La Lozère, terre d’accueil

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C’est une spécificité méconnue, et pourtant bien réelle. Le département le moins peuplé de France a développé au XXe siècle une expertise toute particulière pour l’accueil et la prise en charge des personnes en situation de handicaps. Sous l’impulsion de l’abbé Lucien Oziol, puis de différents spécialistes en neuropsychiatrie, l’association Le Clos du Nid est devenue une référence dans toute la France, et le premier employeur de la Lozère.

L'Abbé Oziol, fondateur du Clos du Nid.
L'Abbé Oziol, fondateur du Clos du Nid. Crédits : Archives départementales de la Lozère

L’histoire commence en 1940, loin des frontières de la Lozère. Alors que la France est sur le pied de guerre, une autre vient de s’achever en Espagne, où Franco s’est imposé face à la résistance. De nombreux Espagnols viennent trouver refuge dans l’Hexagone. Parmi eux, un jeune neuropsychiatre catalan, le docteur François Tosquelles.

Récupéré dans un camp de détention du Tarn-et-Garonne, il dépose ses valises à la clinique psychiatrique de Saint-Alban et se fait connaître dans la région pour ses pratiques novatrices. C’est là qu’il fait côtoie l’abbé Oziol. Le lien qui se tissera entre les deux hommes donnera naissance à l’une des plus belles aventures de la Lozère, et enclenchera un mouvement de fonds pour la reconnaissance et l’inclusion des personnes en situation de handicaps dans toute la France.

L’oiseau fait son nid

En 1954, l’abbé Oziol rencontre François Tosquelles, alors médecin psychiatre à l’hôpital de Saint-Alban. Ce dernier lui fait découvrir l’internement des jeunes enfants. À cette époque, Lucien Oziol, vicaire, s’occupe des enfants de la paroisse de Marvejols. Grâce à l’association du patronage de la ville, il loue le domaine du Clos du Nid pour y accueillir des enfants que lui confie l’hôpital de Saint-Alban. En 1956, Le Clos du Nid accueille 75 résidents. En quelques années, « débordé par les demandes, l’abbé Oziol met en route les centres de Saint-Germain-du-Teil et la ferme de Palherets. En 1970, il y a 13 centres et une association s’ouvre aux familles des handicapés »1.

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Foyer de vie Lucien Oziol. Crédits : Association Clos du Nid.

Entre-temps, le docteur Tosquelles a été remplacé par Jacques Blanc, actuel président du Clos du Nid. Député, médecin neuropsychiatre, le Lozérien va user de son réseau de concert avec l’abbé Oziol pour faire connaître l’expertise développée par l’association au-delà des frontières du département. Parmi ses faits d’armes, on compte ni plus ni moins la loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées, dont il sera le rapporteur. Cette dernière fait suite au soutien accordé à sa cause par le président Valéry Giscard d’Estaing et la ministre de la Santé d’alors, une certaine Simone Veil.

C’est un véritable tournant, dont on peut prendre toute la mesure dans l’introduction de l’article 1 : « La prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l’adulte handicapés physiques, sensoriels ou mentaux constituent une obligation nationale. » Cette sensibilisation sociale se concrétise avec la fondation de la première maison d’accueil spécialisée de France dans le département lozérien, inaugurée par les deux personnalités politiques citées précédemment, en 1975. Aujourd’hui, 47 ans plus tard, le Clos du Nid accompagne 1 400 personnes en situation de handicaps, enfants et adultes, et fait travailler 917 personnes dans le département. Jacques Blanc, son président, répond aux questions de L’Auvergnat de Paris.

iLe Clos du Nid en chiffres et en dates.
Le Clos du Nid en chiffres et en dates. Crédits : Association Clos du Nid.

A.d.P : Quel est le rôle du Clos du Nid en 2022 ?

Jacques Blanc :Aujourd’hui, nous fonctionnons avec une direction générale qui regroupe l’ensemble des établissements du Clos du Nid, chacun géré par une équipe éducative. Nous avons une professeure de psychiatrie référente en interne à 80 % de son temps. Elle apporte des réponses positives à l’accueil des personnes, et ce quel que soit le degré de handicap. C’est la première composante du rôle que nous nous sommes donné : être le plus inclusifs possible. Cette démarche passe également par un panel de solutions qui nous permettent de répondre de manière adaptée aux différents niveaux de handicaps, de l’habitat en ville, au foyer médico-social organisé en cas de degré d’autonomie insuffisant, et enfin les MAS (Maisons d’accueil spécialisées). Ceux qui résident dans ces dernières sont vraiment les « enfants du Clos du Nid »,qui découlent de cette loi de 1975, soutenue par Giscard d’Estaing et Simone Veil. C’était une dimension qui n’existait pas avant pour la prise en charge des handicaps très lourds.

A.d.P : Vous dites que tous les profils sont acceptés, quelle que soit la lourdeur du handicap… Comment y arrivez-vous là où d’autres ont échoué ?

J. B. :Il faut rappeler qu’on assiste aujourd’hui, sur toute la France, grâce aussi à la loi de 1975, à un vrai développement de ces structures. Cela permet à toutes les familles de se retrouver moins souvent dans l’impasse. Cela dit, on a su s’adapter au Clos du Nid à l’importance du handicap. Les MAS ont permis ça, ainsi que d’avoir des personnels en équipes renforcées avec des formations solides. Et ça nous permet aussi d’irriguer la formation locale, comme l’école de travail éducatif et social de Marvejols.

Au lieu de dire que la personne handicapée doit s’adapter à la structure, c’est nous qui nous adaptons. Le Clos du Nid a fait évoluer les établissements et la prise en charge pour mieux coller aux différentes réalités, notamment le vieillissement de ces personnes dépendantes.

iJacques Blanc, président de l'association Clos du Nid.
Jacques Blanc, président de l'association Clos du Nid. Crédits : Clos du Nid.

A.d.P : Et quelle est l’échelle de rayonnement du Clos du Nid ?

J. B. :Le Clos du Nid a eu très vite un rayonnement national. L’abbé Oziol avait su créer un environnement solide autour de ces structures, en s’associant avec les caisses de santé militaires, comme la mutuelle de l’air par exemple, et donc les familles de militaires. Ça a provoqué un rayonnement très fort. L’abbé était également parti aux États-Unis pour parler de son travail, et avait réussi à faire venir Eunice Kennedy Shriver, la sœur du président Kennedy, pour visiter les installations en Lozère. Ça a permis une meilleure reconnaissance des compétences développées par le Clos du Nid.

A.d.P : Le but est-il la réinsertion ?Est-il toujours atteignable ?

J. B. :La réinsertion n’est pas toujours possible, c’est une réalité, à laquelle nous nous sommes adaptés. Il y a l’Esat pour ceux qui sont les plus autonomes. Il y en a pour lesquels il n’y a pas d’autres perspectives que de rester avec nous jusqu’à la fin de leurs jours. Mais le fil rouge, c’est de s’assurer qu’il y ait un maximum d’épanouissement, même s’il n’y a pas de possibilité d’insertion extérieure. On s’adapte toujours pour essayer de répondre au mieux à toutes les situations, quel que soit le degré de handicap.

A.d.P : Comment l’association se finance-t-elle ?

J. B. :Notre prise en charge a un prix à la journée. Nous aggravons cette somme avec les aides de l’ARS pour le médico-social, et du département pour la partie sociale. Au total, nous sommes autour de 50 M€ de budget annuel.

A.d.P : On dit que vous êtes le premier employeur de la Lozère…

J. B. :Oui, c’est probablement vrai. Mais je suis très prudent quand on dit ça, c’est un atout économique indéniable, mais ce n’est pas ce qu’il faut mettre en avant. C’est notre métier qu’il faut mettre en avant, et notre côté précurseur. Aujourd’hui, on accueille autour de 1 400 personnes, pour 917 travailleurs.

A.d.P : La Lozère serait une « terre d’accueil », pouvez-vous nous en dire plus ?

J. B. :Il y avait l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban au début du XXe siècle qui a participé à cette renommée, aujourd’hui on a le Clos du Nid. Est-ce qu’il y aurait quelque chose en plus ? Il est certain que la Lozère est un département rural où la population a une sensibilité humaine particulière, peut être plus développée qu’ailleurs. L’accueil de ces personnes en situation difficile a été un élément de constitutif de notre ADN.

Notes
  1. Archives départementales de la Lozère.

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