Les faillites traduisent une mutation du tourisme

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Le voyagiste Thomas Cook, les compagnies aériennes XL Airways et Aigle Azur…Trois faillites successives et symptomatiques d’un bouleversement des pratiques touristiques. Alors que le tourisme de masse tend à s’effacer devant des séjours personnalisés, les touristes boudent les offres classiques. Mal préparé aux soubresauts de l’industrie touristique, Thomas Cook incarne un modèle en perdition.

«L’élément commun à ces trois faillites, même si nous parlons de compagnies aériennes et d’un voyagiste, est la sous-capitalisation. Ces sociétés n’ont par conséquent passu faire face », constate Didier Arino, directeur général associé du cabinet Protourisme. Pour ce professionnel du tourisme, ces débâcles sont ainsi essentiellement conjoncturelles et ne sont pas synonymes d’une crise du secteur touristique. Dans le cas des deux compagnies aériennes françaises XL Airways et Aigle Azur, l’augmentation du coût des hydrocarbures et une « diversification économique maladroite » ont conduit à la faillite. Concernant Thomas Cook, la crise est davantage structurelle, traduisant une remise en cause du modèle des voyages « tout compris » où des hordes de touristes remplissent des hôtels bien souvent situés en zones balnéaires. « Thomas Cook représente un modèle dépassé qui n’a pas su anticiper la concurrence d’Internet. Aujourd’hui, les consommateurs sont capables de se débrouiller seuls, notamment en passant par Airbnb », ajoute Didier Arino. L’endettement colossal de Thomas Cook (1,7 milliard de livres) et les taux d’intérêt qui en découlent ont achevé de plomber le voyagiste et de conduire au chômage 22 000 de ses salariés à travers le monde. Après une mauvaise année 2018, l’entreprise avait accusé une perte d’1,5 milliard de livres pour un chiffre d’affaires avoisinant les 10 milliards. Si la faillite de ces trois acteurs du tourisme sont concomitantes, elle ne traduit donc en rien une crise dans le secteur. Le nombre de touristes internationaux ne cesse d’augmenter : + 6 % en 2018, soit 1,4 milliard de voyageurs. « Il n’y a aucun impact sur l’industrie touristique française », rassure Didier Arino.

Didier Arino.

En revanche, le coût global des impayés pour les hôteliers et les différents prestataires devrait dépasser le milliard d’euros. Rien que pour l’Espagne, la faillite de Thomas Cook va engendrer 200 millions d’euros d’impayés. En Tunisie, l’ardoise dépasse déjà les 100 millions. En eff et, de nombreux établissements espagnols, très dépendants du voyagiste britannique, sont contraints de baisser le rideau. En plus des hôtels directement gérés par Thomas Cook, de nombreux établissements avaient une clientèle formée de 30 à 70 % de touristes amenés par le voyagiste. Si bien que 500 hôtels vont immédiatement fermer de l’autre côté des Pyrénées en raison de la faillite du voyagiste. « La situation pourrait empirer si le Gouvernement ne prend pas immédiatement des mesures », a ajouté Juan Molas, président de la Confédération des hôtels et des logements touristiques, dans un entretien au quotidien économique Cinco Dias. Thomas Cook était le second tour-opérateur le plus important d’Espagne : 7,3 millions de touristes acheminés en 2018, soit 9 % du nombre total de touristes. En contrepartie, le gouvernement espagnol a annoncé la création d’un fonds de soutien de 300 millions d’euros.

« Ces faillites n’ont aucun impact sur l’industrie touristique française »

LA FRANCE MAINTIENT SON RANG

En France, un modèle radicalement opposé nous préserve d’une telle déconvenue. « La mutation du tourisme à l’œuvre est une chance pour l’Hexagone, assure le directeur général associé de Protourisme. Nous sommes dans un tourisme de contenus, d’expériences, un tourisme assez identitaire. En France, le tourisme de masse, nous ne savons pas faire. » À cela s’ajoute une diversification des canaux de distribution pour les hôteliers français, si bien qu’il est nettement plus simple d’encaisser les coups, comme l’indique Laurent Duc, président de l’Umih hôtellerie, à la presse : « Je ne connais pas un hôtelier français qui mettrait plus de 20 % de son chiffre d’affaires dans les mains d’un seul opérateur. » Dans les colonnes du Parisien, Franck Trouet, du GNI-Synhorcat, enfonce le clou : « On a toujours eu le souci d’être polyvalents, car c’est très dangereux d’avoir un seul et unique fournisseur de clientèle. » Ainsi, le syndicaliste estime que 60 % des réservations dans les établissements français se font en direct et que les hôteliers seraient les champions d’Europe en la matière.

La France ne semble donc pas pâtir de ce contexte de mutation ; elle demeure même championne du tourisme à l’échelle mondiale. Notons toutefois qu’il convient de distinguer voyageurs en transit sur notre territoire et voyageurs visitant notre territoire. Le bilan touristique de l’année 2018 montre ainsi que la France reste la première destination touristique mondiale, mais qu’en termes de dépenses par touriste, elle est à la traîne. Notre pays se taille pourtant la part du lion, puisqu’elle reste le leader mondial en termes d’attractivité : elle a accueilli 89 millions de visiteurs en 2018, soit 3 % de plus qu’en 2017. Les mouvements sociaux qu’a connus l’Hexagone n’ont pas dissuadé les visiteurs d’arpenter la France : Bordeaux et Marseille affichent de belles performances et des sites emblématiques, à l’instar de Disneyland Paris, Versailles, les Champs-Élysées, le Louvre ou Beaubourg, la Côte d’Azur ou la Bretagne, ont tiré leur épingle du jeu. La durée des séjours a pourtant tendance à se réduire dans les établissements français, atteignant 1,8 nuit en moyenne en 2017, selon des données de l’Insee.

Les chiffres du tourisme en France

89,4 millions

C’est le nombre de touristes étrangers recensé en France en 2018, soit une hausse de trois points par rapport à 2017.

Une progression honorable en dépit des mouvements sociaux qui ont impacté la destination au cours de l’année.

56,2 milliards d’euros

C’est le chiffre total des dépenses des visiteurs étrangers l’an dernier, soit une hausse de 5 %.

La France table sur 60 milliards de dépenses en 2020.

50 millions

C’est le nombre de touristes accueillis en Île-de-France en 2018. La région a ainsi battu pour la deuxième année consécutive un record de fréquentation.

100 millions

C’est le nombre de visiteurs étrangers visé à l’horizon 2020 par le Gouvernement.

-2,5 %

Après deux ans de hausse, la baisse de la clientèle étrangère en 2019 était palpable.

Au premier trimestre 2019, le taux de fréquentation hôtelière aurait connu une érosion de 2,5 % sur l’ensemble du territoire par rapport au premier trimestre 2018.

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