Dépôts de bilan : un raz-de-marée en 2021

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La mise sous perfusion d’une partie de l’économie française liée notamment aux embouteillages dans les tribunaux de commerce ont fait baisser de manière drastique le nombre d’ouvertures de procédures pour dépôt de compte en 2020. Dans l’hôtellerie-restauration, elles ont baissé de 36 % par rapport à la même période l’année passée. Pour Baptiste Robelin, avocat associé du cabinet Novlaw, un raz-de-marée est prévisible à horizon 2021.

Billets d'euros

Les statistiques émises par le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales parlent d’elles-même : en 2020 en France, il y a moins de dépôts de bilan que l’année dernière à date. Beaucoup moins même. Jusqu’à – 43 % dans le secteur de la construction, – 36 % dans l’hôtellerie-restauration. « Tout le monde avait anticipé un emballement des ouvertures de procédure pour début septembre, cette situation n’était absolument pas prévue », analyse Baptiste Robelin, avocat associé chez au cabinet Novlaw. Selon lui, la raison est simple. 

Coma artificiel, mise sous perfusion… 

Les métaphores médicales ne manquent pas pour décrire l’état de sommeil dans lequel les aides gouvernementales ont placé l’économie française, en particulier dans le secteur du CHR. Cumulées, les mesures telles que le chômage partiel, le PGE ou le report de charges ont permis aux restaurateurs de faire le dos rond ; dans certaines villes, la reprise estivale a permis de retrouver un peu de souffle et de la trésorerie. 

En parallèle, Baptiste Robelin identifie une autre conséquence de la crise du Covid, celle-là psychologique, qui a permis de limiter le nombre d’ouvertures de procédure. « Il y avait autrefois des clients qui à la moindre dette se seraient inquiétés, détaille l’avocat. Ils auraient tout tenté pour régler ces dettes, et auraient très vite ouvert une procédure collective pour tenter de trouver une solution sous la protection du tribunal. »

L’effet pervers de l’endettement locatif : des liquidations sèches en série

Ce qu’il constate, c’est qu’à l’image de l’État qui s’endette « à des niveaux stratosphériques », les entreprises privées ont changé de vision sur le sujet : « Ce n’est pas si grave finalement d’avoir des dettes ». « Cela a un effet pervers, explique-t-il. “Il y a des entreprises qui vont continuer à fonctionner comme si de rien n’était. Cela concerne notamment les sociétés ayant principalement des dettes locatives. Le moment venu, elles vont chercher à négocier en comptant sur la clémence judiciaire. Une stratégie pas totalement dénuée de sens, car les juges ont tendance à se montrer cléments avec les restaurateurs pour les dettes de loyer Covid, prodiguant des délais de paiement jusqu’à deux ans (le maximum ndlr). »

Si certains s’en sortiront avec une procédure de redressement ou de sauvegarde, moyennant des années d’épuration de dette, une grande partie vont tout droit vers la liquidation sèche. L’Umih, interrogée par France info à ce sujet, estime que 35 % des entreprises du secteur seront concernées. 

Les zones d’affaires et touristiques sont les plus impactées

La liquidation sèche, c’est quand « il n’y a pas de redressement car pas de repreneur potentiel ». Baptiste Robelin décrypte : « La plupart des restaurateurs se retrouvent avec des niveaux de loyers fixés avant la crise. Ils ont été fondés sur le trafic potentiel de la zone d’implantation. Si vous reprenez un commerce à la barre, il n’est pas question de renégocier le loyer avec le propriétaire des locaux. Les repreneurs vont donc préférer reprendre un local vide, et repartir sur un loyer prenant en compte l’impact du coronavirus sur le trafic de la zone. » L’avocat identifie trois zones principales, toutes les trois touchées différemment par la crise de la covid-19. Dans les zones d’affaires, « le télétravail vient déstabiliser durablement la fréquentation des établissements » ; dans les zones touristiques, les professionnels s’attendent à un retour à la normale d’ici 2023-2024 ; et enfin les zones résidentielles sont celles qui s’en sortent le mieux au regard de la situation « même si elles sont impactées par la morosité des ménages et les mesures de restriction de libertés prises par le Gouvernement ». 

Aujourd’hui, les restaurateurs font donc face à un niveau de loyer trop élevé pour ce qu’il représente aujourd’hui en termes de trafic. « Personne ne va se lancer avec ces loyers dans la reprise de fonds de commerce, explique Baptiste Robelin, avant de conclure : l’intérêt du bailleur peut donc être de garder son locataire et de se montrer magnanime, afin de ne pas perdre d’argent sur le long terme ».

Dark Kitchens : Deliveroo et Uber Eats tirent leur épingle du jeu

Au milieu du marasme, il en est qui tireront nécessairement leur épingle du jeu. Selon Baptiste Robelin, leur identité ne fait aucun doute : ce sont les Dark kitchens. Ce concept de cuisine partagée s’adresse aux restaurateurs se positionnant uniquement sur la vente en livraison. Derrière « ces immenses locaux en périphérie des grandes villes, il y a notamment Deliveroo et Uber Eats. Nul doute que cette manière de travailler va prendre de l’ampleur, même si elle ne remplacera jamais totalement la restauration traditionnelle » estime-t-il. 

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