle à un intérieur, sous forme de décoration en macramé ou de barrière de séparation. Avec la chènevotte, l’intérieur de la tige, mélangée à des résines, on peut fabriquer de la vaisselle réutilisable, en alternative au plastique issu de la pétrochimie. Mais l’usage le plus prometteur est certainement en isolant pour le bâtiment. « À partir de la fibre, on produit des matelas d’isolation souples comme de la laine de verre, vendus dans les enseignes de bricolage, relate Florence Garreau, responsable marketing de la société Cavac Biomatériaux. Ils sont 10 à 20 % plus chers à l’achat, mais beaucoup plus économiques à l’usage, car leurs performances énergétiques sont bien supérieures aux laines minérales. Le chanvre absorbe une partie de l’humidité l’hiver, la rejette quand il fait chaud, ce qui permet de faire des économies de chauffage et de climatisation. »

Autre option, le mélange de paille de chanvre et de chaux projeté dans les murs apporte une isolation thermique et une régulation de l’hydrométrie qui procure une sensation de confort intérieur. La société Akta, spécialisée dans le béton végétal, a utilisé cette technique pour rénover l’Auberge de Boffres en Ardèche, un établissement situé dans l’ancienne gare du village. Au total, 30 m3 de béton de chanvre ont été projetés et les murs recouverts d’un enduit en terre pour améliorer les conditions thermiques, hydriques et phoniques du bâtiment centenaire.

À Pornic en Loire-Atlantique, c’est le tout nouveau Eco-Domaine La Fontaine, un hôtel 4 étoiles, qui a bénéficié d’une isolation en béton de chanvre, dans une ossature en bois biosourcé. Encore réservé aux initiés, alternative onéreuse en temps d’inflation, le chanvre apparaît pourtant comme une solution de long terme face aux défis environnementaux.

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