Consigne, la clé de l’avenir

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Le monde de la restauration doit diminuer sa consommation d’emballages à usage unique, prévue par la loi antigaspillage (Agec). Alors que la restauration rapide, la livraison et la vente à emporter produisent chaque année des millions de déchets en plastique ou en carton, la consigne se développe à nouveau en France.

La restauration rapide vers des contenants réemployables.
La Consigne GreenGo est experte dans les contenants réutilisables. Crédits : La Consigne GreenGo.

Le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas. Cela semble une évidence. Mais la marche est encore longue pour imposer les contenants non jetables en restauration, comme le promeut l’entreprise Écotable. Différents acteurs locaux, comme Reconcil, Ramène ton plat ou Raboule, sont aujourd’hui engagés dans cette pratique écoresponsable que la nouvelle législation souhaite imposer à moyen et à long terme.

La loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec), adoptée en février 2020, rendra obligatoire d’ici au 1er janvier 2023« la vaisselle réutilisable pour les repas et les boissons servis sur place ».L’objectif de cette loi est de changer de paradigme. Le but : basculer d’une « économie linéaire » (produire, consommer, jeter) vers une « économie circulaire », orientée vers le réemploi. Cette loi se veut progressive et impose des objectifs par paliers. Parmi ses grands axes, l’abandon du plastique jetable apparaît comme une priorité. De plus, la loi Agec fixe notamment l’introduction de 5 % d’emballages réemployés sur le marché français en 2023, puis 10 % en 2027.

Éduquer pour sensibiliser

Mais pour les restaurateurs, mettre à disposition de la vaisselle consignée est une démarche qui demande un soutien des entrepreneurs, des pouvoirs publics et surtout des consommateurs.« Il y a une identité qui se crée autour de la consigne. Nous sommes de plus en plus sollicités. Il faut s’appuyer sur des prestataires dont c’est le métier,estime Marion Favre, chargée de communication d’Écotable, spécialiste dans l’accompagnement et la valorisation des restaurants aux pratiques écoresponsables.Plus il y aura de restaurants et de prestataires concernés, plus la consigne sera opérationnelle. Maintenant, ce sont les clients qui doivent adopter la consigne. Si on arrive à faire de la pédagogie, cela peut sensibiliser les gens. »En 2019, les repas livrés ont généré 600 millions d’emballages à usage unique dans nos poubelles. De quoi faire réfléchir.

Le modèle de La Consigne Greengo

C’est en restauration collective que La Consigne Greengo a commencé son activité en 2018. Et la société a ensuite conditionné dans des contenants non jetables du vrac et de la fraîche découpe (fruits et légumes) en GMS. C’est désormais le monde de la restauration commerciale qui est ciblé par la jeune application, experte de la consigne et des emballages réutilisables.

Après un partenariat avec la mairie de Paris et 75 restaurants (2e, 9e, 10e et 11e arrondissements) l’an dernier, La Consigne GreenGo poursuit son développement dans la capitale.« Notre modèle fonctionne avec une caution de 10 €. Vous empruntez avec votre carte bancaire. Ensuite, vous rapportez votre emballage dans nos points de collecte, jusqu’à un mois après votre commande. Le taux de retour des consignes en restauration commerciale est passé de 50 % à 70 %. Nous avons construit un partenariat avec des valeurs locales. Et grâce à la technologie – les QR codes des consignes et noscollecteurs -, nous savons où se trouvent nos emballages. Les restaurateurs sont contents d’être accompagnés mais le changement doit s’opérer aussi du côté des citoyens. Il faut encore évangéliser »,soutient Iris Konrad, responsable communication de La Consigne GreenGo.

Afin d’inciter cette pratique auprès de ses clients, l’enseigne Eataly – partenaire de l’application – a décidé de récompenser de 1 € les personnes qui rapportent leurs emballages consignés.

Freins ou avantages culturels

Engagé dans un projet 100 % zéro déchet depuis son ouverture, le restaurant Belle Musette, implanté à Laval (53), propose tous ses plats, ses entrées et ses desserts dans des contenants en verre. Les pâtisseries sont, elles, servies dans des serviettes en tissu, que les clients sont invités à rapporter.« Nous faisons des consignes non monnayées, c’est un prêt et c’est très risqué »,reconnaît Louise Rozel, fondatrice du restaurant. Si certaines personnes ont tendance à conserver la vaisselle allouée gratuitement, le restaurant peut compter sur la moitié des retours de ses clients.« Nos ventes ne sont pas simples, il y a une phase de présentation de notre pratique. Nous savions que la consigne monnayée allait être un obstacle »,poursuit la cofondatrice de Belle Musette, qui regrette le peu d’intérêt pour le zéro déchet des« grosses structures »dans sa ville.

Louise Rozel note que l’utilisation de la consigne est plus simple avec les personnes plus âgées ou retraitées. Car cette génération serait plus familière avec l’usage des contenants en verre, et retrouve ainsi« très vite des réflexes d’enfants ».Mais selon la restauratrice, la pratique de la consigne est différente selon les territoires.« Tant que les décisionnaires n’agissent pas, c’est difficile pour nous. »

L’exemple alsacien

En Alsace, la consigne reste solidement ancrée. Dans ce département frontalier de l’Allemagne, avant les années 1960, il était impensable de jeter ses bouteilles. Celles-ci représentaient un investissement pour les brasseurs et les embouteilleurs. Aujourd’hui, un important réseau d’hôteliers et de restaurateurs a conservé ce système. De nombreuses grandes surfaces alsaciennes possèdent encore leur équipement de machines déconsigneuses.« Sur la partie CHR et même en distribution, l’Alsace est la seule région de France où la consignen’a pas disparu. Les membres fondateurs d’Alsace consignent, comme Carola et Lisbeth ou aujourd’hui Celtic[minéraliers locaux, NDLR],ont un système de logistique et de lavage qui est optimisé. Les brasseurs Kronenbourg et Meteor ont, eux, les mêmes bouteilles et peuvent récupérer celles des uns et des autres »,témoigne Adrien Lacroix, chargé de mission de l’association Zéro déchet Strasbourg, active dans les 33 communes de l’Eurométropole et animatrice du réseau Alsace consigne.

La standardisation des contenants est un enjeu important pour développer la pratique de la vaisselle consignée. Cela permet aux laveuses de traiter plus facilement les bouteilles et les plats consignés.« C’est un système qui fonctionne bien en Allemagne, mais également ailleurs en Europe. C’est le cas aussi en Belgique, aux Pays-Bas, en Estonie ou au Danemark »,poursuit Adrien Lacroix.

Cette économie commence d’ailleurs à se développer en France. L’entreprise Uzaje a récemment levé 4 M€(voir encadré)pour déployer son service de nettoyage. Mais la mutualisation et les réseaux doivent être privilégiés par les restaurateurs, s’ils souhaitent proposer plus facilement des emballages et de la vaisselle consignée. Et l’exemple alsacien, soutenu par le réseau Alsace consigne, permet aujourd’hui de vendre chaque année 25 millions de bouteilles consignées, réduisant ainsi l’impact environnemental des consommateurs d’eau minérale, de bière, de limonade ou de jus de fruits, à hauteur de 70 % par rapport au verre perdu*.

Livraison : le secteur s’engage

La restauration à emporter ou en livraison produit énormément de déchets. Uniquement à Paris, elle engendre chaque jour environ 15 tonnes d’emballages plastiques jetables. Et« la plupart de ces emballages sont peu ou pas recyclés », ajoute la mairie de Paris, engagée dans la promotion de la consigne. Le secteur de la livraison de repas participe aussi à cette lutte contre le gaspillage et le suremballage. Le 15 février 2021, une charte d’engagement avec le ministère de la Transition écologique – visant à réduire les contenants et emballages en plastique à usage unique – a été signée par 19 acteurs du secteur, dont diverses plate-formes de livraison. Dans ce cadre, Bioburger s’est associé à Uber Eats pour expérimenter la consigne en livraison, dans deux de ses restaurants parisiens, depuis mai dernier.

« Le client peut commander un menu “zéro déchet”. Ce menu sera livré avec un contenant en verre, un couvercle en bois ainsi qu’une bouteille en verre. Il va débourser 5 € qu’il récupérera lors du retour de ses emballages au restaurant,indique Louis Frack, cofondateur de Bioburger.Avec ce type de contenant rigide, le client bénéficie d’une meilleure expérience. Les produits sont mieux conservés et la dégustation est plus qualitative. »Il reste cependant des freins sur les retours des plats.« Il faut qu’il y ait un hub[une plateforme, NDLR]pour ramener plus facilement ces contenants. Nous sommes dans une démarche écoresponsable mais si nous lavons la vaisselle loin de notre site, l’énergie consommée par le transport devient un problème »,alerte le dirigeant de l’enseigne defast-food100 % bio.

La consigne est une véritable solution dans la lutte contre le gaspillage et la surproduction d’emballages jetables, mais ce modèle reste encore un vrai défi.

Uzaje lève 4 M€

Uzaje, la société de plonge externalisée pour la restauration et la grande distribution a levé, à la fin de janvier, 4 M€ auprès de plusieurs investisseurs (dont la Banque des territoires et France Active Investissement) pour accélérer son maillage territorial. Elle dispose aujourd’hui de deux centres de lavage – à Neuilly-sur-Marne (93) et Avignon (84) – et souhaiterait s’installer dans chaque métropole française, pour répondre aux besoins engendrés par la loi antigaspillage (Agec) de 2020. L’entreprise, créée en 2019, désire aussi renforcer ses équipes commerciales et son activité de conseil, afin de faciliter la transition vers la vaisselle réutilisable.

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