Ruée sur le recrutement dans la restauration

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Alors que les CHR ont rouvert leurs portes et que l’activité redémarre progressivement, les professionnels de la restauration sont de nouveau confrontés à une pénurie de candidats sur certains postes clés. La situation s’améliore à l’heure où des solutions digitales permettent l’embauche de candidats aux métiers de salle et de cuisine. Mais l’inquiétude demeure avant le pic d’activité estival.

« La problématique qui se pose aujourd’hui est celle de trouver du personnel, en salle comme en cuisine. J’ai reçu 128 CV, dont 34 qualifiés. J’ai réussi à joindre 19 candidats (il y avait un numéro incorrect sur un CV) et neuf étaient intéressés et donc convoqués pour un entretien. Quatre m’ont répondu qu’ils étaient partants, mais seulement deux sont venus le lendemain. Les deux autres étaient injoignables et sur les deux salariés retenus il ne m’en reste aujourd’hui qu’un seul », déroule Vincent Sitz, patron de Baltard au Louvre (Paris 1er) et président de la commission Emploi et formation au GNI. Comme lui, nombreux sont les exploitants à s’inquiéter du manque de main-d’œuvre. Malgré la réouverture des terrasses, les restaurateurs ont perdu en surface d’exploitation, et la règle de la demi-jauge creuse l’écart jusqu’au 9 juin prochain. En parallèle, les bars et restaurants doivent à nouveau recruter leurs équipes : après des mois d’arrêts, les profils qualifiés ne sont pas légion. Les restaurateurs et hôteliers, qui chaque année déplorent déjà 100 000 postes non pourvus à l’échelle de l’Hexagone, font face à un schéma inédit où des salariés ont tout simplement changé de voie face à l’incertitude engendrée par les fermetures et les réouvertures.

« Je pourrais faire 150 places assises en terrasse, mais je n’ai pas le personnel nécessaire donc j’ai fermé des rangs », illustre Vincent Sitz qui confirme « un désamour » pour certains postes depuis la fermeture prolongée des établissements en octobre dernier. La pénurie touche notamment les chefs de rang en salle ainsi que les chefs et demi-chefs de parties en cuisine, alors que 110 000 salariés auraient quitté le secteur des CHRD depuis mars 2020, selon le président de la commission Emploi du GNI. « Certains salariés ne sont tout simplement pas revenus à l’issue du chômage partiel, d’autres ont profité du confinement pour prendre part à des formations et se reconvertir », explique-t-il. Ce dernier voit aussi dans ce phénomène le retour de la thématique de l’attractivité des métiers. Avec les coupures et le travail le week-end, certains salariés désireux de retrouver une vie de famille ont opté pour d’autres voies professionnelles. Le management très pyramidal de la profession est également pointé du doigt. Rémi Boisson, le cofondateur de l’application de recrutement Extracadabra, qui propose des extras et des CDI en restauration (et désormais en vente et logistique), a observé un important mouvement des troupes vers les métiers de la préparation de commandes et de la vente, où les conditions de travail seraient plus souples.

« Je pourrais faire 150 places assises en terrasse, mais je n’ai pas le personnel nécessaire donc j’ai fermé des rangs »

« Ce sont des métiers qui intéressent car ils ne sont pas sujets, par exemple, à des coupures dans les horaires de travail, commente Rémi Boisson. Dans la restauration on constate aujourd’hui qu’il y a moins de candidats qualifiés et, avec la reprise, la demande de CDI est forte depuis fin avril déjà. Elle est d’ailleurs deux fois plus importante que l’été dernier. » Extracadabra cumule environ 8 000 restaurants partenaires. En moyenne, un quart d’entre eux ont perdu 25 % de leurs effectifs. Il s’agit bien souvent de « salariés lassés d’attendre la réouverture » ou de chefs de cuisine qui « se sont reconvertis dans la restauration collective ». Par ailleurs, certains patrons ne disposent pas de la trésorerie nécessaire pour payer les dizaines de jours de vacances accumulés depuis le déclenchement du chômage partiel. Ils ont donc été contraints de réduire la voilure en matière d’effectifs. Dans le même temps, « l’embouteillage de la réouverture fait que les exploitants peinent à recruter », constate Rémi Boisson. Et d’ajouter : « Beaucoup de salariés parisiens ne peuvent plus faire face au coût de la vie et les salaires n’ont pas augmenté dans le CHR, sans parler des coupures horaires. Nous conseillons d’ailleurs aux restaurateurs de mieux rémunérer leur personnel, cela évite le turn over qui était de 168 % dans la profession à Paris l’an passé. »

Le digital à la rescousse

Il faudra cinq à six ans, selon Thierry Fontaine, président de l’Umih Rhône, pour se remettre complètement de cette crise et retrouver le nombre de professionnels adéquat. En attendant, pour venir à bout des difficultés de recrutement, l’Umih a lancé, en partenariat avec Troops et Malakoff Humanis, la plateforme HCR Emploi. Après une étape simple d’inscription et de paramétrage, les professionnels peuvent choisir les fiches de poste qui les intéressent avant d’être mis en relation avec les candidats. Outre sa clarté, HCR Emploi génère automatiquement le contrat de travail avec toutes les démarches administratives associées (dont DPAE). Pour les candidats, HCR Emploi permet de postuler en un clic et de visualiser leur planning et leurs revenus disponibles. Côté exploitants, ces derniers ont accès à un tableau de bord leur permettant de recruter et contractualiser en quelques minutes. Les suivis administratifs et financiers de leurs équipes sont ensuite générés automatiquement : un gain de temps et une sécurité juridique.

Thierry Grégoire, l’un des artisans de HCR Emploi pour l’Umih, est convaincu que cette solution digitale, qui revendique déjà 10 000 candidats en France grâce la base de données de Pôle Emploi, permettra à bon nombre de professionnels de remédier à leur besoin de personnels qualifiés. Or, d’après une enquête de Pôle Emploi, 45 % des embauches sont considérées comme difficiles en sortie de crise, notamment du fait d’un manque d’expérience ou d’un niveau de formation insuffisant. « C’est le fruit d’un travail de deux ans et notre objectif était de créer de la dynamique sociale dans le recrutement mais aussi de la sécurisation juridique avec l’élaboration des contrats et des bulletins de paie. Nous prônons le salariat et nous avons donc imaginé cette plateforme au service des entreprises et des salariés » , détaille Thierry Grégoire. Ce dernier voit dans HCR Emploi une manière de simplifier la vie des entreprises adhérentes qui disposent d’un « outil numérique performant » qui présente une solution aux questions de recrutement. Il estime par ailleurs que cela permettra de résorber le manque de main-d’œuvre grâce à une mise en relation directe. De leur côté, Hélène et Clément Gallais ont lancé la solution Jobs & Chefs qui se propose d’accompagner les chefs tout au long de leur carrière, de l’école hôtelière jusqu’à leur mise en relation avec différents employeurs. « La digitalisation peut être une solution pour fluidifier le recrutement, il en est de même pour les réservations, etc. Depuis quelques semaines, nous constatons une forte demande de cuisiniers notamment pour faire face au pic estival. Il y a une vraie crainte des restaurateurs, il faut donc que nous amorcions la pompe car les candidats sont encore un peu frileux », dévoilent-t-ils. Si la digitalisation apparaît comme un allié pour remédier aux problématiques de recrutement, certains patrons rappellent que « l’aspect humain et le feeling » sont essentiels. Pour certains dirigeants, ces nouvelles applications tendent aussi à déshumaniser le processus de recrutement et à accroître le risque que de nombreux salariés ne donnent pas suite aux candidatures.

La pénurie de main-d’œuvre en chiffres

Les professionnels du CHR déplorent déjà 100 000 postes non pourvus tous les ans. Ils font maintenant face à un contexte où des salariés ont tout simplement changé de voie. La pénurie touche notamment les chefs de rang en salle ainsi que les chefs et demi-chefs de parties en cuisine, alors que 110 000 salariés auraient quitté le secteur des CHRD depuis mars 2020, selon le président de la commission Emploi du GNI. La plateforme Extracadabra, qui cumule environ 8 000 restaurants partenaires, annonce qu’en moyenne, un quart d’entre eux ont perdu 25 % de leurs effectifs à Paris.

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