Favoriser le bien-être de son équipe

  • Temps de lecture : 10 min

Réduction de l’absentéisme, meilleures performances, amélioration de l’engagement, motivation accrue, fidélisation. La qualité de vie au travail (QVT) est un véritable atout pour les chefs d’entreprise. Comment la mettre en place dans son établissement ?

>Pokawa a ouvert en 2017, et comptait en 2018 un CA de 4,80 millions d’euros.

« Pour résumer, la qualité de vie au travail, c’est l’art de rendre ses collaborateurs heureux », lance d’emblée Vincent Sitz, patron de Baltard au Louvre (Paris 1er) et président de la commission emploi, formation et QVT du GNI. Une définition que partage Fabrice Cloarec, du cabinet RH Aozan Conseil, qui a rédigé avec l’Umih un guide des bonnes pratiques sur les ressources humaines et la qualité de vie au travail dans le secteur des CHR. « C’est tout ce qui, du côté de l’humain, permet à la fois la performance de l’entreprise et les bonnes conditions de travail des salariés », précise-t-il. Dans un secteur en pleine mutation, fragilisé par la crise sanitaire et les fermetures administratives, les entreprises de l’hôtellerie-restauration ont tout intérêt à s’interroger sur le bien-être de leurs équipes. « La qualité de vie au travail est un global d’actions à effectuer pour redonner de l’attractivité à nos métiers », estime de son côté Hervé Bécam, vice-président de l’Umih. Face aux difficultés de recrutement que connaît actuellement le secteur, la QVT pourrait même se révéler être un enjeu majeur. « Les difficultés de recrutement ne sont pas nouvelles, mais c’est maintenant pire et les anciens modèles de travail ne sont plus ce que veulent les jeunes générations, il faut en avoir conscience », corrobore Vincent Sitz.

Organiser le travail en équipe 

Pour Fabrice Cloarec, qui a accompagné une dizaine d’établissements dans leurs démarches d’amélioration de la qualité de vie au travail, un déficit d’organisation est souvent l’élément principal qui peut dégrader les conditions de travail. Une bonne organisation, claire, mais qui laisse tout de même de l’autonomie, est déterminante dans le fonctionnement des CHR. « Il peut être très pertinent de rédiger des fiches de poste, car cela permet d’être lisible sur ce que l’on attend des employés et pour les rassurer », illustre-t-il. Il ne faut toutefois pas écarter l’équipe du processus de décision et renforcer la communication avec elle. « Impliquer les collaborateurs est déterminant, ils doivent connaître le sens de ce qu’ils font et pouvoir être force de proposition », estime Vincent Sitz, indiquant que le gérant doit à tout prix éviter d’imposer ses choix. « Il n’est pas juste de résumer la QVT à une seule action prise dans son coin, par exemple si un patron offre le petit-déjeuner à ses employés en pensant bien faire, s’est-il demandé si son équipe ne préférait pas profiter de la matinée en famille ? », glisse-t-il. Pour sa part, il a sollicité ses salariés pour savoir comment améliorer leurs conditions de travail au sein de son établissement parisien. « Il s’avère qu’il faisait trop chaud dans la cuisine et que la hauteur des plans de travail n’était pas adaptée, explique-t-il. J’ai donc changé les installations pour passer du gaz à l’induction, ce qui a fait baisser la température, et j’ai fait installer des plans de travail à hauteurs variables. Cela a amélioré les conditions d’exercice de leur métier, car cela venait d’une demande de leur part, de leur ressenti, ils se sont sentis impliqués dans ces changements. » Par ailleurs, le rôle du manager doit être repensé. Un management à l’écoute, rigoureux sur la qualité du travail et en soutien de l’équipe est un autre atout de la qualité de vie au travail. « Nous devons sortir d’un système archaïque et pyramidal, estime Vincent Sitz. Le management est la clé qui déverrouillera tout. » Casser les codes et réussir à le gérer de façon transversale est devenu nécessaire. « Nos chefs d’entreprise ont pris conscience de l’importance de l’humanisation des relations avec les collaborateurs, affirme Lorenzo Dri, directeur emploi formation de l’Umih.

« Impliquer les collaborateurs est déterminant, ils doivent connaître le sens de ce qu’ils font et pouvoir être force de proposition. » Vincent Sitz, patron de Baltard au Louvre (Paris 1er ) et président de la commission emploi, formation et QVT du GNI.

Pendant le confinement, nous avons remarqué que les formations les plus prisées étaient celles concernant le management, la gestion du personnel, les problématiques de stress, cela montre bien que c’est une préoccupation pour les professionnels du secteur. »

Bien conscient de cette réalité, le groupe Pokawa, qui compte une trentaine de restaurants en France, forme ses futurs responsables à une approche transversale. « Avant de prendre leur poste, les managers suivent une formation de quatre semaines où ils sont sensibilisés à ces sujets, détaille Axelle Campos, responsable des ressources humaines chez Pokawa. Cela se joue également au moment du recrutement, nous recherchons des personnes qui sont leaders, mais qui n’écrasent pas les collaborateurs. »

Concilier les temps

De l’avis de tous les professionnels interrogés, le constat est sans appel : les employés, surtout les jeunes générations, souhaitent à présent pouvoir concilier leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Dans ce contexte, organiser les différents temps est primordial. « J’ai 50 ans, quand j’ai commencé je ne me souciais que de ma carrière, mais cela a changé et nos salariés veulent maintenant pouvoir travailler tout en continuant à avoir une vie à l’extérieur », affirme Vincent Sitz. Bien conscient que les coupures et le travail le dimanche restent des incontournables dans les CHR, il a tout de même opté pour une réorganisation du travail dans son établissement. En ouvrant en continu toute la journée, il a réussi à moduler et réduire le nombre de jours avec coupure. « Économiquement, je ne peux pas encore me permettre de rémunérer deux équipes, mais les employés font maintenant trois coupures par semaine au lieu de cinq, cela leur permet d’avoir une vie un peu plus normale », explique-t-il. Selon lui, une réflexion pourrait également être menée sur la rémunération des heures de coupure.

« La rémunération est un des éléments sur lesquels nous devons travailler pour redonner de l’attractivité à nos métiers. » Hervé Bécam, vice-président de l’Umih.

« Les contraintes de nos secteurs, nous les connaissons, travail du soir, du week-end, en coupure, faisons en sorte que l’on reconnaisse aussi les avantages et rendons le travail le plus agréable possible », ajoute-t-il. Un point de vue que partagent Lorenzo Dri et Hervé Bécam du GNI, qui travaillent sur l’ensemble de ces questions. « Tenter d’éviter au maximum des coupures est intéressant, même si c’est inhérent au secteur », défend Lorenzo Dri. Du côté de Pokawa, la majorité de leurs établissements est en ouverture continue, ce qui évite le travail en coupure.

Levier financier et formation

Le volet financier par de l’intéressement ou une valorisation des salaires n’est également pas à négliger. Pour la ministre du Travail, Élisabeth Borne, les rémunérations « ne sont pas à la hauteur », elle invite les employeurs « massivement aidés pendant la crise » à « mettre des propositions sur la table ».

« La rémunération est un des éléments sur lesquels nous devons travailler pour redonner de l’attractivité à nos métiers », concède Hervé Bécam. Un avis partagé par Vincent Sitz. « Aujourd’hui, nous devons payer à la juste rémunération, sans vouloir faire de l’inflation, il faut dépasser le SMIC », assure-t-il. Aussi, pour motiver ses employés, il a mis en place des primes et une rémunération variable avec objectif. « C’est humain, si lorsque nous travaillons davantage nous ne sommes pas rémunérés en conséquence, cela baisse la motivation », ajoute-t-il. Axelle Campos considère, elle aussi, que parmi les leviers de motivation, la rémunération est déterminante. Ainsi, à Pokawa, les salaires ont une part variable et il existe des primes exceptionnelles, en cas de remplacement par exemple. « Nous offrons aussi une prime dans le cadre de l’employé du mois [voir encadré ci-dessous], cela permet de souligner l’implication », présente-t-elle.

Par ailleurs, continuer de se former, que l’on soit gérant ou employé, est essentiel. « En tant que gérant on a parfois le sentiment que la formation est une perte de temps et d’argent, mais au contraire il s’agit de petits investissements qui peuvent faire économiser beaucoup », assure Vincent Sitz. La transmission de compétences, très courante dans le secteur des CHR, peut d’ailleurs maintenant être valorisée. Depuis 2018, ces « formations sur le tas » sont reconnues grâce à l’Afest, une démarche d’apprentissage qui peut se faire directement sur le lieu de travail (voir encadré p. 16). « Valoriser tout ce que peut transmettre un serveur expérimenté à un autre, ou bien un chef à un nouveau venu participe au bien-être des salariés, commente Fabrice Cloarec. C’est même un élément différenciant de la concurrence, en disant que dans tel ou tel établissement on peut être formé, le chef nous transmet son savoir-faire et on peut apprendre. »

Un secteur en mutation

La fierté, l’entraide, la mise en avant des valeurs dans le travail sont également des leviers d’amélioration de qualité de vie au travail. « Lorsqu’il y a un vrai attachement à l’établissement, que le gérant est protecteur de ses salariés, qu’il a instauré un dialogue et que l’organisation est optimum, la motivation est accrue », souligne Fabrice Cloarec. De son côté, l’Umih a lancé une vaste étude sur le sujet, dont les résultats devraient être connus avant la fin de l’année 2021. « On nous renvoie toujours à des conditions de travail dégradées, mais le secteur ne s’arrête pas à cela, il faut que nous valorisions nos forces », déclare Lorenzo Dri. Pour Hervé Bécam, certaines critiques ne sont d’ailleurs pas fondées, à l’instar de celle du turn-over des équipes. « Ce n’est pas forcément un handicap, c’est même structurel dans notre métier, les grands cuisiniers ont tous connu de multiples maisons, cela fait même partie de la formation », mentionne-t-il. Finalement, les acteurs du secteur souhaitent mettre en avant les avantages de ces métiers afin de valoriser l’ensemble de la filière. 

Se former sur son lieu de travail

L’Afest est une action de formation en situation de travail permettant d’intégrer des apprentissages qui se réalisaient autrefois de manière informelle, appelés communément « sur le tas » dans le cadre de la formation professionnelle continue, intentionnelle, planifiée et organisée. Elle se fait généralement directement sur le lieu de travail et est reconnue par la loi Avenir professionnel depuis septembre 2018.

Source : AKTO et Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

L’exemple de Pokawa

Depuis le début de l’année 2021, le groupe Pokawa a lancé différentes actions en faveur de la qualité de vie au travail de ses employés. D’une part, le groupe, qui compte 34 restaurants, dont les trois quarts en propre, a décidé de s’inspirer du modèle américain en nommant mensuellement l’employé du mois. « Cela permet de mettre en avant l’employé le plus méritant, celui qui a fait le plus d’effort, on fait son portrait et on le diffuse sur les réseaux sociaux, c’est une véritable reconnaissance pour eux », explique Axelle Campos, responsable des ressources humaines chez Pokawa.

L’employé du mois bénéficie aussi d’une prime exceptionnelle. D’autre part, pour le bien-être de ses collaborateurs, le groupe leur offre l’accès gratuit à une salle de sport.

« L’idée est qu’ils puissent prendre un temps pour eux, pour évacuer le stress et se défouler, ils peuvent le faire pendant leurs coupures s’ils le souhaitent », détaille Axelle Campos.

Autre action mise en place au début de 2021, pour soutenir les employées souffrant du syndrome prémenstruel (SPM), le groupe met gratuitement à disposition dans tous les restaurants des protections hygiéniques. « Cela permet de rendre la période un peu plus agréable et sereine pour les personnes concernées », commente-t-elle. Dans le même temps, le groupe a décidé de rallonger le congé paternité, en offrant la possibilité au père ou à la personne qui vit avec la mère d’avoir un congé d’une durée égale à celle-ci.

Samuel Carré et Maxime Buhler, cofondateurs de Pokawa.

PARTAGER