Les nouvelles aspirations des ex de la restauration

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Ils seraient 100 000 du secteur CHR à ne pas avoir repris le chemin d’un établissement depuis la réouverture. Une décision due à la période de fermeture qui les a laissés sans visibilité professionnelle. Et cette tendance semble toucher tant les salariés que les patrons.

«J’ai toujours voulu travailler en hôtellerie-restauration, c’est même une histoire de famille chez moi », raconte Adrien Bégué, 23 ans, titulaire d’un bac professionnel en hôtellerie-restauration option service. Après avoir enchaîné six saisons comme serveur et barman, puis comme voiturier bagagiste en hôtellerie de luxe sur la Côte d’Azur, il pensait continuer sur sa lancée et faire une saison d’hiver à la montagne. L’endroit, le poste, le restaurant, il avait tout trouvé. Mais la Covid en a décidé autrement, le laissant sur le carreau, désœuvré, sans perspectives professionnelles ni visibilité.

« Ce temps de pause m’a permis de me poser les bonnes questions. De faire un point afin de savoir si je voulais vraiment continuer dans ce métier », raconte-t-il. Une période incertaine, un mode de fonctionnement saisonnier qu’il commençait déjà à trouver « inconfortable » et une aspiration à une vie plus tranquille ont eu raison de sa motivation : « Quand tu es saisonnier, tu ne prends pas le temps de te poser, de réfléchir à ton avenir. La saison n’est même pas finie que tu prospectes, tu te projettes sur la suivante. » Une forme de désamour pour ce secteur qui était préexistant, mais dont la crise du coronavirus s’est révélée le catalyseur. « Nous sommes beaucoup à aimer ces métiers, mais il y a trop de contraintes qui peuvent démotiver », regrette-t-il. Parmi les contraintes listées par le jeune homme, l’intensité et le manque de visibilité sur le planning et les horaires.

« Tu ne connais pas forcément ton planning d’une semaine sur l’autre. Tu ne peux rien prévoir en termes d’activités et de vie personnelle. » Autre élément pointé du doigt, la coupure. « C’est comme enchaîner deux journées en une. Ça demande d’avoir une bonne gestion de son rythme et de sa fatigue », analyse le Cannois.

Aujourd’hui installé dans le Pays basque, il aimerait intégrer un magasin de surf comme vendeur et espère y trouver un rythme plus tranquille, et surtout un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Il concède, sans regret, avoir « fait une croix sur la restauration ».

Recherche d’équilibre

Tout comme lui, 100 000 salariés habituels du secteur CHR tourneraient le dos à la profession, selon une étude menée par les organisations professionnelles. En parallèle, Pôle Emploi, dans une enquête sur le besoin de main-d’œuvre, prévoit 116 000 projets de recrutement de serveurs sur l’ensemble du pays en 2021. Un nombre qui monte à 192 000 en y intégrant les métiers de chefs cuisiniers, cuisiniers et employés d’hôtellerie. Un compte qui n’inquiète pas Adrien Bégué. « Il y aura toujours des gens pour travailler en restauration. Des étudiants, des jeunes qui ne voudront pas en faire leur métier mais qui feront ça de manière sporadique. On va juste tendre vers une main-d’œuvre moins qualifiée, souligne-t-il. Être serveur ce n’est pas compliqué. En revanche, être un bon serveur ça peut l’être. » En outre, « la restauration a toujours été un métier en tension » , affirme Jean Terlon, vice-président de la branche restauration de l’Umih.

Pour lui, la jeune génération n’est plus en mesure de supporter les mêmes contraintes que l’ancienne. Il analyse ce phénomène comme un changement des mentalités en termes de rapport au travail et d’équilibre avec les loisirs. Une tendance accentuée par la pandémie et la fermeture des établissements durant de nombreux mois, laissant bon nombre de salariés obligés de se réinventer. « Nous en avons vu beaucoup partir dans le bâtiment », assure-t-il. Ce secteur n’implique pas la plupart du temps d’horaires de nuit ou de travail le week-end. Le vice-président de l’Umih considère que la coupure représente également une contrainte forte pour les salariés. Mais elle est difficile à gommer pour les petits restaurateurs qui se retrouvent dans l’impasse avec l’impossibilité d’avoir deux équipes. « Il faudrait mettre la question de la coupure en restauration artisanale sur la table, soulève-t-il. Il y a peut-être une solution financière à trouver au niveau des charges ou intégrer un pourcentage sur le service, comme une carotte, afin que cela devienne attrayant. » La valorisation des salaires, le bien-être au travail sont d’autres pistes pour créer davantage d’attractivité.

Prise de conscience

Les salariés CHR ne sont pas les seuls à être concernés par ces contraintes et à souhaiter changer de voie. « Le rythme qu’impose la restauration est affreux », lance Ghali Jawhari, grossiste dans l’agglomération toulousaine. Lui a gardé contact avec ses clients restaurateurs durant la crise, et sent comme une forme de remise en question et d’attrait à une vie plus conventionnelle par certains. « Avec les confinements, beaucoup ont goûté ce que c’était d’être en vacances, ont pu plus profiter de leur famille, eu du temps pour faire des activités, du sport et se disent “ce n’est pas une vie qu’on avait avant”, pense-t-il. Ils ont commencé la cuisine vers 16 ans et ont gardé la tête dans le guidon jusque-là. » Cette tendance n’a pas encore été quantifiée, mais elle n’étonne pas bon nombre de restaurateurs, comme le confirme Jean Terlon.

À 61 ans, après avoir commencé dans la restauration à l’âge de 14 ans, il a décidé de passer la main en vendant son établissement situé dans l’Essonne dont il est propriétaire depuis plus de 30 ans : « Même nous les chefs d’entreprise, avec la fermeture, on a profité de moments dont on ne jouissait jamais. » Entre les effets financiers de la crise et la prise de conscience qu’elle a engendrés, il estime qu’il ne sera pas le seul à rendre son tablier. « On verra l’étendue des dégâts à la réouverture. Certains ont changé de direction. Puis on prend goût à moins travailler », conclut-il. 

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