Thierry Faucher, 30 ans de bistronomie au compteur 

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À L’Os à Moelle, à Paris (15e ), puis au Barbezingue, à Châtillon (Hauts-de-Seine), Thierry Faucher a écrit quelques-unes des belles heures de la bistronomie. En banlieue, il a non seulement démontré la vitalité de son concept, mais il a de surcroît créé un établissement démesuré où les loisirs se mêlent à la restauration.

Thierry Faucher
Thierry Faucher. Crédit : DR.

Le 14 avril dernier, Thierry Faucher a fêté les 30 ans de l’Os à moelle, son bistrot de la rue Vasco-de-Gama (Paris 15e). Après la première guerre du Golfe, ces tables simples et décomplexées, au rapport qualité-prix détonnant, faisaient de l’ombre aux restaurants étoilés. Les cuisiniers issus de la brigade du Crillon (Paris 8e) étaient aux avant-postes de cette bistronomie naissante. Thierry Faucher faisait partie des poulains de l’écurie de Christian Constant, alors chef de ce palace. Il a attendu 1994 pour se plonger dans la course avec l’aide d’Yves Camdeborde, pionnier de ce courant, et de Christian Constant. Le succès fut rapide. Avec ses 45 places assises, L’Os à moelle servait près de 200 repas par jour. Dans la foulée, en 1999, le chef a racheté un local voisin où il a créé la Cave de l’Os à moelle, inventant du même coup le self-service bistronomique : les clients se servent à volonté en petits plats mitonnés, charcuteries artisanales, desserts maison, et bien sûr des jolis flacons proposés à des prix très modérés.

Pourtant, il y a une quinzaine d’années, Thierry Faucher s’est senti à l’étroit rue Vasco-de-Gama. « Le voisinage me reprochait le bruit, on ne pouvait ni circuler ni se garer. J’ai alors songé à m’installer en banlieue », explique-t-il. Il n’a pas hésité un seul instant lorsqu’un agent lui a proposé de reprendre un petit immeuble de Châtillon (Hauts-de-Seine), qui abritait précédemment un caviste et un garage. Dans ce lieu, il dispose de 700 m2 où il a donné libre cours à son imagination pour créer le Barbezingue. « Ici, assure-t-il, j’ai voulu m’exprimer artistiquement. J’ai tout conçu. » D’abord, il installe une cuisine spacieuse et deux salles de restaurant. Au rez-de-chaussée, une salle de 40 places propose une formule fondée sur le principe de L’Os à moelle, avec un menu carte à 43 €. À l’étage, il a développé le concept imaginé à la Cave de l’Os à moelle, avec 70 places assises.

« Ici, j’ai voulu m’exprimer artistiquement. »
Thierry Faucher, Le Barbezingue, Châtillon (Hauts-de-Seine)

Le pari de la banlieue 

Le succès étant au rendez-vous, il a pu créer dans cet établissement un bar et une cave où les clients peuvent choisir leur vin ou l’emporter avec un tarif préférentiel. Thierry Faucher a mis aussi en place une piscine convertible en podium pour les animations musicales, un sauna-spa, un trinquet où pratiquer la pelote basque, une salle de dancing, une boîte de nuit et un bar (Licence 4) flanqué d’une gigantesque terrasse. Un univers à la mesure de cet épicurien dont les rêves ne connaissent pas de limite. Heureux à Châtillon où il a rapidement trouvé une clientèle séduite par cette offre à deux vitesses, Thierry Faucher a cédé l’Os à moelle, il y a une douzaine d’années… avant de le racheter deux ans plus tard. « C’est devenu une institution et il suffit de s’en tenir à la formule, confie-t-il. Je la gère aujourd’hui de loin avec une équipe bien en place sans mettre un pied en cuisine. Je me contente d’afficher complet à chaque service. De toute manière, confrontés aux difficultés de recrutement, nous devons limiter nos ambitions. »

Il admet d’ailleurs qu’après la crise sanitaire, ce problème a gagné à son tour le Barbezingue. Il suffit de jeter un œil sur les propositions d’embauche qui s’accumulent sur la vitrine pour saisir l’acuité du problème. Faute de personnel, l’établissement doit refuser des événements et fermer le dimanche. Thierry Faucher a du mal à comprendre l’état d’esprit des jeunes salariés vis-à-vis de la vie professionnelle. Fils d’agriculteurs de Parthenay (Deux-Sèvres), il a connu le monde du travail dès l’enfance. « Après l’école et avant de faire mes devoirs, je devais traire 40 chèvres », résumet-il. À 14 ans, il entre en apprentissage dans un restaurant à Niort (Deux-Sèvres). Premier du CAP, il est embauché au Bristol (Paris 8e ) sous la férule d’Émile Tabourdiau, avant d’intégrer la brigade du Ritz (Paris 1er). Il y connaît les longues journées de labeur qui reprsentaient le quotidien des cuisiniers de l’époque. Et durant ses congés, il fait des extras dans des restaurants comme le bistrot du curé, à Pigalle (Paris 9e). « J’arrivais à vivre avec l’argent de mes extras et à économiser mon salaire pour me lancer », se souvient le restaurateur.

Âgé de 56 ans, Thierry Faucher déplore le manque d’engagement de la nouvelle génération. En effet, faute de personnel, le Barbezingue ne fonctionne qu’à 60 % de son potentiel. À tel point que le cuisinier a déjà dû céder la Cave de l’Os à moelle, qui a effectué son dernier service le 30 mars, tandis qu’il a mis en vente également le restaurant L’Os à moelle, afin de se concentrer sur le Barbezingue. Aujourd’hui, il commence même à rêver de retraite. Un mot qui auparavant ne faisait pas partie de son vocabulaire. « Mes amis me prédisent que je m’ennuierai, assure-t-il. Mais je suis quand même curieux de tenter l’expérience… »

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