La frontière entre vêtements professionnels et prêt-à-porter est de plus en plus ténue. La raison tient dans une restauration qui se réinvente en cassant les codes et qui imprime son identité jusque dans les tenues, en salle et en cuisine.
En 1976, une petite révolution se joue dans les Vosges. La maison Bragard, créée en 1933, fait son entrée dans les cuisines et confectionne, en compagnie de Paul Bocuse, la célèbre veste Grand chef, qui deviendra l’un des symboles du rayonnement de la gastronomie française. Si près de quarante ans plus tard, le vêtement aux fameux boutons boules assemblés à la main reste un incontournable, il a également laissé place à de nombreuses propositions vestimentaires qui essayent de s’éloigner de ce classicisme afin de séduire les nouvelles générations. C’est ce que souligne Mathieu Franck, responsable commercialisation chez Jobeline (marque du groupe Vega dédiée au CHR) : « Le secteur de la restauration est en constante évolution, mais surtout, il évolue de plus en plus vite. Nous nous devons de rester au plus proche du marché, tant par notre offre produits que par nos services. » Un impératif de réactivité confirmé par Lorène Monso de chez Bragard : « Aujourd’hui, il faut être capable de s’adapter à cette restauration protéiforme et à toutes les personnalités, tous les lieux et toutes les bourses qui la composent. C’est pourquoi nous avons un secteur recherche et développement très pointu, qui répond à l’émergence de nouvelles pratiques. »
Parmi les axes de développement sur lesquels les marques tentent de se distinguer, l’accent est souvent mis sur la technicité. Ergonomie, matériaux innovants, tissus spéciaux : le vêtement professionnel est un outil de travail qui doit répondre à des besoins spécifiques. Surtout en restauration où, de la salle à la cuisine, différents métiers se côtoient. Chez Lafont, par exemple, on aime parler de « vêtement du futur » pour décrire cette envie d’aller toujours plus loin dans l’innovation. Alexandra Avram, directrice communication et marketing, nous rappelle que l’identité de la marque est centrée autour de tenues fonctionnelles et sécurisantes : « Nous travaillons l’excellence textile grâce à notre partenaire TDV Industries. On associe des matières, on intègre du tissu antifeu, on cherche de la légèreté, des vestes qui respirent, etc. Ce sont des montages complexes, car l’ergonomie est essentielle. On n’est pas dans le prêt-à-porter : ici, le vêtement a une fonction et doit accompagner les gestes de celui qui le porte. » Chacun y va donc de ses recherches textiles afin d’imaginer des tenues toujours plus performantes. Comme chez Jobeline et sa technologie Werin Tec, qui prévient les utilisateurs du coup de chaud grâce à des mailles absorbantes évacuant l’humidité. Même démarche chez Bragard et sa gamme Cooking star, par exemple, où la marque mêle la technologie Coolmax (souvent utilisée dans le sportswear) avec du tissu nid d’abeille, des finitions éponge au niveau du col ou encore une coupe « move-up » dans le dos pour n’entraver aucun mouvement.
L’autre enjeu majeur pour les équipementiers est de savoir être à la mode. Secondaire par le passé, ou du moins réduit à des codes sobres, ce questionnement est dorénavant naturel. « Nous mettons l’accent sur le fait que le vêtement professionnel est aujourd’hui une carte de visite ; lui aussi participe à la création de l’identité d’un établissement », souligne Alexandra Avram. Et, là encore, les marques rivalisent d’idées pour attirer les pros, n’hésitant pas à lorgner sur les collections du prêt-à-porter, voire même en allant puiser leur inspiration sur les réseaux sociaux, où les tendances de demain se créent. En ce sens, le partenariat récent entre Lafont et le salon Omnivore montre bien cette envie de séduire une clientèle en rupture avec l’académisme et pour laquelle l’image est primordiale. Chez Bragard, qui véhicule pourtant une image traditionnelle, les collections sont également variées et de plus en plus audacieuses. Par exemple, la gamme Urban chef, où la matière jean est prédominante. « D’abord pensée pour les jeunes restaurateurs adeptes de concepts, cette gamme a finalement séduit un panel très large de professionnels, précise Lorène Monso. Ainsi, on a récemment complété la collection pour s’adresser aussi au service en salle. » On peut également citer la gamme Bistromomie, où la veste se transforme en chemise et où les couleurs contrastées montrent une volonté de dénoter. À tel point que visuellement, la frontière entre la tenue de travail et le prêt-à-porter semble de plus en plus mince. « Désormais, le vêtement professionnel peut être porté dans la vie de tous les jours », résume Alexandra Avram. Enfin, toujours dans l’optique de coller avec leur époque, les marques jouent elles aussi la carte du made in France et du sourcing. « Ces valeurs sont depuis longtemps celles de Bragard, mais on ne communique vraiment dessus que depuis peu, enchaîne Lorène Monso. On valorise le savoir-faire, la provenance des matières premières, etc. Les Vosges sont un bassin textile historique et on veut mettre en avant ces entreprises locales avec lesquelles on travaille. De plus, pour nos clients, c’est un outil de communication. » Tandis que chez Lafont, on parle de « responsabilité sociétale et environnementale » pour désigner notamment tout le travail autour du lin, qui est sourcé dans les Hauts-de-France, les textiles qui sont filés et teints du côté de Laval, puis assemblés dans les usines à Saint-Étienne. Des démarches résolument dans l’air du temps.