L’hôtellerie européenne devrait perdre 37 % de son CA en 2020

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Selon les projections réalisées par In extenso et STR, l’hôtellerie européenne devrait faire une croix sur 37 % de son CA annuel en 2020. Malgré tout, l’activité pourrait progressivement repartir dès la mi-mai grâce à la clientèle française, même si les touristes étrangers mettront plus de temps à revenir.

L'hôtel Rimbault, à Paris. © Les Hôtels Littéraires.
L'hôtel Rimbault, à Paris. © Les Hôtels Littéraires.

L’addition est lourde, mais déjà planifiée. La crise du Covid-19 sera désastreuse pour l’hôtellerie mondiale et on peut déjà avancer qu’il faudra attendre 2022 pour retrouver une situation normale. Le cabinet In Extenso et son partenaire international STR organisaient à la fin mars un webinaire concernant l’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’industrie hôtelière internationale. Les chiffres délivrés lors de cette réunion étaient sans appel. L’hôtellerie européenne devrait perdre cette année 27 % de son taux d’occupation et 37 % de son RevPar moyen (revenu par chambre disponible) par rapport à 2019. Selon, Olivier Petit, directeur associé chez In Extenso Tourisme, Culture et Hôtellerie, « la France devrait se situer dans cette moyenne ».
Ainsi, en 2020, les hôteliers de notre continent vont devoir abandonner plus du tiers de leur revenu. Les hôteliers américains (États-Unis) sont encore plus à plaindre, ils devraient perdre un peu plus de la moitié de leur chiffre d’affaires. Finalement, ce sont ceux par chez qui tout a commencé qui limitent le mieux les dégâts avec une chute annoncée de 28 % des revenus hôteliers.


L’impact du Covid 19 sur l’hôtellerie européenne (données provenant de l’étude In Extenso).


UN SCÉNARIO OPTIMISTE

Ces prévisions ne doivent pas être perçues comme pessimistes. Elles s’appuient sur un scénario de fin de pandémie avant le début de l’été et l’absence de deuxième vague. Par ailleurs, le calcul ne tient pas compte de l’hypothèse d’une crise économique qui pourrait résulter de l’épidémie. En 2021, l’hôtellerie européenne devrait toutefois se redresser et connaître une augmentation de CA de 41 %, qui ne suffira tout de même pas à la ramener au niveau de 2019. Il faudra attendre 2022 pour cela.
En France, la courbe de l’occupation des hôtels a baissé de façon proportionnelle à celle du nombre de cas recensés sur le territoire. D’une situation encore normale le 26 février, nous somme passés à une occupation moyenne inférieure à 10 % dès le 18 mars. Il faut d’ailleurs préciser que, malgré une autorisation de fonctionner, les hôtels français sont aujourd’hui fermés en grande majorité et leur clientèle se résume, aujourd’hui le plus souvent à des personnes engagées à titre divers dans la lutte contre la pandémie. Olivier Petit estime ainsi que l’hôtellerie va ainsi subir une période de deux mois avec un taux d’occupation (TO) autour de 8 à 12 points et qu’il faudra attendre la deuxième quinzaine de mai pour ressentir les signes tangibles d’une timide reprise. « En Chine, rappelle-t-il, cette reprise était déjà nette fin mars, trois mois après le début de la crise, avec un TO de 35 % contre 10 % au pire moment. A priori, ce n’est pas spectaculaire, mais ce qu’il faut voir c’est que ce calcul est réalisé par rapport aux hôtels ouverts. Au plus bas, les 10 % de TO étaient réalisés avec 10 % des établissements ouverts. Fin mars, 87 % des hôtels étaient ouverts en Chine et leur niveau de TO leur permettait déjà de couvrir les frais fixes. »



L’impact du Covid 19 sur l’hôtellerie mondiale (données provenant de l’étude In Extenso).


Olivier Petit pense qu’avec les beaux jours, les Français auront envie de ressortir : « Ils représentent 70 % de la clientèle des hôtels de l’Hexagone et seront les moteurs de la reprise. Les mesures gouvernementales ont permis globalement de maintenir leur pourvoir d’achat. Je pense, en revanche, que la clientèle des séminaires, congrès, salons, nous fera plus durablement défaut. Les entreprises qui traversent une période difficile vont faire l’impasse sur ces budgets. » Olivier Petit estime aussi que la clientèle sera plus longue à revenir en France. A contrario, les Français voyageront moins et chercheront à avoir de l’espace, privilégiant les destinations rurales au détriment de l’hôtellerie urbaine. Les hôtels économiques et de moyenne gamme devraient retrouver une fréquentation plus rapidement que les établissements de luxe, plus liés à la présence de la clientèle étrangère. Pour favoriser le redémarrage, Olivier Petit déconseille de baisser outre mesure le prix des nuitées. « Un client qui a peur ne va pas pour autant voyager pour le simple attrait d’une ristourne. Dans le système commercial, un hôtelier qui baisse les prix de la chambre de 20 € met six mois à deux ans avant de pouvoir renouer avec ses anciens tarifs. En revanche, je préconise de faire des promotions ponctuelles en dernière minute afin de dynamiser les week-ends de mai-juin. »

Dans ce scénario qui, rappelons-le, reste optimiste, Olivier Petit parie sur une activité plus soutenue vers septembre-octobre et un retour à la normale dès le début 2021. Reste à savoir si les aides de l’État ont été suffisantes pour permettre à toutes les entreprises de franchir le cap décisif de l’été 2020. Le directeur associé d’In Extenso réserve toutefois une très bonne nouvelle pour les restaurateurs qui pourraient redémarrer plus rapidement : « En Chine, nous avons noté une hausse des ventes très significative dans les restaurants des hôtels. » 

Etude In Extenso – Une année 2019 moins bonne que prévu

Avec une progression de 1 % en 2019, le CA de l’hôtellerie française s’oriente vers la stagnation. Les mouvements sociaux de l’année passée ont freiné la croissance du secteur.

In Extenso Tourisme & Hôtellerie Conseil, filiale conseil d’In Extenso Groupe, organisait le 28 février à la Bourse sa conférence annuelle sur les tendances hôtelières dans l’Hexagone. Cette présentation de l’état de l’hôtellerie en France et dans le monde intervenait alors que la crise du coronavirus était sur le point d’éclater. Le lendemain, le gouvernement anticipait la fermeture du Salon de l’agriculture. Déjà l’épidémie était dans la tête des nombreux hôteliers qui participaient à la présentation. Béatrice Guedj, directrice de la recherche et de l’innovation Swiss Life, est d’ailleurs intervenue pour souligner que le coronavirus était un paramètre qui pouvait largement bouleverser la tendance hôtelière exposée lors de cette conférence : « C’est un choc exogène, le cygne noir que l’on attendait pas. » La montée en puissance du Covid 19 va en effet pousser les investisseurs à attendre avant de prendre de nouvelles positions dans l’hôtellerie. L’experte a aussi évoqué un scénario plus sombre où la perte de revenu des entreprises pourrait les mettre en difficulté et répercuter ce choc, sur les banques, notamment aux Etats-Unis où l’endettement est important. « La récession pourrait entraîner un effet domino via l’endettement » a-t-elle résumé. Ainsi, elle n’a pas exclu l’hypothèse selon laquelle cette pandémie déboucherait à terme sur une crise économique comparable à celle des « suprimes ».


« D
epuis cinq ans, les hôteliers ont vécu toutes les situations qu’on peut connaître », Philippe Gauguier, directeur associé chez In extenso



Quarante jours après, en plein confinement international, ces propos résonnent comme une prophétie. Ce virus invisible pourrait ainsi accentuer une tendance économique certes positive, mais sur laquelle planaient déjà des incertitudes avant l’apparition du Covid 19. Le Brexit, ou le protectionnisme américain semblent amorcer une « déglobalisation des échanges » défavorable au tourisme. Comme le montre In Extenso. 2019 traduit cette situation incertaine comme le rappelle Philippe Gauguier, directeur associé chez In extenso : « depuis cinq ans, les hôteliers ont vécu toutes les situations qu’on peut connaître. 2019 s’annonçait brillante et exceptionnelle, elle a été finalement tout simplement bonne ». Un sentiment qui explique bien la progression du CA hébergement de 1% l’année passée. Elle était de 5 % en 2017 et de 4 % en 2018. On note toutefois des disparités sur le territoire. La Côte d’Azur est poussée par un vent porteur qui lui permet une croissance de 3 %. La province se maintient honorablement (+2 %), mais Paris recule de 1 %. La capitale a été handicapée par les épisodes des Gilets jaunes puis des grèves de décembre. D’ailleurs certaines catégories d’hébergement tirent leur épingle du jeu dans la capitale comme le segment économique (+3 %), le milieu de gamme (+2 %), mais le haut de gamme recule de 2 % et le secteur de l’hébergement de luxe plonge de 9 %. En cinq ans, le CA hébergement de cette catégorie a abandonné 16 points.

L’agitation sociale en France n’est pas la seule explication de cette contre-performance notable du luxe. Il faut aussi considérer qu’en cinq ans dans la capitale, l’offre d’hébergement de luxe a doublé. Pourtant, globalement, le marché hôtelier français reste porteur. En cinq ans, le CA hébergement a progressé de 9 % en France. D’ailleurs, en 2019, les performances de la France sont dans la norme de celles de l’Europe dont le RevPar hôtelier (revenu par chambre disponible) a cru de 2,2 % alors qu’au Moyen-Orient et en Asie, on accuse des reculs respectifs de 5,1 et 3,3 % sur ce même indice. En Amérique-du-Nord, on note une maigre croissance de 0,7%. Toujours en termes de RevPar, les parties du globe les plus dynamiques sont l’Afrique (+5,6 %) et l’Amérique-du-Sud (+10,7 %). Il faut enfin noter que 163 hôtels, soit 7 900 chambres ont été créées l’année passée en France. C’est moins qu’en 2018 (9 100 chambres), mais plus que la moyenne observée ces huit dernières années (7 250 chambres).


Évolution du chiffre d’Affaires hébergement de 2015 à 2019 (données provenant de l’étude In Extenso). 

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