Le pouvoir des fleurs
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À l’heure du tout instagrammable, les devantures des bars et des restaurants se mettent à la page. Un petit tour dans les rues de la capitale suffit pour découvrir des décors floraux qui, partout, poussent à l’ombre des immeubles haussmanniens. Une mode uniquement parisienne ? Loin de là, partout dans l’Hexagone, la tendance est appréciée des restaurateurs comme des consommateurs.
Roses, pétunias, hortensias, qu’on sache les reconnaître ou non, au milieu de la grisaille du béton elles n’échappent pas au regard.« On est tous des abeilles, on est tous attirés par les fleurs »,sourit Luc Deschamps, expert dans le domaine. Alors que la nature se fait de plus en plus rare en ville, l’artisan a trouvé un remède pour colorer le quotidien des passants. Mais alors quel est son secret ?
À la tête de la Maison Deschamps à Paris, le fleuriste-décorateur depuis 37 ans s’est spécialisé dans le fleurissement de devantures de commerces. Inspiré par des créations new-yorkaises, l’artiste autodidacte a façonné son premier décor à La Maison Sauvage de Saint-Germain-des-Prés (Paris, 6e) en 2017. Un succès immédiat, qui a fait le bonheur des influenceurs, badauds et photographes du dimanche. Depuis cette première création, chaque jour, les compositions florales pullulent de toute part dans les rues et sur Instagram, Facebook ou Tiktok.« Au début je réalisais un seul décor par mois, puis un par semaine et aujourd’hui c’est un par jour »,raconte Luc Deschamps. Une mode encore très parisienne. Elle commence toutefois à sortir de la capitale, car elle colle parfaitement à l’image idéale et glamour de la France. Elle fait également le bonheur des propriétaires qui enregistrent entre 20 et 30 % de fréquentation en plus, selon les témoignages recueillis.
Ode au printemps
« Choisir Luc Deschamps, c’est choisir de la haute couture »,lance Christiane Boudon, gérante de L’Éclair (Paris, 7e). Conquise par le travail effectué devant et dans son établissement, Christiane Boudon loue les mérites du fleuriste. Après avoir eu un« déclic »en découvrant la façade féerique de
La Favorite Saint-Paul[voir photo ci-dessus],le couple Boudon a décidé de prendre le train en marche et d’être les premiers à arborer une devanture fleurie dans la rue Cler. Avec une prestation« all-over », leur brasserie a été fleurie de la tonnelle au pla- fond. Depuis le mois de mai, partout les fleurs de cerisiers jaunes égayent les lieux.
De l’autre côté de la Seine, l’équipe du Triadou Haussmann (8earrondissement) a également pris le parti de redorer, ou plutôt de refleurir son image.« C’est fou toute la journée les gens s’arrêtent pour prendre des photos. Regardez sur Instagram ! », se réjouit le gérant, Stéphane Triadou, son téléphone portable à la main. Interloqué par ces terrasses qui fleurissent partout dans Paris, le petit-fils des fondateurs de la maison Triadou a voulu faire de même avec son établissement durant l’été 2022. Pour cela, il explique s’être rapproché de son architecte-décorateur pour choisir la personne qui orchestrerait la mue de la brasserie.« Ici, c’est une institution qui date de 1935, je n’avais pas droit à l’erreur », précise le restaurateur. Après mûres réflexions, il fait également appel à Luc Deschamps. Marquises, plafonds, rambardes, le Triadou Haussmann devient plus parisien que jamais et offre fièrement des centaines et des milliers de roses à la vue des visiteurs.« Nous avons toujours eu beaucoup de visiteurs, mais depuis les travaux les touristes se pressent chaque soir »,ajoute-t-il.
À Montauban, Pascale Touery n’a, quant à elle, pas attendu la mode des réseaux sociaux pour fleurir son établissement.« Je suis ici depuis 14 ans et il y a toujours eu des fleurs », affirme la gérante du Crumble Tea, avant d’ajouter qu’elles font partie intégrante de l’identité de ce lieu et de l’esprit salon de thé à l’anglaise. Une arche en fleurs artificielles et des plantes naturelles confectionnée par un fleuriste local, celui du Lilas Blanc, ouvrent les portes de ce commerce chaleureux et intimiste.« Le lieu est classé monument historique. Les fleurs apportent de la douceur et du raffinement »,confie la restauratrice. Un parti pris qui fait le succès de son salon de thé et le bonheur des passants.
Une mécanique bien huilée
Le procédé est toujours le même. À l’aide de sa tablette et de son stylet, Luc Deschamps fait pour chacun de ses clients un croquis.« C’est très rapide, dès la première visite, je prends des photos et grâce à une application je dessine les décors en direct, car j’imagine tout de suite ce que je veux faire »,détaille le décorateur. Si les propriétaires sont satisfaits de cette prévisualisation, ils peuvent alors signer le devis et environ un mois et demi plus tard, le décor sera inauguré.
Il faut compter en moyenne entre 10.000 et 15.000 € par réalisation. Soucieux d’honorer les attentes de ses clients, le fleuriste s’adapte à toutes les envies en partant du premier prix à 5.000 € pour quatre mètres de composition linéaire et allant jusqu’à 100.000 € pour sa composition la plus folle sur le plafond d’un centre commercial. Design, matériau, tout est choisi en adéquation avec le quartier, le lieu et bien évidemment la volonté du client. « Chaque pièce est unique. J’utilise des branches naturelles et des fleurs artificielles en polyester. Je teinte les pétales moi-même pour obtenir des nuances les plus naturelles possibles », précise-t-il.
À chaque devanture sa création
Pour les clients qui ne savent que choisir pour décorer leur devanture, l’artisan et artiste dessine au gré de ses inspirations tout en respectant un code couleur, mais surtout sans dénaturer l‘endroit. Agrémentées de leds ou encore d’accessoires, les possibilités sont infinies. En effet, avec son équipe, Luc Deschamps prépare en atelier les décors pendant environ un mois avant de les installer en deux journées au maximum. Un processus qui se veut rapide et dans la discrétion, en veillant à ne pas déranger le professionnel dans son activité.« Nous sommes toujours vigilants à ne pas perturber les restaurateurs pour qu’ils n’aient pas besoin de fermer, nous sommes silencieux et efficaces »,souligne-t-il.
Par ailleurs, la Maison Deschamps assure un service après-vente afin de contrôler que les décors ne se détériorent pas plus vite que de raison. Une démarche qualité en adéquation avec sa patte : des matériaux méticuleusement choisis, des ornements conçus pour résister aux intempéries et durer entre cinq et six ans.« Le principal problème que je rencontre, c’est la décoloration des pétales au bout de plusieurs années à cause des UV ou encore le ternissement des couleurs dû à la pollution »,remarque le fleuriste. Afin de redonner un coup d’éclat à ses créations, l’artisan préconise au bout de deux ou trois ans de reteinter et remplacer les fleurs abîmées. Un service qu’il effectue lui-même, moyennant supplément.«On démonte tout et on remonte le décor rafraîchi ou un tout nouveau décor, selon ce que dé- sirent nos clients », ajoute le fleuriste décorateur.
À Paris, Lyon, Bordeaux, Aix-en- Provence et peut-être bientôt à l’étranger, la Maison Deschamps continue d’étendre son œuvre et de trouver des nouveaux adeptes.« Originales », « qualitatives », « réalistes », selon les mots de Christiane Boudon de L’Éclair, mais aussi adaptées à toutes saisons, thématiques et toutes les envies, les décors floraux mettent en valeur les devantures pour que vivent les commerces de proximité. Cette fantaisie décorative n’a sans nul doute pas fini de faire parler d’elle.