Résoudre le casse-tête du recrutement

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Le secteur de l’hôtellerie-restauration connaît un problème de recrutement systémique. Le rythme de travail, les horaires décalés ou le manque de reconnaissance salariale peuvent être des freins à l’emploi. L’importance du turn-over dans ce secteur fait du recrutement une tâche fondamentale.

« La gestion des ressources humaines est la chose la plus compliquée dans un restaurant. » Ce constat du directeur de la brasserie fine Cannibale Café (Paris, 11e arr.) n’est pas un cas isolé. La restauration et l’hôtellerie sont un secteur en tension, les difficultés de recrutement sont importantes et concernent différents postes. Au deuxième trimestre 2019, le secteur – nommé « hébergement-restauration » par l’Insee, le ministère du Travail et l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) – regroupait 1,128 million d’emplois salariés selon ces établissements. Ce secteur d’activité est donc porteur, mais il implique de nombreuses contraintes pour les employeurs. Selon une enquête réalisée par Pôle emploi et publiée en avril 2019, les difficultés à recruter dans ce secteur concernent 53,5 % des acteurs en France (métropole et Outre-mer).

MANQUE DE QUALIFICATION ET DE CONSIDÉRATION

Quelles que soient les techniques de recrutement, les difficultés s’avèrent souvent les mêmes en Île-de-France. « À Paris, les rémunérations dans notre profession ne sont pas en lien avec le prix des logements parisiens et de proche banlieue. La deuxième chose est qu’il y a beaucoup d’offres, mais peu de postulants de qualité. On voit beaucoup la restauration comme un métier secondaire ; les employés compétents ne courent pas les rues. Il n’y a pas assez de personnes formées par rapport aux offres d’emploi proposées », résume Charles*, responsable d’un restaurant proche des Champs-Élysées (8e arrondissement de Paris). Ayant reçu une partie de sa formation à l’École hôtelière Jean-Drouant (Paris 17e), ce cadre de la restauration se plaît à recruter des employés au sein d’établissements reconnus : « Concernant les salariés fixes, je passe des annonces dans la presse spécialisée ou je me dirige vers les écoles hôtelières. Je connais la qualité de l’enseignement et ses jeunes arrivent avec moins d’habitudes que des personnes qui ont déjà de l’expérience. Le personnel issu des écoles est jeune, dynamique et plein de volonté. »

Mais ce circuit de recrutement n’est pas pratiqué dans tous les établissements. « Les grands groupes recrutent dans les écoles, reconnaît Erwan Kheder, directeur du Cannibale Café. Mais quand il y a du turn-over, il faut constamment avoir des employés en extra. Parfois, les postulants mentent sur leurs CV ou veulent cumuler le chômage et le travail au noir, mais chez nous, tout le monde est sous contrat. Les gens pensent quelquefois que ce métier n’est pas un vrai travail. »

Charles reconnaît que les métiers de l’hôtellerie et de la restauration souffrent de certains préjugés ou « d’une image austère », bien que celle-ci évolue. « Il y a malgré tout une évolution positive grâce aux émissions de télévision comme Top Chef. Depuis dix ans, l’image de la cuisine a bien changé », admet le trentenaire.

« L’UBÉRISATION DES EXTRAS »

Internet a été investi par plusieurs pans de l’économie ; c’est également le cas de la restauration. Outre les réseaux sociaux, où des groupes se constituent en fonction du corps de métier, des applications sont désormais dédiées aux professionnels du secteur : Extracadabra, Gofer, Job Minute, Brigad, Staffmatch… Sur ces différentes plates-formes, les restaurateurs peuvent rapidement trouver des « extras » en salle ou en cuisine. Nicolas Desbourget, directeur du restaurant Les Minimes (Paris, 3e), recrute principalement à partir de CV « donnés de la main à la main » . Mais lorsque cette technique s’épuise, il n’hésite pas à naviguer sur ces applications : « J’ai actuellement peu de CV en salle, alors il peut m’arriver d’utiliser des applis comme Extracacabra ou Brigad. » « Pour les extras, les applications que j’utilise sont Brigad et Staff match, précise Charles. C’est l’ubérisation des extras. J’utilise ces applications depuis deux ans et cela me décharge de toute une gestion administrative des ressources humaines. C’est aléatoire, mais quand cela se passe bien, on peut fidéliser les employés. Je les mets en favoris ou, sinon, je traite directement avec eux. » Mais ces applications ne font pas toujours l’unanimité. « Nous recevons des CV et nous sommes également présents sur un groupe Facebook pour recruter des extras. Nous passons des annonces ou nous regardons les profils postés. Mais les applis, non. Nous avons eu de mauvais retours », explique le directeur du Cannibale, Erwan Kheder.

SALAIRE, RESPONSABILITÉ ET CLIMAT DE TRAVAIL

Une bonne rémunération constitue souvent le meilleur moyen pour conserver son personnel. Le secteur de l’hôtellerie-restauration garantit un minimum salarial (1 680 euros brut mensuels) supérieur au Smic du régime de droit commun (1 521 euros brut par mois). Mais le salaire des employés est souvent indexé sur ce Smic hôtelier. Or, « un vrai professionnel coûte cher. Maintenant, on paie de 1600 à 1800 euros net une personne qui a de l’expérience, estime Nicolas Desbourget. Bien payer ses employés est primordial. Ensuite, il faut que l’employé se sente concerné, créer une sorte de respect mutuel et lui donner de la responsabilité. Sur les cartes, nous demandons des idées au personnel de cuisine. Et en salle, les serveurs gèrent eux-mêmes leurs pourboires. » « Une bonne paie fait un peu la différence. Cumulé aux différentes primes, comme celles sur le port de l’uniforme ou sur l’assiduité, le salaire des employés était plutôt intéressant », témoigne François Girold, ancien directeur adjoint d’un hôtel de la coopérative américaine Best Western. Les possibilités d’évolution et un cadre de travail attractif peuvent aussi pousser les salariés à rester longtemps dans une enseigne. « La gestion humaine n’est pas basée uniquement sur la rémunération. Ce n’est pas le seul levier pour fidéliser ses équipes, relève Charles. On prend nos repas ensemble après un service, on célèbre les anniversaires, on off re des cadeaux – j’ai d’ailleurs un budget dédié à cela. On essaie de créer une famille. »

*Le prénom a été modifié par souci d’anonymat

Effectif au deuxième trimestre 2019

L’hébergement et la restauration : 4e secteur d’activité en termes d’offres d’emploi au dernier trimestre 2019 sur Pôle emploi

Les difficultés à recruter du CHR en 2019

Dans le Top 10 tous secteurs des métiers les plus recherchés :

3e (98 000 postes)

Les « serveurs de café-restaurants »

4e (94 000 postes)

Les « aides et apprentis de cuisine, employés polyvalents de la restauration »

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