La Covid-19 révélatrice de la crise du champagne

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Le choc de la Covid-19 va coûter au vignoble champenois près d’un tiers de ses ventes. Mais ce choc a aggravé une crise sous-jacente plus structurelle. Misant trop sur des marques connues de brut sans année, le vignoble n’a pas encore su tirer parti de l’extrême diversité de son terroir.

Les crises sont souvent révélatrices des malaises structurels du vignoble de Champagne. Celle qui est en train de nous secouer n’échappe pas à la règle. La semaine dernière, c’est l’une des plus importantes maisons de Champagne indépendante, Duval Leroy, qui tirait la sonnette d’alarme dans un communiqué. Selon elle, face à la Covid-19, tous les voyants économiques sont au rouge listant pêle-mêle le surcoût des vendanges, lié à la mise en place de mesures de protection sanitaire, le reconfinement qui met à l’arrêt les importantes ventes des restaurants et de l’événementiel, le ralentissement des cadeaux d’entreprise en fin d’année ainsi que l’absence d’aides reçues par ce secteur pourtant étroitement dépendant de la restauration.

À la mi-septembre, bien avant que l’hypothèse d’un second confinement commence à circuler, Maxime Toubard, président du syndicat général des vignerons de Champagne, n’était guère plus optimiste à l’occasion de sa conférence de presse post-vendanges. Si les conditions météorologiques ont offert une récolte de très belle qualité, l’inquiétude est réelle dans le vignoble champenois. Le rendement maximal a été limité à 8 000 kg/ha afin d’adapter la production à la demande. À titre de comparaison, en 2018, le rendement moyen disponible à l’hectare atteignait 10 798 kg. Et comme il faut près de trois ans pour produire une bouteille, ce sont ces quantités appréciables qui vont arriver sur le marché.

100 millions de bouteilles sur les bras 

La Champagne détient dans ses caves un stock de 1,2 milliard de bouteilles (soit une valeur de 10 Md€).

Cette limitation volontaire de la production risque d’être lourde de conséquences. Déjà, au sortir du premier confinement, Maxime Toubard mettait en garde les vignerons contre une baisse trop importante des rendements en déclarant à la presse : « Combien de personnes mettent la clé sous la porte à 8 000 kg/ ha ? On sait déjà que même avec un rendement à 10 000/9 000 kg/ha, certains étaient déjà en très mauvaise position ces dernières années. » Durant les deux mois de confinement, les ventes de champagnes auraient ainsi baissé de 80 %. La période actuelle va encore amplifier ce malaise. Globalement, 2020 pourrait se clôturer avec une baisse totale des ventes de champagnes de l’ordre de 100 millions de bouteilles alors qu’en année normale, elles représentent en moyenne 300 millions de bouteilles/an. Il faut savoir que la Champagne détient dans ses caves un stock de 1,2 milliard de bouteilles (soit une valeur de 10 Md€). C’est un niveau normal pour l’interprofession qui veut maintenir un stock de réserves représentant entre 3,5 à 3,8 années de production. Il faut aussi ajouter que les quantités de réserves tolérées chaque année en marge des rendements ne serviront pas à grand-chose. Les cuves de vin de réserve de la plupart des acteurs de la Champagne sont pleines. Les réserves de cette année étant de bonne qualité, elles serviront tout au plus à remplacer des stocks de vin d’un millésime médiocre.

Une remise en question inévitable

Avec la baisse des ventes inhérente à la Covid-19, les stocks globaux pourraient atteindre un niveau critique et pousser certains opérateurs à mettre en place les promotions en fin d’année. Naturellement, Maxime Toubard veut éviter cette possible « grande braderie du produit, lourde de conséquences pour la filière ». Mais il n’est pas certain que cette région vinicole sorte indemne des turbulences économiques. En dépit des fortes baisses, le prix moyen du kilogramme de raisins vient de baisser de près de 5 %; de l’inédit dans cette région abonnée aux hausses régulières.

Le choc sanitaire est aussi sans doute révélateur d’un malaise latent qui minait déjà la Champagne. Le vignoble souffre aujourd’hui de la banalisation de ses bruts sans année. Son succès l’a poussé à différer une remise en question. Contrairement à ce qui se passe dans les autres régions vinicoles, il est peu question de terroir, de sélections parcellaires, dans cette place forte de la bulle. Un positionnement à contre-courant de la tendance actuelle du marché du vin. Même la qualité initiale du raisin est peu prise en considération, comme le regrette Charles-Armand de Belenet, directeur général de Bollinger : « Il n’existe pas beaucoup de différence aujourd’hui entre les prix d’un raisin de base et les prix d’un premier ou d’un grand cru, je pense que cela va évoluer dans les années qui viennent. » Cette maison connue pour produire le champagne préféré de 007 devrait parvenir à limiter cette année la baisse de ses ventes à 15 %, soit un sort beaucoup plus enviable que la moyenne. Elle doit cette position à des efforts qualitatifs qui ne se sont jamais démentis depuis des décennies. Elle dispose de 180 ha de vignobles positionnés à 90 % en premiers et grands crus et acquiert chaque année 2 à 3 ha. Elle dispose de vignes préphylloxériques dans deux clos qui permettent de produire la très prestigieuse cuvée Vieilles vignes françaises depuis 1969. La maison travaille actuellement sur une extension du site pour pouvoir accueillir 4 000 tonneaux contre 3 000 actuellement et 800 000 magnums de vieillissement dorment en cave.

Les maisons comme Bollinger qui tirent la qualité vers le haut ont peu de soucis à se faire. L’avenir leur sourit, notamment à l’export où les grandes cuvées sont très appréciées. Mais le marché du champagne premier prix risque en revanche d’être très secoué durant l’année 2021. De bonnes affaires seront possibles pour les restaurateurs qui voudront relancer l’activité lors de la réouverture. En revanche, à plus long terme, la situation devrait se normaliser. La région jouit d’une telle réputation que les crises n’y durent jamais très longtemps. « L’objectif gouvernemental de viticulture durable fixé en 2030 va nécessairement entraîner des baisses de rendement. Nous étions à 300 millions de bouteilles/an, nous descendrons à un niveau situé entre 220 et 250 millions de bouteilles/ an, prédit Charles-Armand de Belenet. La Champagne va sortir de cette crise par le haut ! »

Les vendanges parcellaires selon Bollinger

La Maison Bollinger, qui travaille de plus en plus autour de sélections parcellaires, vient de dévoiler une nouvelle cuvée dont le nom résonne comme un code dans un film de dames À Bond: PN VZ 15. Il faut ainsi déchiffrer ces symboles : PN (cépage pinot noir), VZ (terroir Verzenay). 15 (vendages 2015). Si les pinots noirs de Verzenay de 2015 constituent le socle de l’assemblage, d’autres vins sont intégrés, dont des jus de 2009 élevés durant neuf ans en magnums. Il en résulte un vin exceptionnel aux arômes d’aubépine et de fruits blancs. Il faut noter que cette cuvée est la première nouveauté à intégrer la gamme permanente de la maison de Champagne depuis 2008, date du lancement de Bollinger rosé. Toutefois, Chaque année, l’étiquette devrait évoluer. Si la mention PN (pinot noir) demeurera, le terroir et le millésime socle pourraient en revanche évoluer.

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