Le blues de l’hôtellerie de luxe

  • Temps de lecture : 6 min

Paris n’abrite pas moins de 12 palaces et près de 80 hôtels classés 5 étoiles. Cette offre pléthorique capte habituellement une large clientèle, d’affaires et de loisirs, majoritairement internationale. Avec le retour du confinement et la fermeture des CHR, l’hôtellerie de luxe souffre particulièrement. Certains établissements n’ont pas rouvert depuis mars dernier.

«Nous nous sommes questionnés sur le fait de laisser Le Bristol ouvert ou non, mais la chose s’est imposée d’elle-même. Nous sommes revenus au devoir primaire d’un hôtelier, celui d’accueillir les personnes qui ont besoin de se rendre à Paris, que cela soit pour le travail ou pour des raisons de santé », glisse Giulia Panossian, directrice adjointe de la communication du Bristol, l’un des joyaux de l’hôtellerie de luxe parisienne bénéficiant d’une classification 5 étoiles. Un choix heureux qui permettrait à l’établissement d’afficher une fréquentation « plutôt satisfaisante » eu égard à la situation actuelle. Si le restaurant et le spa sont fermés conformément aux injonctions sanitaires, le chef étoilé du Bristol, Éric Frechon, et le chef pâtissier, Julien Alvarez, animent conjointement une offre culinaire axée sur le room service, le tout aux côtés d’une équipe réduite. Car, dans un contexte où la crise sanitaire a poussé la France à se reconfiner, la clientèle étrangère est aux abonnés absents. Cette dernière « représente 70 % de la clientèle totale des établissements de luxe », selon Laurent Delporte, ancien directeur marketing de la marque Sofitel (Accor) assurant aujourd’hui des missions de consultant.

Le Gouvernement, qui a décidé il y a deux semaines d’un nouveau confinement, a provoqué une deuxième vague de blues dans l’hôtellerie de luxe et des palaces. Seule demeure une petite activité qui tend à s’amenuiser à mesure où le confinement se poursuit. Les 4 et 5 étoiles ainsi que les palaces sont particulièrement impactés. Parmi les palaces parisiens, le Crillon, qui accueillait de nouveau des clients le 24 août, a finalement décidé de laisser porte close jusqu’en décembre (à Nice, le Negresco a fait de même). Malgré tout, le Park Hyatt Paris-Vendôme, le Plaza Athénée, le Ritz, le Four Seasons George V et Le Meurice ont fait le même choix que le Bristol en maintenant leurs chambres et suites accessibles au public. « C’est un choc sans précédent pour les hôteliers. Normalement, un hôtel est ouvert 7 j/7 et 24 h/24, donc quand on évolue dans ce secteur il est difficile de fermer ses portes, ce n’est pas dans notre ADN. Un hôtel c’est une famille… », déplore Laurent Delporte.

Certains établissements prestigieux ont ainsi dû se résoudre à garder le rideau baissé : le Peninsula, le Shangri-La et le Royal Monceau ne proposent toujours pas de chambre depuis le début du premier confinement, soit depuis déjà huit mois. Néanmoins, le Peninsula n’a pas renoncé à toute exploitation. Il présente à sa clientèle quelques plats de son nouveau cador derrière les fourneaux, le maître queux David Bizet. Au Royal Monceau, seuls cinq appartements privés sont proposés à la location. L’hôtel a même fait une croix sur l’offre de restauration et sur son spa. De son côté, le Shangri-La souhaitait rouvrir le 1er décembre, mais depuis les dernières annonces gouvernementales il est désormais fermé jusqu’à nouvel ordre.

Indicateurs en berne

Par voie de conséquence, les indicateurs tels que le prix moyen ou le taux d’occupation sont au rouge. À l’hôtel InterContinental Paris Le Grand, où le directeur général Christophe Laure est par ailleurs président de la branche Umih Prestige, l’heure est grave.

« Ce deuxième confinement est un coup sur la tête pour l’hôtellerie haut de gamme et de luxe parisienne. On pensait vraiment que l’activité allait reprendre, même faiblement, à la rentrée. Or, septembre-octobre ont été très peu favorables. À la fin septembre, la recette unitaire par chambre disponible était en recul de 70 %. Avec le deuxième confinement, on sera entre – 75 % et – 80 % à la fin de l’année, d’autant qu’il pourrait se prolonger », déclare-t-il à la presse. L’hôtel de prestige qu’il dirige a lui aussi fermé ses portes, à l’instar des 4 et 5 étoiles du groupe Paris Inn. Jean-Bernard Falco, qui préside Paris Inn, a d’ailleurs indiqué que l’intégralité de son parc était close, soit une trentaine d’établissements dans l’Hexagone. Pour le spécialiste Laurent Delporte, l’hôtellerie de luxe doit « réinventer son modèle économique et faire beaucoup plus que vendre des chambres ». Il cite l’exemple des restaurants d’hôtels de luxe qui ont fermé leurs portes et proposent désormais leur cuisine en livraison. « On voit aussi des établissements proposer des services traiteurs ou envoyer leurs chefs à domicile », explique-t-il. Laurent Delporte suggère ainsi de multiplier les canaux d’exploitation en misant différemment sur l’expérience client. « Un hôtel pourrait vendre ses vins en ligne avec les conseils personnalisés de son sommelier », illustre-t-il. Voir les palaces offrir leurs services de conciergerie à des entreprises en pratiquant le « co-branding » est pour lui une autre piste.

La situation des 12 palaces parisiens

Ouverts : Le Lutétia, le Royal Monceau (cinq appartements privés commercialisés), le Plaza Athénée, le Ritz, le Four Seasons George V, le Meurice, le Bristol, la Réserve Paris-Hotel and Spa et le Park Hyatt Paris Vendôme.
Fermés : Le Peninsula (vente à emporter uniquement), le Shangri-La et le Crillon.

Jérôme Montantème, directeur de Fauchon L’Hôtel Paris*****

L’Auvergnat de Paris : Comment a évolué le taux d’occupation au cours de l’année ?

Jérôme Montantème : Il a fait le yoyo, mais dans le mauvais sens du terme. C’est un yoyo qui ne remonte pas assez. Nous ne sommes pas parvenus à attirer suffisamment de clientèle, même si nous avions fait une belle opération en rouvrant les portes de notre hôtel (54 chambres et 17 suites) plus tôt que d’autres, le 1er juillet. Nous étions montés à 35 % de taux d’occupation durant l’été. Au fur et à mesure où les établissements ont accueilli de nouveau du public, nous avons dû davantage partager le gâteau et le taux d’occupation a fondu, à l’instar de nos concurrents. Notre principal problème, c’est que les frontières ne sont pas rouvertes.

ADP : La clientèle était essentiellement internationale ?

Jérôme Montantème : La clientèle étrangère représente une grosse part ; pour assurer 70 % de taux d’occupation à Paris il faut aller chercher des clients à l’étranger. Nous avions un important vivier de clients américains et japonais, ainsi que des visiteurs de Russie ou du Moyen-Orient. En revanche, nous avons fidélisé une clientèle d’affaires française, mais aussi belge, luxembourgeoise et suisse. Les prix moyens ont baissé, mais le marché ne s’est pas écroulé.

ADP : Comment vous êtes-vous adapté à la situation ?

Jérôme Montantème : Nous nous sommes dit que nous allions donner plus à nos clients sans faire chuter les prix. Par exemple, nos clients peuvent désormais prendre possession de leur chambre dès 7 h et restituer les clefs le lendemain à 20 h. Nous ne pouvions pas faire cela auparavant, quand l’hôtel affichait complet. Nous garantissons aussi le surclassement pour tous nos clients. Je pense que ces derniers ont plus besoin de bien-être que de bas prix ; baisser les prix quand il n’y a déjà pas de clientèle ne permet pas de remplir un hôtel. Notre réponse pour conserver la clientèle, c’est l’ultra service avec, notamment, un room service plus développé.

PARTAGER