« Minuit pour les terrasses, une bonne nouvelle mais… »

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Avocat à la cour d’appel de Paris, Philippe Meilhac spécialisé CHR. Si l’ouverture des terrasses estivales jusqu’à minuit est une bonne nouvelle, des questions surgissent. Exemples : comment gérer les questions liées au voisinage ? Faut-il effectuer des démarches particulières pour en bénéficier ? Le maire d’arrondissement a-t-il son mot à dire ?

Philippe Meilhac
Philippe Meilhac, avocat à la Cour d'appel de Paris

Avocat à la cour d’appel de Paris, Philippe Meilhac spécialisé CHR. Si l’ouverture des terrasses estivales jusqu’à minuit est une bonne nouvelle, des questions surgissent. Exemples : comment gérer les questions liées au voisinage ? Faut-il effectuer des démarches particulières pour en bénéficier ? Le maire d’arrondissement a-t-il son mot à dire ?

L’annonce de la prolongation de l’ouverture des terrasses estivales donne satisfecit aux exploitants…Philippe Meilhac : La maire de Paris en personne a en effet annoncé le 15 mars dernier sa volonté de d’étendre la plage horaire des terrasses estivales, de 22h à minuit. Si cette mesure estaccueillie avec enthousiasme par les professionnels, certains riverains se disent inquiets, et certaines associations sont vent debout.

Ainsi, le collectif Droit au sommeil Paris, l’association du Réseau Vivre Paris et l’association Pour une Ville Souhaitable ont annoncé dans un communiqué commun quitter immédiatement le «Conseil de la nuit» et demander sa dissolution.

« Les exploitants doivent garder en tête les craintes des riverains. »
Philippe Meilhac, avocat à la Cour d'appel de Paris

La mesure est-elle été prise? Que prévoit-elle?

A ma connaissance à ce jour,aucun texte n’est voté (à la date du 12 avril – NdlR) . Il devrait prendre la forme d’un simple arrêté de la maire de Paris et non une délibération (un vote au conseil de Paris ne sera pas nécessaire) qui déroge temporairement, du 1er juillet au 8 septembre, aux dispositions de l’article TE.1 du règlement municipal des terrasses et étalages parisien (RET) qui permettent l’exploitation jusqu’à 22 heures des terrasses estivales, et de toute évidentes aussi celles de l’article P.4.3.3 qui prévoit de même pour les contre-terrasses estivales sur stationnement.

Comme souvent sur ce sujet, la capitale lance une tendance qui devrait non seulement se propager à d’autres villes qui accueillent les compétitions mais qui pourrait aussi perdurer dans les prochaines années. A cet égard, la manière dont les choses se passent du 1er juillet au 8 septembre prochain aura de toute évidence valeur de «test».

Deux sites sont à connaître. Le site général de la ville de Paris comprend une rubrique consacrée aux terrasses. On y trouve de nombreuses informations, la localisation des emprises permanentes autorisées et un lien pour accéder au compte myparis par lequel les demandes sont déposées (voie électronique uniquement)… sans oublier un onglet sur les terrasses estivales et un autre sur l’extension de l’horaire d’exploitation à minuit. Et le site opendata regroupe l’ensemble des dispositifs permanents, comme saisonniers, autorisés sur le territoire de la capitale ainsi qu’un index avec le nombre de chaque type d’installations, et leur localisation.

La mairie de Paris dispose d’outils numériques de très bonne qualité, il faut le reconnaître.

Elle s’inscrira donc dans le cadre réglementaire des terrasses estivales?

Oui. Comme vous le savez, c’est pour compenser les pertes causées par la fermeture des restaurants ordonnée le 15 mars 2020 pour prévenir la propagation du Covid-19 que la ville de Paris a permis aux exploitants d’occuper de manière dérogatoire le domaine public. Les terrasses dites éphémères et sur stationnement apparaissent en juin 2020. A l’époque, elles ne son pas réglementées. Une simple déclaration était nécessaire. Mais, depuis l’arrêté du 11 juin 2021 portant nouveau RET, leur installation a été réglementée et, comme pour les emprises permanentes, une autorisation, préalable est nécessaire.

Ce texte est très fourni. Rendez-vous compte qu’il est passé de 10 pages dans les années 1990 à 70 pages dans sa version actuelle… ce qui s’explique non seulement par la réglementation des emprises estivales et sur stationnement mais aussi l’adoption, plus récente encore, de nombreuses «Chartes locales» (rue de Buci à l’été 2023 notamment) ou de «secteurs à dispositions particulières» (avenue des Champs Élysées par exemple en décembre dernier), insérées dans le RET.

Philippe Meilhac et les terrasses estivales
Philippe Meilhac, avocat spécialisé dans les questions liées au CHR

Des démarches spécifiques sont-elles nécessaires pour bénéficier de cette prolongation ? 

Au regard de la manière dont la mesure sera réglementée, il n’y aura de toute évidence pas besoin de demander une autorisation particulière. Ainsi, l’établissement qui dispose d’une autorisation de terrasse, ou de contre-terrasse, estivale ou sur stationnement pourra l’exploiter de plein droit jusqu’à minuit.

Par ailleurs, un établissement qui ne bénéficierait pas encore d’autorisation estivale ou stationnement peut encore faire une demande. Néanmoins, on peut craindre que le prolongement de la plage horaire ait une incidence négative sur l’accueil des nouvelles demandes d’autorisation.

La ville de Paris pourrait refuser ou tarder à répondre. Et éviter ainsi qu’un nombre d’installations trop important ne soit autorisé au 1er juillet prochain.

L’application de cette mesure est à la discrétion des maires d’arrondissement, sauf erreur. Quelles conséquences en tirer ?

Il ne semble pas, en dépit des revendications réitérées de certains maires d’arrondissement, qu’il soit question que leur soit dévolu le soin d’autoriser ou de refuser les demandes d’emprises estivales ou sur stationnement, comme pour les emprises permanentes du reste. En pratique leur avis (demandé par le service de l’urbanisme, service instructeur) est souvent suivi, et quasi systématiquement rédhibitoire quand il est défavorable.

La période retenue est du 1er juillet au 8 septembre, date de fin des JOP. Mais ces derniers ne débutent que le 26 juillet…

Effectivement, mais cela ne me choque pas. Nous pouvons imaginer aisément que l’afflux des participants, des spectateurs, des touristes, débute bien avant le début des compétitions, certaines commencent avant la date du 26 juillet, tout en profitant des attraits de la capitale et de la région. Je pense en outre qu’il serait difficile pour un exploitant de recruter du personnel uniquement pour 15 jours. Le fait que cette période s’étale sur deux mois devrait faciliter le recrutement. Cette mesure présente beaucoup d’avantages.

Elle permet évidemment de réaliser un chiffre d’affaires plus important, qui plus est, durant une période où traditionnellement la demande est forte. Elle facilite aussi l’exploitation de l’établissement car il n’est souvent pas aisé de cesser de servir à 22 heures en terrasse dans une période où il fait chaud, et les clients dînent tard. Gérer la clientèle et la faire «replier» à l’intérieur de l’établissement releve dans certaines situations de la quadrature du cercle…

Certes, mais les craintes d’une partie des riverains sont parfois légitimes…

Les craintes de nuisances, en particulier sonores, exprimées par les riverains sont légitimes et les exploitants doivent y faire face. Une approche réaliste s’impose. Il est évident que plus on avancera dans la nuit, plus le risque est important et sa perception difficilement acceptée. Paris est une ville bruyante de jour comme de nuit comme le montrent toutes les études.

Mais contrairement au camion des éboueurs, des livreurs ou aux personnes éméchées ou violentent qui hurlent sans raison, le bar-restaurant ne peut se déplacer. Il est une cible toute trouvée, quand une personne souhaite se plaindre du bruit qu’elle subit. Ensuite, tout dépend de la situation géographique.

Si l’établissement est installé sur une place déjà animée ou bruyante, comme Pigalle, il risque moins d’être pointé du doigt que s’il est installé dans un lieu paisible. Par exemple, au cœur du Marais. Je conseille bien sûr à l’exploitant de rendre visite à ses riverains, d’aller à leur rencontre et entendre leurs doléances. Cela peut se révéler délicat pour certains qui reprennent un établissement où l’ancien propriétaire a connu des déboires ; dans ce cas, difficile de renouer un dialogue constructif.

La crainte de l’autre est souvent à l’origine de plaintes qui ne sont pas justifiées forcément. Sur ce sujet, il me semble que les mairies d’arrondissement pourraient prendre des initiatives pour échanger et réunir les différentes parties. Pourquoi pas convier des établissements pointés du doigt au «conseil de quartier»? Ces craintes doivent être nuancées. Il faut tenir compte de l’implication de la police municipale.

Qu’entendez-vous par là ? Un zèle excessif de sa part ?

La création et surtout la pérennisation de nouveaux modes d’exploitation du domaine public apparus durant la crise sanitaire s’est accompagnée d’un renforcement de la répression tant sur le plan juridique que matériel. La vérification des installations est historiquement confiée au service de l’urbanisme et à la police nationale. Ce contrôle est très imparfait. Le service chargé d’instruire les demandes et rendre les décisions est depuis des années sous-dimensionnée. Comme l’a relevéun rapport d’audit de l’Inspection générale de la ville de Paris. Et le demeure aujourd’hui au regard du nombre de demandes qu’il doit traiter (environ 10 000 en 2023).

La police nationale est aussi débordée. Elle ne conçoit pas comme faisant partie de ses missions prioritaires de contrôler les terrasses de cafés. Les exploitants sont souvent alliés des forces de l’ordre lorsque des problèmes de troubles à l’ordre public se posent.

iServeur à la réouverture des restaurants
Serveur à la réouverture des restaurants. Crédit : Louis Hansel.

Depuis sa création le 2 juin 2021, ce contrôle revient à la police municipale. Les agents sont de plus en plus nombreux et de mieux en mieux équipés. Ils disposent ainsi depuis novembre 2023 de caméras-piétons déjà utilisées pour les agressions sur la voie publique. Elle peuvent aussi servir pour la verbalisation des terrasses. Celles-ci «pleuvent».

En outre, il existe de nouvelles sanctions, plus dissuasives. Traditionnellement, un gérant exploitait sans autorisation une terrasse ou sur une surface supérieure à celle autorisée, pendant des mois, voire des années, sans craindre d’en être empêché. Au pire, il s’exposait à une amende, dont le montant n’était souvent pas dissuasif et peu élevé, même lorsque le Tribunal de police était saisi.

Le nouveau règlement municipal des terrasses étalages parisien (RET) arrêté le 11 juin 2021 (soit quelques jours après la création de la police municipale) comporte (article DG.20.1) toute une batterie de sanctions administratives.

En particulier «l’amende administrative» et, surtout, «l’enlèvement d’office». Au-delà de ces sanctions, on assiste aussi depuis quelques mois à des «campagnes» de verbalisations plus ou moins ciblées de certains exploitants qui font l’objet de très nombreuses contraventions plus ou moins justifiées ou qui sont «victimes» de la lenteur de la ville de Paris.

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Que voulez-vous dire par cette «lenteur»?

Je fais référence à la durée d’instruction des demandes d’autorisation. Rappelons qu’une fois le dépôt de demande d’une terrasse estivale effectuée sur le site de la ville de Paris, le service de l’urbanisme a deux mois pour répondre. Mais contrairement à d’autres domaines, le silence de la ville vaut refus ! Les demandes où la Ville met de nombreux mois à répondre sont de plus en plus courantes.

Je pense, en particulier, à cet établissement qui a demandé une autorisation de terrasse estivale en avril de l’année dernière. Après maintes relances, elle vient seulement de lui être accordée en avril 2024. Certains exploitants s’impatientent et installent par anticipation. Je déconseille vivement de faire cela. Même si le dossier à toutes les chances de recevoir un feu vert, l’autorisation peut être refusée du fait des verbalisations que le RET prévoit!… Il faut être patient, et bien accompagné.

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