Les vins de Bergerac retrouvent la lumière

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Longtemps éclipsés par ceux de Bordeaux, les vins de Bergerac et Duras reviennent en force, portés par leur terroir, leur caractère et leur originalité. Un retour en grâce qui résulte d’efforts qualitatifs conséquents en matière de culture raisonnée, de travail sur le sol et de sélection parcellaire.

Le château de Monbazillac.
Le château de Monbazillac. Crédit : DR.

Longtemps, les vins de Bergerac et Duras ont vécu dans l’ombre de leur opulent voisin bordelais, auquel ils étaient historiquement reliés par le cours de la Dordogne. Dotée de sa façade Atlantique, ouverte sur le monde et riche de ses liens historiques avec l’Angleterre, la Gironde et ses châteaux réputés ont toujours pris la lumière. Pourtant, du côté de Bergerac, certains racontent que, autrefois, les Bordelais ne répugnaient pas à « améliorer » leurs crus en les assemblant avec des vins issus du bergeracois, et que les négociants de Libourne – ville passerelle – ne faisaient guère de diff érences entre les deux régions. Le destin des deux vignobles est ainsi resté étroitement mêlé durant plusieurs siècles. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, le phylloxéra a failli porter un coup fatal au bergeracois dont le vignoble totalisait encore 107 000 ha en 1865. Trente ans an plus tard, il était réduit à 2 000 ha et n’a jamais retrouvé ses volumes d’antan depuis lors. Il compte aujourd’hui 10 000 ha, auxquels il faut ajouter les 2 000 ha des côtes de Duras ; car afin de peser davantage, les deux interprofessions ont décidé de fusionner en 2014. Comme Bergerac, Duras qui évoluait dans le sillage du Bordelais a dû jouer en solo depuis la naissance des AOC. L’INAO a en effet considéré que les portes du Bordelais s’arrêtaient aux frontières de la Gironde. Bergerac, installé en Dordogne, et Duras, dans le Lot-et-Garonne, ont donc dû tant bien que mal se forger leur propre identité.

Une effervescence foncière 

À l’heure où le vignoble bordelais traverse une crise profonde et amorce un déclin sans doute provisoire, le tandem Bergerac-Duras sent que son heure est venue. Marie-Pierre Tamagnon, chargée de communication des deux vignobles, se réjouit : « Depuis la crise sanitaire, le nombre de transactions foncières a été multiplié par deux. » Des néo-vignerons considèrent avec intérêt la région, mais surtout des investisseurs se penchent sur ces terres un peu oubliées et donc abordables. Déjà en 2012, Karl-Friedrich Scheufele, patron de la marque d’horlogerie suisse Chopard, a mis la main sur les 30 ha du château Monestier La Tour. La même année, Christian Bègue, important promoteur immobilier de la Réunion, a racheté le château de la Tilleraie (Bergerac) et ses 35 ha dont il vient d’achever la restructuration. En 2018, ce fut au tour du château Cluzeau, à Sigoulès-et-Flaugeac, de passer sous le contrôle d’un des membres de la famille Mulliez. Il y a deux ans, l’homme d’affaires islandais, Róbert Wessman, déjà installé de longue date au château Saint-Cernin, a fait l’acquisition du domaine des Verdots, à Conne-de-Labarde, pour constituer un ensemble vinicole de près de 70 ha. La même année, François-Xavier Lesot et son épouse Blandine, patrons de l’entreprise Hébel (traiteur), à Nantes, se sont offert les 15 ha du château les Farcies du Pech dans la très recherchée AOP Pécharmant, qui rassemble 400 ha de vignoble. Enfin pour la petite anecdote, le château de Thénac a récemment défrayé la chronique. Depuis 2001, il est détenu par le milliardaire Evgeny Shvidler, qui a été placé l’année dernière par le RoyaumeUni sur la liste noire des oligarques russes. À cela, il faut ajouter quelques familles installées de plus longue date, comme les Ryman, au Château de la Jaubertie, ou les Hembise, au château Montdoyen, qui proposent aussi des vins réputés. Plusieurs atouts expliquent la présence de ces vents porteurs pour Bergerac et Duras, à commencer par des rapports qualité-prix qui sont restés très attractifs. Les 17 AOP locales bénéficient ensuite d’une forte originalité et d’une image de terroir dans l’air du temps. Contrairement à l’idée reçue, les rouges ne représentent que 44 % de la production contre 14 % pour les rosés et 42 % pour les blancs, couleur actuellement très en vogue. Dans cette dernière couleur, outre les vins secs, on recense des liquoreux réputés comme ceux de Monbazillac ou de Saussignac, mais aussi des moelleux, notamment au sein de la petite et très ancienne appellation Rosette. Il faut d’ailleurs rappeler que les liquoreux de la région n’ont rien à envier aux Sauternes. Comme eux, ils bénéficient d’une botrytisation issue de la pourriture noble qui gagne le raisin l’automne, lorsque les brumes envahissent les rives de la Dordogne. La montée en gamme des vins passe aussi par le bois. La plupart des cuvées de prestige – en blanc et rouge – effectuent un long séjour en fûts, ce qui leur confère une structure tannique forte, parfois trop robuste aux yeux d’amateurs de vins un peu plus fruités. L’élevage en bois est complexe et pointu, et certains acteurs ont conscience de la nécessité d’adoucir ou d’arrondir cette puissance. Lise Sadirac, nouvelle directrice d’exploitation du Château des Verdots, envisage ainsi progressivement de troquer ses fûts de 228 litres contre des modèles de 500 litres afin d’assouplir le boisé. Non loin de là, au Clos du Breil, à Saint Léon-d’Issigeac, Loïc Vergniaud souhaite pour sa part faire des essais avec des fûts de 300 litres afin d’éviter un marquage trop brutal. Cet ancien responsable de cave, qui a rejoint en 2020 son frère dans la ferme familiale pour s’orienter résolument vers la vigne, en abandonnant la polyculture, incarne bien cette nouvelle génération de vignerons. Sa famille a investi en 2017 dans un nouveau chai où sommeillent les tonneaux mais aussi quelques oeufs en grès dans lesquels le vigneron imagine ses nouvelles cuvées. Un passage dans un tonneau de chêne représente un coût de 2,50 €/bouteille pour Loïc et son frère. Mais selon lui, il faut passer par ces efforts pour jouer dans la cour des grands vins : « Il faut en finir avec l’image des bergeracs vendus dans les supermarchés à moins de 4 €. »

Des ambitions

Gaëlle Perreau croit aussi à cette montée en gamme. Après avoir mené une carrière dans les vignes en France et à l’étranger, elle a repris le domaine familial de Perreau, dans l’AOP Montravel. Elle l’a fait certifier bio en 2019 et produit désormais de très jolies cuvées parcellaires aux noms évocateurs : Désir d’aurore, Désir Carmin. Pour répondre à ce souci général de valorisation, l’interprofession de Bergerac envisage une meilleure mise en relief de son terroir. À côté des AOP génériques, Bergerac et côtes-de-bergerac, il existe déjà plusieurs AOP plus confidentielles. Elles sont spécifiques et dotées de cahier des charges plus ambitieux : Montravel, Monbazillac, Pécharmant, Rosette, Saussignac. L’AOP côtes-de-bergerac avait été conçue pour distinguer les bergeracs rouges, mais aussi blancs, plus haut de gamme. Le cahier des charges est plus exigeant, avec par exemple des rendements à l’hectare limités à 50 hl, contre 60 hl pour les bergeracs. Mais cette appellation, produite à l’intérieur des mêmes limites géographiques que l’AOP Bergerac, parle peu au consommateur. De plus, elle ignore les blancs secs qui constituent un atout considérable. À terme, les vignerons caresseraient l’idée d’abandonner l’AOP côtes-de-bergerac. Il souhaitaient créer trois ou quatre DGC (dénominations géographiques complémentaires), isolants des terroirs particuliers comme celui d’Issigeac. Ces nouvelles appellations permettraient ainsi de mieux valoriser les cuvées issues de ces zones identifiées pour leur potentiel.

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