Karim Haïdar, pour une cuisine libanaise contemporaine
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Ancien avocat, Karim Haïdar est aujourd’hui devenu l’un des principaux représentants de la cuisine libanaise en France. Chez Sama (11e), son bistrot parisien, il propose une vision très personnelle et contemporaine de cette cuisine levantine avec laquelle il a grandi.

Le jour où nous rencontrons Karim Haïdar chez Sama (Paris 11e), flottent dans l’air des effluves de boulettes de kefta et des betteraves rôties au zaatar. Cette cuisine libanaise, il la connaît aujourd’hui sur le bout des doigts. À Paris, il en est même devenu l’une des principales figures de proue. « En troisième année de cycle de ma maîtrise de droit, je décide de faire en parallèle un CAP de cuisine. À l’époque, personne ne comprenait ce choix. Je leur répondais simplement que j’avais fui le Liban à cause de la guerre, mais que si la guerre venait à frapper en France ce diplôme d’avocat ne me sauverait pas. La cuisine, en revanche, je pourrai la faire partout », déclare-t-il.
S’il a eu une première vie d’avocat, Karim Haïdar a toujours eu la cuisine dans la peau. « J’ai d’abord beaucoup aimé être dans la cuisine. Au Liban, je regardais les femmes de ma famille cuisiner et je trouvais qu’il n’existait rien de plus intéressant au monde », confie le chef. À 16 ans, il fuit la guerre et s’installe dans un studio parisien avec son frère aîné. C’est là, dans une cuisine minuscule contenant une salle de bain, qu’il commence ses premiers essais culinaires. « Il n’y avait que deux plaques chauffantes mais je me suis mis naturellement à aller au marché chaque jour. Et tous les jours je préparais une entrée, un plat et un dessert pour mon frère et moi », déclare le chef. À la même époque, Karim Haïdar a également la chance d’écumer les jolies tables avec ses grands-parents. Il se souvient du Chantecler de Maximim à Nice (Alpes-Maritimes), et de la cuisine d’Olivier Roellinger à Cancale (Ille-et-Vilaine) où il avait écrit sur le livre d’or : « C’est le plus beau jour de ma vie ».
Devenu avocat, il lâche tout du jour au lendemain et prend une année sabbatique. « Je me suis installée sous le soleil de Marseille. Là encore, je cuisinais tous les jours des produits que j’achetais sur le marché », précise le chef.
« Avant, ma liberté venait de mon ignorance »
Mais de ce labeur, il a bien fallu gagner sa croûte. En 1999, Karim Haïdar retourne à Paris pour ouvrir son propre restaurant avec un ami restaurateur rencontré dans la cité phocéenne. « Nous avons naturellement proposé une cuisine libanaise. Mais à l’époque je ne cuisinais pas libanais et je n’aimais pas tellement ça… », plaisante-t-il. Dès lors, il doit apprendre les rudiments de cette cuisine ensoleillée avec laquelle il a grandi, mais dont il ne connaît finalement que très peu de choses. « Je pars une semaine au Liban et je passe trois ou quatre après-midis avec l’une de mes tantes pour qu’elle m’apprenne les bases de cette cuisine. Je reviens seulement avec deux entrées, deux plats et deux desserts. Bien que cela soit très bon, cela reste encore trop peu esthétique », déclare-t-il en rigolant.
Seul en cuisine, Karim Haïdar décide d’ouvrir son restaurant un jour sur deux, lorsque des londoniens de passage découvrent son établissement. Charmés, ils lui proposent de devenir le chef de leur future table libanaise. « C’était un très grand restaurant situé juste en face de Green Park, il y avait 130 places assises. Je suis devenu le chef de cuisiniers qui avaient bien plus d’expérience que moi », explique-t-il. Karim Haïdar apprend beaucoup auprès de cette brigade. « Très vite, en partant des classiques, je souhaite faire évoluer les recettes, les rendre plus contemporaines », explique le chef. Succès, l’établissement devient le meilleur restaurant moyen-orientale du Royaume-Unis. Puis tout s’enchaîne.
De Londres, Karim Haïdar est appelé par d’anciens clients afin de confectionner la carte de leur prochain restaurant.Il décide alors de rentrer en France et les projets grandissent très vite. Activité de conseil, traiteur, rédaction de livres mais également chef sur Cuisine TV, Karim Haïdar devient rapidement un représentant de la cuisine libanaise en France. « À partir de ce moment-là, je finis par rentrer réellement dans cette cuisine qui me berçait enfant et qui pourtant m’est restée longtemps étrangère », explique celui qui se dit être aujourd’hui « un conteur du Liban ». Raconter son pays en recettes, c’est d’ailleurs ce qu’il fait lorsqu’il ouvre Les Mots et le Ciel. « L’âge venant, j’ai voulu me retirer dans le 15e arrondissement. Devenu passionné de mots, je décide de créer un lieu de vie avec des livres, des produits d’exception et une grande table pour que les gens puissent se rencontrer. J’organise également des ateliers de cuisine », explique Karim Haïdar. Puis, il rencontre le restaurateur Marwan Rizk, fondateur de l’izakaya Soma. Ensemble, ils décident d’ouvrir Sama en octobre 2023 avec une idée très précise : proposer un bistrot parisien de cuisine libanaise. Au début, Karim Haïdar se partage entre les deux adresses. Mais frustré de devoir gérer Sama de loin, il décide un jour – alors qu’il est dans son bain – de fermer Les Mots et le ciel et poursuivre pleinement son histoire chez Sama. « Avant, ma liberté venait de mon ignorance. Désormais, ma maîtrise de la cuisine libanaise me permet de l’adapter au côté bistrot parisien tout en continuant de raconter une histoire », conclut le chef.