Le ras-le-bol des CHR

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Depuis le début de la grève contre la réforme des retraites, le 5 décembre dernier, les commerçants subissent de plein fouet un effondrement de leur chiffre d’affaires. En première ligne, le secteur du CHR, qui voit ses établissements se vider de leur clientèle. Si la situation est hétérogène selon les arrondissements de Paris, l’ensemble de la profession se déclare particulièrement impacté.

« Depuis le début de la grève, j’accuse une perte de chiffre d’affaires de – 50 % par rapport à une situation normale. Les midis sont particulièrement difficiles, car je capte essentiellement une clientèle de bureau. Le soir, la situation est moins dramatique, car la clientèle de quartier demeure. Néanmoins, le 12 décembre au soir, je n’ai rempli que trois tables, alors que mon établissement est d’habitude plein », se désole Aymeric Assié, le patron du Certa, une affaire d’une soixantaine de places située non loin de la gare Saint-Lazare. À l’instar du gérant du Certa, ils sont nombreux à déplorer une érosion considérable de leur activité. Jean-Virgile Crance, le dirigeant du Groupement national des chaînes (GNC), un syndicat associé à l’Umih, estime que sur un panel de 300 hôtels franciliens audités du 4 au 10 décembre, les taux d’occupation ont chuté de 7,5 %, le chiffre d’affaires de 10 %, tandis que le taux d’annulation grimpait de 14 %.

« Les établissements ne sont pas touchés de la même façon selon leurs emplacements. Il s’agit là d’une problématique inversée, si on la compare à la crise des Gilets jaunes. Durant la mobilisation, chaque week-end des Gilets jaunes, c’est la clientèle touristique qui faisait défaut. Avec les grèves, c’est davantage la clientèle d’affaires qui est touchée. Notons d’ailleurs que les séjours annulés par la clientèle d’affaires ne sont pas reportés. C’est donc une perte sèche », analyse Jean-Virgile Crance. Concernant la restauration, le patron du GNC fait état de baisses des chiffres d’affaires comprises entre -20 % et -50 %. Même son de cloche rue Montorgueil (Paris 2e), où Laurent Nègre, le patron de La Grille Montorgueil, qui a repris cette affaire il y a quelques semaines, affiche – 40 %. « Il faut que ça s’arrête », tonne-t-il. De son côté, Paul Haber, restaurateur à la tête de six établissements à Paris (James Hetfeeld’s Pub, Sunset Boulevard, The Wall, etc.) et de la société de distribution Haber France, fulmine. Outre le fait que certains de ses salariés, résidant notamment au Bourget, n’ont pu gagner leur lieu de travail, il déplore une baisse de CA de – 50 % dans l’ensemble de ses établissements, tandis que son activité de distribution de boissons a fléchi de 40 %.

Arthur Garreau, le gérant des Parigots, une adresse bien connue du 10e arrondissement de Paris, a quant à lui vu les choses se compliquer essentiellement le soir : « Le midi, nous parvenons à nous maintenir à flot, même si l’activité est un peu faible. Le soir, en revanche, c’est la catastrophe. Notre activité a chuté de 50 %. Notre établissement est dans une zone centrale où nous bénéficions d’une clientèle de quartier le midi, mais de passage le soir. Logiquement, nous ne parvenons donc pas à remplir l’établissement. Côté personnel, je n’ai en revanche pas à me plaindre. Bon nombre de mes salariés se déplacent en scooter ou habitent des arrondissements limitrophes et se déplacent donc à pied. »

« Catastrophique ! »

Franck Trouet, du Groupement national des indépendants (GNI), évoque lui aussi une catastrophe. « Si le CHR souffre, c’est que nous sommes au bout de la chaîne. L’effet domino fait que nos clients ne peuvent pas se déplacer et donc ne se rendent pas dans nos établissements », explique-t-il. Pour L’Auvergnat de Paris , Franck Trouet a dévoilé les chiffres qu’il est parvenu à réunir. Ainsi, concernant l’hôtellerie, avant le début du mouvement, il a été enregistré une diminution sensible des réservations, de l’ordre de -30 % en comparaison de 2018, soit « une année de référence déjà sinistrée par le mouvement des Gilets jaunes », et une multiplication par deux du rythme des annulations. Depuis le début des grèves, « les réservations se font rares, pendant que les annulations s’enchaînent jour après jour ». Toutefois, ces dernières n’affectent pas de manière significative la période des fêtes. 

 

« Le seuil des – 50 % de CA est atteint pour la restauration. Pour les cafés, la baisse peut atteindre 80 % », Franck Trouet  (GNI)

Si Paris est la ville la plus touchée, la baisse d’activité concerne d’autres métropoles, comme Lyon, Bordeaux ou Marseille. Les métropoles les plus impactées sont celles dotées d’un réseau de transport public développé, mais paralysé par la grève. Quelques rares destinations s’en sortent, à l’instar de Nice, remarque le GNI. Pour la restauration, « la situation est tout bonnement catastrophique ! ». Les annulations de groupes prévus de longue date se succèdent, quand les réservations individuelles se font rares.

« C’est du jamais-vu : certains tournent à 10 % de leur activité normale. Le seuil des – 50 % de CA est atteint pour la restauration. Pour les cafés, la baisse est très importante et peut atteindre 80 % du chiffre d’affaires », s’alarme Franck Trouet. La situation n’épargne pas non plus les grossistes œuvrant aux côtés des hôteliers et restaurateurs. Ainsi, à Rungis, on déplore notamment la hausse considérable du temps destiné à assurer les livraisons. Florence Hardy, qui dirige la maison Médelys, a déclaré à la presse n’être « pas sereine pour l’avenir ». Spécialisée dans la distribution de produits haut de gamme aux restaurateurs, Florence Hardy doit au quotidien livrer 70 points de restauration. Problème : les embouteillages causés par la grève ont allongé la durée moyenne des tournées de livraison d’au moins 35 %. Par ailleurs, ses clients ont revu à la baisse leurs approvisionnements : « Le panier moyen de nos clients est en forte baisse, car leurs propres clients achètent moins ; il y a moins de monde dans leurs restaurants, des déjeuners d’affaires sont annulés, etc. ». 

Le Gouvernement à la rescousse ?

Face à cette hécatombe, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, et la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher ont reçu les représentants de la filière : Franck Trouet, Didier Chenet, Jean-Virgile Crance, etc. Cette réunion de travail a permis de réaliser un état des lieux, à date, de l’impact des mouvements sociaux sur l’activité. « Les ministres sont déterminés à tenir compte des inquiétudes légitimes de tous les commerçants à la veille des fêtes de fin d’année. Des secteurs d’activité comme l’hôtellerie, la restauration et le tourisme nécessitent aujourd’hui une vigilance accrue du fait des annulations de réservations auxquelles ils font face », indique le ministère de l’Économie, dans un communiqué de presse. Un dispositif d’aides variées a été mis en place dès la semaine passée. « Bruno Le Maire nous a rassurés, indique Jean-Virgile Crance. Mais le Gouvernement a besoin d’un “monitoring” précis pour adapter les aides promises. »

Au regard des éléments transmis par les professionnels du CHR, Bruno Le Maire a décidé d’accorder aux entreprises des reports de charges sociales et fiscales (comme lors du mouvement des Gilets jaunes), « afin de s’assurer que leurs échéanciers de paiement sont cohérents avec leur situation actuelle » . Une réactivation des mesures d’étalement fiscales et sociales, de chômage partiel et, le cas échéant, d’autorisation d’ouverture le dimanche, en ciblant dans un premier temps l’Île-de-France et le secteur du tourisme, a par ailleurs été décidée. Enfin, un référent a été désigné pour assurer la jonction entre le ministère et les professionnels. Ce dernier travaillera en lien avec les fédérations et les collectivités locales pour définir les modalités d’accompagnement des entreprises en fonction de l’évolution de la situation. Reste à savoir pendant combien de temps encore les grèves vont perdurer. Pour Jean-Virgile Crance, la ligne rouge se situe au niveau des fêtes de fin d’année : il s’agirait là d’un seuil au-delà duquel tous les CHR ne pourraient faire face.


Sources : GNI et UMIH 

« Les commerçants subissent en ce mois de décembre 2019 de plein fouet les difficultés pour les Franciliens et les touristes à se déplacer ». Pour tenter d’inverser la dynamique actuelle, la Ville de Paris incite les Parisiens à réaliser leurs achats dans leurs commerces de proximité afin de soutenir l’activité, notamment sur les réseaux sociaux. 

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