Mon équipe, ma bataille

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La décision a été brutale. Du jour au lendemain, les professionnels du CHR ont dû baisser le rideau et renvoyer le personnel chez lui. Sans vraiment savoir quelles perspectives leur proposer. La gestion des équipes est pourtant cruciale en cette période de crise, et loin des yeux ne doit pas dire loin du cœur.

Pendant le confinement

Maintenir le dialogue

Même si l’établissement a totalement interrompu son activité et que l’ensemble de l’équipe est en chômage partiel, il faut garder le lien en perspective de la reprise. Les contrats étant seulement suspendus, l’employeur a toujours un devoir moral vis-à-vis de ses employés. En prenant des nouvelles, on mesure de quelle manière chacun traverse le confinement et aborde le chômage forcé. Certains salariés ont sans doute besoin d’être rassurés sur les modalités, l’incidence sur leur rémunération… Les réseaux sociaux sont un bon moyen de créer des conversations d’équipe, qui permettent aussi bien d’échanger des informations que de partager des moments plus détendus. « L’enjeu est de leur montrer que toute l’équipe avance ensemble, de réfléchir en commun pour préparer la reprise », explique Clarisse Ferreres-Frechon, fondatrice de l’agence de communication Melchior, à l’occasion d’un webinar avec Zenchef.


Garantir la sécurité et l’équité

Si l’établissement maintient une activité minimale, l’employeur doit le faire en toute transparence. À la fois en mettant en place des mesures pour la sécurité de ses salariés (procédures d’hygiène, distances de sécurité, décontamination…), mais aussi en informant tous les salariés du niveau d’activité de l’entreprise et donner la possibilité de travailler à tous ceux qui le souhaitent. En organisant des rotations de planning, par exemple, on permet à chaque membre de l’équipe de travailler quelques heures par semaine, ce qui limite l’impact du chômage partiel sur le salaire.


Les congés

Le Gouvernement a pris des mesures pour assouplir le code du travail, notamment du point de vue des congés et des RTT qui peuvent être imposés par l’employeur, dans la limite de six jours ouvrables. Dans ce contexte, une communication efficace est de rigueur pour éviter de dégrader les relations avec les salariés concernés. « Il n’y a qu’en discutant qu’on trouvera des solutions, souligne Sylvaine Perragin, psychothérapeute, spécialiste de la psychologie du travail et de la prévention des risques psychosociaux. Cela fait vingt ans que je milite pour l’échange avec les salariés pour diminuer le stress au travail. C’est sans doute l’occasion ou jamais de repenser les modes de travail et d’organisation. » (Lire l’encadré.)



À l’approche de la réouverture

État des lieux

Après avoir encaissé l’onde de choc, il faudra faire le point. L’entreprise va-t-elle survivre à la crise, faut-il revoir l’organisation du personnel, licencier dans le pire des cas ? Pas facile de prendre du recul au sortir d’une période de si grande incertitude. « Je conseillerais aux restaurateurs de redémarrer comme s’ils prenaient une nouvelle affaire, avance Laurent Pailhès, fondateur de l’agence de coaching d’entreprise Neo Engineering. Après cette période, tout doit être redécouvert, aussi bien l’entreprise que les collaborateurs, car tous ont vécu des choses inédites. Une manière de faire serait d’être vigilant sur l’intégration de chacun à la nouvelle marche de l’entreprise, comme on pourrait le faire avec du personnel saisonnier. »

-> Le dossier de la rédaction 3/4 : Être visible sur la toile



Transparence

Dans le cas où l’entreprise ne se remettrait pas de la crise, la transparence est de rigueur. S’il est inutile d’affoler les salariés avant que l’État ait annoncé une date de reprise d’activité, il est quand même préférable de ne pas attendre le jour J pour avertir les salariés de la situation. Rafael Ferreira gère la brasserie La Bulle à Vélizy. Le restaurant a cessé toute activité pendant le confinement. « Je n’envisage pas de licencier, parce qu’on est une toute petite équipe et j’aurai besoin de tout le monde à la reprise. Si je devais en arriver là, je supprimerai peut-être un poste, mais je sais que deux ou trois mois après la reprise, j’aurai à nouveau besoin de quelqu’un. Par contre, dans de plus gros établissements, j’imagine qu’ils ne pourront pas continuer avec les mêmes effectifs qu’avant. Ils vont devoir ajuster leurs équipes. Mes salariés sont plus inquiets pour le restaurant que pour leur propre avenir. Ils sont jeunes, ils savent que dans le pire des cas ils pourront retrouver du travail ailleurs. Mais on se pose tous beaucoup de questions sur la façon dont on va sortir de tout ça. J’essaye de leur donner des infos lorsque j’en ai. »



Le point de vue RH de

Alain Jacob, président fondateur de AJ conseil, agence spécialisée dans les ressources humaines en restauration

Quel est le risque du confinement sur la gestion du personnel en CHR ?

De nombreux établissements vont perdre des effectifs pendant le confinement. Certains contrats vont en pâtir, comme l’intérim ou les CDD, mais aussi des périodes d’essai ne seront pas prolongées ou certains démissionneront. Il faudra réagir vite, donc à l’agence nous mettons à profit la période de confinement pour mettre à jour notre vivier de candidats.

Quels seront les enjeux en termes de recrutement au moment où les restaurants rouvriront ?

De notre côté, nous nous tenons prêts pour la réouverture en prévoyant un besoin de renforts opérationnels à la reprise, notamment pour des postes de middle management. Tout l’enjeu est de savoir si, à partir du moment où les restaurateurs seront autorisés à rouvrir, ils pourront repartir à 100 % de leur capacité ou s’il y aura toujours des mesures de précaution. On ne peut pas non plus prévoir la réaction des consommateurs. Vont-ils se précipiter dans les bars et les restaurants pour compenser des semaines de frustration, ou au contraire y aura-t-il de la réticence au début ? C’est toute la difficulté pour anticiper quels seront les besoins en personnel. On essaye d’être prêts pour pouvoir dégainer rapidement.


Alain Jacob
Alain Jacob.

Le point de vue psychologique de

Sylvaine Perragin, spécialiste de la psychologie du travail et de la prévention des risques psychosociaux

Quels conseils donnez-vous aux employeurs lorsqu’ils remettront leurs équipes au travail ?

« La première chose à prendre en compte, c’est que la situation est inédite. Il faut faire un retour d’expérience, prendre le temps d’analyser ce qui s’est passé et voir comment les collaborateurs se situent à la reprise. Le dirigeant aussi doit faire part de ses réflexions, de ce qu’il a vécu en tant que chef d’entreprise pendant le confinement. C’est relativement facile à faire en restauration, surtout dans les petites équipes. »

Quels sont les risques du point de vue du management à l’issue de la crise ?

« On ne peut pas reprendre comme s’il ne s’était rien passé, sinon les employeurs vont retomber dans les travers d’avant la crise, mais avec des personnes  » différentes  » car leurs salariés sortiront, eux aussi, changés par cette crise. Ils auront peut-être été malades, auront perdu un proche, auront mal vécu le confinement… »

Ce sont autant de situations qui appelleront des réponses vraiment individualisées. Cela va obliger les entreprises à ne pas proposer des solutions simplistes, car on ne peut pas standardiser l’humain. Certains employés voudront reprendre le travail tout de suite, d’autres auront besoin de temps. Il est impératif de mener cette analyse au retour, mais aussi sur le long terme, parce qu’il faudra du temps pour que les choses se remettent en ordre, à la fois pour le business et pour les individus.

Sylvaine Perragin

Photo de Une : © Dylan Gillis sur Unsplash

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