Titres-restaurants : la numérisation peine à s’imposer

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Après 53 ans d’existence, le titre-restaurant reste l’avantage social préféré des Français. Au cœur d’un écosystème dans lequel sont dépensés pas moins de sept milliards d’euros chaque année, sa dématérialisation sous forme de carte bancaire depuis 2014 peine toutefois à s’imposer. Décryptage.

Ce que j’aime à faire remarquer, c’est qu’il a quand même fallu une crise sanitaire pour que la carte s’impose, alors qu’elle a été créée en 2014, souligne Romain Vidal, secrétaire général du GNI. Avec la crise de la Covid, la mise en place obligatoire du télétravail et les problèmes évidents d’acheminement des titres, les entreprises ont eu davantage recours à la carte dématérialisée. Les quatre émetteurs historiques, Endered, Up, Natixis et Sodexo mettent en avant sa praticité : moins encombrante qu’un carnet de Chèque-Restaurant, en mesure de payer une somme exacte (annulant ainsi les problèmes liés au remboursement de la différence avec le titre papier), simple d’utilisation et plus sécurisante, notamment en cas de perte, la carte se révélerait également plus avantageuse pour les commerçants puisque les délais de règlement se voudraient plus courts.

D’ailleurs, le nombre de porteurs de carte Up a doublé après le confinement, passant en effet de 250 000 à 400 000.

Pourtant, « le titre-restaurant traditionnel est encore très utilisé. Chez Up, on constate que 40 % sont dématérialisés, donc c’est encore 60 % de titres papier qui perdurent, bien que nous accompagnions le passage à la carte de paiement titre-restaurant », observe une porte-parole France du Groupe Up.

Aujourd’hui, la carte titre-restaurant semble coexister avec le titre papier, mais ne le remplace pas. Comment l’expliquer, alors que la numérisation s’accélère et que de nouveaux acteurs tels que Swile et Worklife se dédient entièrement à leur utilisation ? Émetteur de titres-restaurants depuis février 2018, Swile a accéléré la dématérialisation de ses titres en France en proposant une carte du réseau Master-card, regroupant des avantages salariés (cagnottes gratuites, organisations d’événements, célébration d’anniversaires, remboursements entre collègues…). Il existe donc un système de paiement Mastercard, utilisé notamment par Swile, mais également une carte Visa mise sur le marché pour les émetteurs historiques. « Du point de vue de la comptabilité, la différenciation entre une Mastercard traditionnelle et une carte bleue Mastercard titre-restaurant est impossible, raconte Romain Vidal. Le pire, c’est que des professionnels affirment qu’il leur manque des versements de leurs titres-restaurants, beaucoup n’acceptent alors plus la carte dématérialisée pour ne rester qu’au papier. »

Taux de commission trop élevés

Dans cet ensemble, on trouve aussi des cartes émises sous la marque Conecs (Sodexo, Groupe Up, Edenred, Natixis Intertitres). « Dans ce cas précis, les émetteurs cumulent du lundi au dimanche et règlent le restaurateur ou le commerçant le mercredi suivant, ajoute Romain Vidal. Au lieu d’être à 21 jours avec le titre-restaurant papier, on est sur une moyenne de 10 jours. » Si la vitesse est divisée par deux, le taux de commission est supérieur à celui appliqué sur le titre papier . « C’est un casse-tête chinois. La commission, au lieu d’être divisée par deux a été augmentée, passant de 2,5-3 % pour un titre-restaurant papier à 4-4,5 % pour une carte dématérialisée », poursuit-il.

De fait, le délai de remboursement des partenaires n’est pas forcément plus rapide et les taux de commission apparaissent trop lourds.

Ces cartes à puce ne semblent pas bénéficier à tout le monde. « Afin d’aider au développement du titre-restaurant dématérialisé, il faut qu’on arrive à des coûts qui soient ceux d’une carte bancaire et donc qui soient proches de 0,2-0,3 % » , affirme le secrétaire général de la GNI. L’Autorité de la concurrence a condamné en décembre 2019 les quatre émetteurs historiques. Ils ont versé une amende de 415 M€ pour avoir mis en commun le traitement des titres-restaurants papier, empêchant ainsi l’arrivée de nouveaux concurrents et en maintenant des tarifs élevés, entre 2002 et 2015. Une action dénoncée par le GNI, qui, avant même ces sanctions, travaillait sur une action collective demandant le remboursement du trop perçu par les émetteurs historiques aux restaurateurs et à tous les commerçants qui acceptent les titres-restaurants.

« C’est la première action de groupe d’une telle d’ampleur en France. L’idéal serait, bien sûr, d’obtenir un taux fixe des commissions bancaires et bien sûr la condamnation de ces faits par le tribunal de commerce en notre faveur, avec un remboursement satisfaisant à la clef pour nos professionnels », explique Romain Vidal. Pour rejoindre l’action collective, qui ne s’adresse pas uniquement aux adhérents du GNI, les restaurateurs doivent déposer un dossier anonyme. « Les nouveaux émetteurs ne rentrent pas dans le même travers, la commission n’est pas une fin en soi », conclut-il.

Vers un modèle plus sain

Worklife est une solution de titres-restaurants 100 % dématérialisée qui ne prend pas de commission auprès des restaurateurs. « On espère avoir lancé un mouvement et avoir réellement pu marquer une différence avec les autres émetteurs. Un autre modèle économique basé sur la création de valeur pour les entreprises est possible. Le titre-restaurant a la particularité d’être utilisé fréquemment. C’est un canal extraordinaire de communication à partir du moment où il devient numérique. Bien utilisé, bien proposé, avec des fonctionnalités d’engagement, on peut créer un modèle sain en facturant ce nouveau service », témoigne Benjamin Suchar, fondateur et CEO de la solution. Après une grande enquête menée auprès des restaurateurs, Worklife a engagé ses premières cartes en juin 2021. « Au-jourd’hui, on se marche dessus sur le marché, et parfois même certains sont à la limite de la légalité, précise-t-il.

Pour être tout à fait honnête, le restaurateur n’a pas été mis au cœur de notre problématique initiale, mais l’entreprise. Et c’est justement pour cela que pour nous, il paraît insensé de prélever une commission. Le problème réside dans la valeur mise en face de cette commission. »

Plus de 40 000 cartes Worklife seront déployées d’ici à la fin de l’année 2021.

Le nouvel émetteur exprime clairement son envie de faire évoluer le marché du titre-restaurant, en ouvrant notamment « aux restaurateurs non affiliés à la CNTR » la souscription à cet avantage social. 

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