Une épreuve qui permet de renforcer l’esprit d’équipe

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Confrontés à une crise exceptionnelle et sans visibilité, les restaurateurs entretiennent de nouveaux rapports avec les membres de leurs équipes. Échanges de messages, partages de photos, conseils professionnels, actions bénévoles communes… La relation employeur-employé évolue souvent positivement, enseigne et sortira peut-être renforcée de l’épreuve.

« L’exécutif statuera fin mai sur l’ouverture des cafés et restaurants. » Le Premier ministre a confirmé le flou dans lequel les CHR se trouvent depuis plusieurs semaines. Les propriétaires de restaurants doivent faire preuve de créativité pour continuer à faire vivre leurs entreprises, notamment à travers la gestion de leur personnel. « Nous sommes fermés et tout le monde est en chômage partiel. Nous communiquons à travers une boucle WhatsApp. Les chefs envoient des photos de leurs plats qu’ils font chez eux, c’est assez drôle » , témoigne Pierre Cheucle, gérant du restaurant Chez Marcel (Paris, 6). « Nous avons toujours eu des rapports assez familiaux, mais ce groupe permet aussi de garder des liens avec des anciens employés », poursuit le patron de l’enseigne de Montparnasse, qui n’hésite pas lui aussi à envoyer des vidéos de spectacles qu’il réalise avec ses enfants depuis son balcon.


PERSONNALISER SA COMMUNICATION

Alain Fontaine communique, pour sa part, par mails avec ses employés depuis la fermeture de son établissement. Mais il souhaite remettre en main propre – en respectant les gestes barrières – les salaires qu’il verse à son personnel : « J’ai voulu qu’il y ait un lien avec eux pour les paies, explique le propriétaire du Mesturet (Paris, 2e). Nous sommes toujours patrons et les salariés doivent garder un contact avec leur entreprise. Il faut conserver ce rapport fragile. L’inquiétude est de retrouver un personnel extrêmement perturbé après avoir traversé une aventure à laquelle personne n’était préparé. » Alain Fontaine souhaite prendre des nouvelles de ses employés et les informe déjà de l’avenir de son restaurant : « Nous allons prendre des décisions et réinventer Le Mesturet. Nous ne verrons plus certains employés pendant quatre ou cinq mois. Et d’autres, peut-être plus du tout. » Installé dans le quartier touristique des Invalides, Le Florimond (Paris, 7e) n’accueille plus de clients depuis la fermeture des salles. Quelques plats de l’établissement sont encore vendus à emporter – le mardi et le mercredi – dans une boutique-traiteur détenue par le même gérant. Après avoir envoyé des messages collectifs, parfois sans retour de ses salariés les premières semaines, Pascal Guillaumin a réadapté sa communication interne : « J’ai conçu des messages beaucoup plus personnalisés, et là j’ai obtenu des réponses. Maintenant je cultive toujours ce type de lien, explique le propriétaire du restaurant de cuisine française du terroir. Avec les apprentis, je leur donne des pistes, des conseils de sites et je garde mon rôle de maître d’apprentissage. Je vais voir avec l’Asforest au cas où certains pourraient profiter d’une formation. J’en ai déjà parlé avec mon second de cuisine. »


Chez MarcelPendant le confinement, les chefs du restaurant parisien « Chez Marcel » 
partagent leurs desserts sur un groupe Whatsapp dédié à toute l’équipe. © Chez Marcel

 

SOLIDARITÉ COLLECTIVE

La proximité entre l’employeur et ses employés se révèle un atout dans cette période trouble. Une relation de confiance facilite la mise en place de certaines démarches imaginées par les restaurateurs. « Je suis quelqu’un d’impliqué dans le fonctionnement du restaurant. Je suis gérant, cuisinier, serveur… Je cultive déjà une relation d’égal à égal avec mes salariés, et nous sommes aussi amis », reconnaît Antoine Yerochewski, à la tête du restaurant végétalien Les Bols d’Antoine (Paris, 20e), engagé depuis plus d’un mois dans une action solidaire. Au premier jour du confinement, le jeune restaurateur a organisé une distribution de repas pour les sans-abri autour de Belleville. À ces maraudes se sont rapidement ajoutées des livraisons offertes aux soignants des hôpitaux alentour. En plus de son investissement propre (10 000 €), des dons collectés sur une cagnotte en ligne (plus de 20 00 €), du soutien de cyclistes engagés dans l’opération et de certains de ses proches, Antoine Yerochewski bénéficie également du travail bénévole de deux de ses cuisiniers. Grâce à cet acte solidaire, 4 000 repas ont déjà été distribués. « Cette action nous a liés davantage avec mes employés, car nous travaillons différemment et nous partageons plus de temps ensemble. Moi j’ai fait un choix, mais eux n’étaient obligés à rien. Ce qu’ils font force le respect ! », souligne le patron des Bols d’Antoine. Plusieurs restaurants parisiens se sont impliqués dans des opérations de solidarité depuis le début de la crise sanitaire. Cette pratique s’accorde souvent avec un solide management du personnel. « Nous nous sommes engagés auprès de collectifs pour les soignants et aussi les plus démunis. Nous travaillons durant quatre jours par semaine sur la base du bénévolat de notre équipe, cela crée du lien », explique Benoît Duval-Arnould, propriétaire du Bon Georges (Paris, 9e). Parmi les 30 salariés de son restaurant, cinq cuisiniers se sont investis bénévolement.


Les bols d’Antoine
L’équipe des Bols d’Antoine s’est engagée pendant le confinement. © Les Bols d’Antoine


FORMATIONS EN LIGNE

D’autres employés du Bon Georges mettent à profit cette période d’inactivité pour apprendre une autre facette des métiers de la restauration. « Nous avons mis en place un système de formation sur Zoom [application de visioconférence, NDLR] . J’ai 12 personnes qui participent à une formation d’œnologie proposée par des équipes formées via l’Asforest. Une formation suppplémentaire pourrait débuter le 11 mai pour aller chercher plus de valeur ajoutée au service en salle » , précise Benoît Duval-Arnould. Ce programme de formations s’intègre à une vision globale de l’après-confinement pour le patron du Bon Georges : « Je prépare la suite depuis plusieurs semaines, je travaille sur un nouveau site et j’envisage avec mon équipe les axes de développements commerciaux. Je crois qu’il faut saisir cette période pour aller chercher de nouvelles opportunités. Par exemple, ouvrir plus tôt, faire de la vente à emporter ou proposer un service en continu. »

Les axes de travail seront nombreux pour les restaurateurs s’ils ne veulent pas s’enliser dans la crise. Et pour arriver à bien, il leur sera utile d’associer le personnel à leur réflexion.


Chez Marcel
Profiter du confinement pour se rapprocher de ses équipes – en communiquant sur Whatsapp ou par mail -, et pour assister à des formations, sont des activités utiles pour la réouverture. © Chez Marcel


« L’enjeu est de créer de la confiance »

Christian Dupont, spécialiste en coaching d’équipe et fondateur de l’agence Systemic Conseil, considère que « ce qui mettra un terme à la crise sera l’arrivée d’un vaccin ». Mais en attendant cette découverte, l’ancien DHR et professeur de pyschologie sociale de l’université Paris VIII estime que les restaurateurs doivent « apporter aujourd’hui une vision » en intégrant leur personnel. « Demander des nouvelles crée des repères, c’est très important. Mais donnons-leur aussi de l’autonomie de réflexion. Les gens sont en manque de reconnaissance, il n’y a pas de culture de la reconnaissance dans le domaine de la restauration. Il y a de l’argent, mais la reconnaissance est importante. » En cette période de crise, les restaurateurs doivent aussi faire preuve d’exemplarité, estime Christian Dupont : « Il faut donner de la hauteur pour que les gens aient confiance. Vous ne pouvez influencer que les gens qui ont confiance en vous. L’enjeu du management est de créer de la confiance. » Selon le spécialiste en coaching d’équipe, proposer des formations en ligne serait également une bonne solution pour « faire progresser les connaissances de son personnel », notamment dans les petites entreprises.

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